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Confesse Book

74 – Itv-Speed dating et frangipane

Ça y est, on vient de repartir en tournée.

En guise de préparation logistique, comme depuis des décennies, fait partie de mon métier l’obligation de se prêter au jeu des interviews. J’en ai fait des milliers. Parmi elles, certaines obligent à l’introspection, d’autres sont plus bateau, mais dans tous les cas répondre à une interview, c’est comme passer un examen oral. Quand on raccroche le téléphone, ou quand on quitte l’interviewer, on se retrouve assez souvent seul et interdit pendant quelques instants, envahi d’un sentiment mélangé : à la fois vidé d’avoir eu à se raconter comme on livre un mode d’emploi, et parfois aussi un peu perplexe quant à la question de savoir si on a réussi à transmettre ce qu’on avait sur le cœur. – Pour la presse écrite, on ne le sait qu’après la parution. –

Réussir une interview, c’est avoir su convaincre de votre sincérité une sténo qui tente elle-même de décrypter dans vos propos les fantasmes que son lectorat a envie de lire. Du billard à trois boules en quelque sorte : l’interviewé, le journaliste et le lecteur / spectateur / auditeur.

Mais je me souviens aussi de mes dissertations de français ou de philo, et du trouble qui venait m’habiter quand celles dont j’étais satisfait se trouvaient gratifiées d’une mauvaise note. Oh ces notes n’ont pas changé  le cours de mon existence, même si elles se soldaient par des interdictions de sorties assorties de quelques remontrances de la part de mes parents, mais surtout elles blessaient mon amour-propre et me laissaient dubitatif.

Il y a des gens qui abordent la vie en se disant qu’on est « là pour en chier », qu’il faut « souffrir pour créer », que « tout ce qui ne te tue pas te rend fort » et autres pensées masochistes négatives. Moi, je fais partie de ceux qui s’investissent sans compter, persuadés que « ça va marcher », « ça va passer », « ça va le faire », « il faut y croire », etc. Du coup, quand je gagne un match, je me réjouis, certes, mais la peine est plus grande quand je dois concéder une défaite.

De même certains comptes-rendus d’interviews m’ont stimulé, m’encourageant à continuer ce que j’avais entrepris, de même d’autres m’ont un peu déstabilisé. (Sans ébranler une paroi de granit, un pétard à mèche peut t’éclater un tympan s’il explose près de ton oreille.)

Une itv c’est du speed dating, en plus ou moins 20 minutes.

Dans le fameux débat qui oppose le fond et la forme, certains « formels », décontractés, amusants ou souriants, possèdent les atouts qui leur donnent cette fameuse aisance naturelle qui les rend attrayants. D’autres n’ont pas la chance de séduire sans effort.

Communicateurs-nés, provocateurs-exhibos, cyniques arrivistes, fumistes élégants, ou m’as-tu-vus et cabotins sans complexe, certains s’amusent avec les médias comme des chiots avec une balle. Alors comme de normal, les médias les apprécient et par voie de conséquence, ces amuseurs sympatoches ou dragueurs mondains sont invités partout et peuvent se vanter d’avoir de la notoriété. Mais finalement que reste-t il de ces pipoles en stuc à la saison suivante, quand la mode a changé? Alors on s’aperçoit que leur enveloppe de gloire était aussi remplie d’air qu’une montgolfière au sol.

Les artistes se racontent d’abord à travers leurs créations. Pendant longtemps les œuvres (romans, films, musiques) se suffisaient à elles-mêmes et la diversité de la distribution permettait à des choses non normalisées d’exister. Aujourd’hui, le nombre de sollicitations a tellement augmenté que sans le faisceau lumineux d’une communication éclairée, on peut difficilement espérer que les regards se tournent vers l’objet posé sur des présentoirs des « grandes surfaces »,  de la « grande distribution » visant le « grand public ».

On a beau connaître tous les ingrédients théoriques de la recette, ça ne suffit pas pour faire un succès. Façon proverbe chinois, je dirais que « la réussite est un ruisseau qui découle d’une source de chance alimentée par les nappes phréatiques de données aléatoires. » En d’autres termes, même si l’on trouve de bonnes raisons pour expliquer un succès à postériori, il est pourtant très rare qu’on puisse analyser à l’avance TOUS les paramètres du succès. Et cela force à l’humilité.

Un journaliste est un interprète. Il  serait candide d’imaginer qu’il aborde son sujet dans la neutralité. On croit que c’est un médecin qui vous ausculte, mais les palpations journalistiques ne servent souvent qu’à corroborer ce que l’urgentiste présupposait d’après les symptômes décrits avant de sonner à votre porte. Les hommes politiques eux-mêmes ne sont-ils pas secondés par des conseillers en communication ? Et pourtant même cette assistance peut ne pas suffire, si l’intention au départ est mauvaise, il sera difficile à l’interviewé malade du pouvoir d’inverser le diagnostic.

Si le reporter / rapporteur considère votre œuvre comme un légume, quoi que vous disiez, il entendra vos propos comme ceux d’un vendeur de primeurs qui raconte des salades.

Pour choisir une autre allégorie de saison en ces périodes de galettes, je dirai que l’interviewer se verra couronné, quand il aura eu le sentiment d’être tombé sur un bon titre scoop en guise de fève,

sinon il se nourrira vos paroles comme on le ferait d’une purée d’amande litée entre deux couches de pâte feuilletée cuite au four ; et quoi que vous puissiez dire, ça restera de la frangipane

(Cela dit, il y en a d’excellentes !)

Et  que vivent encore longtemps les galettes… de vinyle !

 

® CharlElie – Jan 20XV