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Depuis un an, je fais des navettes transatlantiques. Cela signifie du temps dans les avions mais aussi des heures de poireau, en arrivant à JFK ou Newark. Attendre dans les queues en zigzag, pas à pas, les jambes lourdes, avant d’atteindre un douanier dans sa calougette qui vous regarde derrière le plexi, et vous jauge d’un œil inquisiteur. Une amie m’a suggéré de perdre du temps une fois pour toute en allant passer une entrevue au Global Control. Je me suis laissé convaincre et j’ai pris rendez-vous avec les officiers de ce service à qui j’ai expliqué les raisons pour lesquelles j’avais besoin de cette carte qui permet de s’enregistrer soi-même.
Depuis que je l’ai reçue ma vie a changé. Je n’ai plus le cœur qui bat dans le couloir qui mène aux postes de douane. J’arrive, je me poste devant la machine, je m’identifie en pressant mes « fingertips », et voilà c’est fait. Je reçois un certificat d’entrée. Ensuite, j’attends comme tout le monde que mon bagage apparaisse sur le tapis roulant ; mais en quelques minutes, c’est réglé. Très pratique. Le fichage sur ordinateur permet aussi de bénéficier d’avantages liés à la simplification de pas mal de choses.
Je suis d’un naturel assez stressé, alors quand je voyage, je m’y prends à l’avance, et je vérifie plutôt trois fois qu’une ce dont j’ai besoin avant de partir. Je sais dans quelle poche, je mets quel papier. Et je me répète ça comme un pilote fait son check avant le décollage.
Embouteillages de fin de journée en quittant Manhattan, mais une fois passé le Lincoln tunnel ; c’est allé vite. Le bus a mis moins de 40 minutes pour atteindre l’aéroport. Réveil en sursaut : « Terminal B, Terminal B » a crié le chauffeur sans tourner la tête.
Une fois enregistré, je me suis dirigé vers la porte 57.
Peu de monde.
Un premier douanier jette un œil distrait sur mon passeport. Sans lever le coude, il met des croix et coche des trucs sur ma carte d’embarquement.
Enlever la ceinture, mettre les chaussures dans la cuvette plate, sortir l’ordinateur du sac, mon gilet, mes clés, montre, monnaie, stylos et tout ce qui bipe. Oups, aussi, jeter le fond de ma bouteille d’eau dans le trash can. Et voilà, je suis pur pour me faire baptiser par la douane.
Lever les bras dans la cabine de scan. Apparaissent mes bretelles au détecteur de métaux. Fouillé. C’est bon. C’est fait. je suis passé. Juste le temps de récupérer mes affaires à la sortie du tunnel de radiographie. Nickel, je n’ai pas oublié de canif cette fois ci. Tout va bien.
Je m’écarte pour me rhabiller. Assis sur un banc, je remets mes chaussures, et au moment de glisser mon passeport dans ma poche, je m’aperçois qu’il me manque la fameuse carte du « global entry » que je mets toujours dans le passeport. Mince. Où est-elle ? Je me palpe, me re-tâte. Attends, non, sérieux, c’est quoi ça? Je ne l’ai pas. Je ne l’ai plus. Je vide mes poches, mon sac, non. Elle est si petite, elle a dû rester dans le « bin ». Vite, j’y retourne.
Un peu inquiet, certainement confus, j’explique la chose à monsieur Kevin Sanchez dont le nom est marqué sur sa plaque de douanier. Apparemment, je trompe la torpeur dans laquelle veut se noyer cet homme peu motivé qui tente d’oublier sa condition d’employé qui s’ennuie au travail. Nonchalamment, il accepte cependant d’aller demander à ses collègues de vérifier le contenu des cuvettes. Ils le font sans entrain.
Revenu à pas lent, il me dit qu’ils n’ont rien trouvé. Eh, je vois bien qu’il n’a rien à la main, mais entre nous ils ont à peine soulevé trois ou quatre trucs, je pense clairement qu’ils auraient pu y mettre un poil plus de zèle. Ont-ils conscience de la gravité de ma situation ? J’insiste :
– Mais voyons, c’est impossible. Je l’avais…
M. Sanchez perd son temps. Si moi, je suis de nature anxieuse, lui il est de nature sceptique: d’abord, avais-je jamais seulement possédé que je lui demande semble-t il de retrouver en vain?
– Non monsieur, personne ne vous a pris cette carte.
– C’est de la magie ou quoi ?
Je vide mon sac pour la troisième fois sur la table. Vérifier un par un chacun des objets qu’il contient, livres, carnets, poches. Non, cette carte n’est pas là.
M. Sanchez est retourné s’installer derrière l’écritoire d’où il supervise ce qui se passe. Il m’observe néanmoins du coin de l’œil.
Ma logique s’embrouille. « Impossible, c’est impossible ! » Je deviens un peu fou. Le front en sueur. Je m’essuie. Pour la cinquième fois, j’ouvre toutes les pages de mon livre, mes calepins… Non. Rien.
N’y tenant plus, je retourne voir Monsieur Sanchez. Maintenant je commence sérieusement à l’énerver, mais il se maîtrise. Je sens bien qu’il me juge sévèrement. À ses yeux, je suis un zombie… ou peut-être un affabulateur ?… ou bien un drogué ?… à moins que je ne sois un maniaco dépressif ? Sûrement un mélange de tout ça.
Je le tanne et l’empêche de faire son boulot.
– Non monsieur, je vous assure, il n’y a pas d’extra-terrestres. Enfin, du moins pas dans cette partie de l’aéroport, que je sache, glisse-t il avec un brin d’ironie.
Et en guise de conseil à la con, il me suggère :
– Si vous y tenez, faites une déclaration de perte.
– Mais attendez, c’est de mon identité qu’il s’agit… il y a ma photo, cette carte peut laisser n’importe qui rentrer aux US à ma place ?
Réagissant à cet argument pourtant peu vraissemblable voire incohérent, il retourne néanmoins vers ses confrères et consœurs. Surtout ne pas les brusquer, eux qui comme lui agissent avec méthode dans l’espoir de journées simples s’enchaînant toutes semblables les unes aux autres. Dans une douane, tout ce qui n’est pas normal est anormal, et pour eux, je suis anormal, donc suspect. Clairement, nous ne sommes pas amis.
Vu de mon point de vue, je n’arrive pas à accepter cet état de fait. Qu’on perde un papier dans la jungle, soit, au milieu d’une surprise party arrosée à la vodka dans un club de la mafia russe, certes, ou dérobée par le monstre du loch Ness en Ecosse pourquoi pas, mais là sous les regards de toutes les caméras digitales high tech tournées focus vers ici, c’est impossible ! N’empêche que je n’ai pas ma carte. Je ne peux pas admettre que j’ai perdu cette carte.
– Vous ne pouvez pas rester ici !
Il y a des années une aventure un peu semblable m’était arrivé à JFK. Seulement, enfin, après ¾ d’heure d’âpres recherches, un second employé de la compagnie aérienne avait finalement retrouvé ce maudit passeport que le premier jurait m’avoir donné, alors qu’il était en fait, coincé entre deux planches de ce qui servait de comptoir d’enregistrement. ¾ d’heure de honte, de panique, de dénégation et puis finalement le miracle.
Mais aujourd’hui, que dalle, pas de miracle. Ma carte s’est bien volatilisée. Disparue.
Sans ma carte, (ni le territoire), je me suis écarté du passage, tout en restant quand même à farfouiller désespérément tel un blaireau hébété.
Cela faisait 20 minutes que j’étais là, à gesticuler quand une autre femme en uniforme s’est approchée. Un peu plus compréhensive que ceux qui étaient à deux doigts d’appeler le service des urgences psychiatriques, elle m’a demandé doucement :
– Vous êtes certain d’avoir cherché partout ?
– Oui, oui… la preuve, regardez !
– Allons monsieur, respirez, calmez-vous…
À son tour, elle est retournée voir les autres, qui discutaient en cercle comme des comploteurs, à la fois gênés, désolés autant qu’apathiques. Puis elle est revenue et m’a redemandé à nouveau:
– Vous êtes certain d’avoir tout vérifié ?
– Voyez vous-même… lui dis-je en montrant le contenu de mon sac étalé sur le plat du comptoir…
– Et vos chaussures ?
– Quoi mes chaussures ?
– Vous avez vérifié vos chaussures ?
– Mais.. euh… Pourquoi?…
– …
J’ai défait le lacet de ma chaussure droite.
À peine eus-je retiré mon pied de la chaussure que la carte si fine est tombée par terre.
Un immense sourire de soulagement a envahi le visage de la dizaine de douaniers dont les regards convergeaient vers mon pied droit. À l’américaine, en rigolant, ils sont mis à applaudir en faisant « youhouou ! ». La gloire! Sans réfléchir, je me suis alors jeté sans flegme sur la femme uniformisée, en lui faisant un grand hug. Elle s’est amusée et, tentant de se dégager elle m’a dit qu’elle n’y était pour rien, pointant du doigt celui qui avait suggéré en dernier recours cette hypothèse ultime. Tel un Roberto Begnini, débordant d’amour, le pied gauche chaussé et l’autre en chaussette, j’ai foncé vers icelui, que j’ai à son tour embrassé, (pas à la Russe mais em-brassé au sens littéral). Bien qu’un peu embarrassé, ce grand/gros costaud black cédant à l’émotion, m’a tapé trois fois dans le dos en guise d’accolade, et les choses sont vite rentrées dans l’ordre, car quand même, une douane, c’est du sérieux.
J’ai donc remis ma seconde chaussure sous le regard goguenard de Kevin Sanchez qui, resté en retrait, voyait là un autre argument pour justifier le fait qu’il n’avait aucune raison de se casser le pompon, vu qu’il y a toujours une explication simple et rationnelle aux phénomènes apparemment paranormaux…
Certes cher Sherlock, n’empêche,
j’aimerais quand même comprendre comment cette carte s’est retrouvée là, vu que j’avais mon passeport à la main… ???
® CharlElie – Mai 20XV