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Confesse Book

09 – deux histoires de Brouettes

Deux histoires de brouette

Première brouette.

Quand j’étais en Californie, par une chaude après midi, en short et claquettes, peut-être mû par une envie morbide d’émotions fortes, ou peut-être aussi attiré par l’air conditionné de l’endroit, je suis entré dans l’un des nombreux musées du Balboa Park de San Diego pour visiter une expo  sur … les instruments de la torture.

Siège de pointes, haches, gibets, piloris, guillotine, pal, pressoirs à vis pour broyer les os des mains ou des pieds, ou pour faire éclater le crâne des impies, etc… de quoi hanter mes nuits de cauchemars atroces. Parmi tous ces objets et outils effroyables que l’homme a inventés pour faire souffrir ses semblables, il y avait une brouette. Quoi de plus effrayant qu’une brouette ? Sauf qu’à celle-ci était  fixée une lourde chaîne d’un mètre et demi à peine…

Et si la brouette certes un peu lourde, ne semblait pas terrible, par contre le commentaire faisait mal. Il était écrit qu’à cette brouette le condamné était attaché pendant des années, voire des dizaines d’années citant l’exemple d’un mec qui y resta 30 ans. Trente ans de brouette, impossible ! ( Même le Facteur Cheval laissait-il la sienne au vestiaire quand il allait dormir, faire sa toilette ou les besoins qu’on peut avoir. Après avoir rapporté les cailloux qui lui permirent de construire son magistral Palais idéal, j’imagine que même lui oubliait sa brouette. ) Mais les suppliciés de jadis n’avaient pas l’option « avec » ou « sans ». C’était: « partout où tu iras, ta brouette emporteras. »

Trente ans de brouette… Je n’arrive même pas à y croire. Si on m’attachait la cheville droite à n’importe quoi, et à fortiori à cette brouette, au bout d’une heure je deviendrais nerveux, au bout d’une journée je supplierais pour le pardon de mes fautes. Alors une semaine, un an, deux ans, trente années ?!

On dit que le rire est le propre de l’homme, mais la torture aussi.

Pourquoi faire ça ? Je ne trouve pas la réponse. Comment l’Humanité toute entière à-t elle pu survivre à cette brouette ?

Les descendants de ces mêmes juges aux esprits tordus qui ont condamné ces malheureux, sont ceux qui ont fait les holocaustes par obéissance, les mêmes ingénieurs obéissants ont inventé les bombes nucléaires ou les famines industrialisées. Oui ce sont les mêmes intraitables qui rachètent les brevets des moteurs électriques pour continuer à vendre du pétrole…

Dans la loi du Talion, on considère que la peine, la punition, la vengeance doit être proportionnelle à l’offense ou au crime commis, mais je ne peux pas imaginer ce qui peut justifier trente ans de brouette….

 

Deuxième brouette

Mon voisin dans l’avion regardait un super navet produit à coup de millions de $. Ça s’intitulait je crois  « la chute de la maison blanche ». Plus con que ça tu meurs.

Je matais de temps en temps par dessus son épaule. Les plans allaient vite. Les explosions, les morts se succédaient à un rythme de jeu vidéo. Quand soudain, je me suis rendu compte qu’inconsciemment je m’attendais à voir débarquer Bruce Willis. Bruce Willis ? Mais non, y a plus de feu de brousse, pas plus que de JC Van Damme ou de Silvester Stallone. Ces ex-caïds de la gonflette sont trop vieux pour les cascades de malades que les jeunes sont ravis de tenter à leur place.

Chaque époque a ses duels : Sherlock Holmes vs Hercule Poirot, Anciens vs Modernes, Dreyfusards vs Anti-dreyfusards, Chirac vs Mitterand, Boris Spassky vs Bobby Fischer, Stone vs Beatles, Astérix vs Tintin, Sampras vs Agassi ou Nadal vs Federer, Pepsi vs Coca ou Red Bull vs Monster, chaque époque a ses duels, ses querelles, ses polémiques.

N’empêche que je ne reconnaissais pas ce sauveur du monde.

Achille, Ajax, Ulysse, Thésée, Héraclès, les rôles sont identiques depuis l’Antiquité, surpuissants, idéalisés, la tâche est la même, les héros sont toujours des demi-dieux, mais les acteurs qui leur donnent une enveloppe charnelle ont été remplacés. Parce que les acteurs, eux, sont mortels.

Les héros « musclor » composés par les scénaristes symbolisent toujours un machisme international du pouvoir couillu, mais les héros d’aujourd’hui ont aussi pour mission de défendre la Liberté capitaliste sans trop d’explication ni d’arguments. Mais si les traits des héros sont soulignés façon théâtre No, ils ne doivent pas être non plus trop caricaturaux. Le message qui transite par ces héros doit être accessible à un public qui se suffit d’apparences.

Mais son nom putain, c’est qui ? Jason Staham, je vois, mais Gerard Buttler ? Non. Même quand j’ai eu trouvé sur wiki quelque chose, je ne connaissais pas. Il a joué dans les « 300 » , mais ça non plus je ne l’ai pas vu. C’est comme ça qu’on vous dit « Quoi? Tu l’ connais pas? Mais il est vach’ment connu  » Et on se sent nase de ne pas savoir ça.

Alors je me suis dit: ma culture du niais s’est arrêtée quand je suis devenu adulte. C’est vrai, on doit faire des choix, et ces filtres d’intérêt vous écartent petit à petit des bêtises amusantes. Alors mon esprit zappe ça, comme si je n’en avais jamais entendu parler.

C’est ça notre punition pour avoir voulu manger la pomme de l’arbre de la connaissance. Une voix qui nous dit : « Oh Humains, vous garderez en mémoire seulement les premières âneries que vous avez apprises !»

Même si on croit les oublier, elles sont irrémédiablement dans la boîte, enfouies dans les méandres de l’hippocampe et du cortex, là où vont puiser les psychiatres, psychologues ou psychanalystes comme à la pêche aux canards.

Oui, c’est ça le martyr de l’âge : qu’on le veuille ou non, on trimballe avec soi toute sa vie une brouette d’infos et de connaissances en tous genres qu’on a chargées pendant la jeunesse, et à laquelle on est irrémédiablement attaché…

 

® CharlElie – NYC –  Août 20XIII