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Confesse Book

68 – 432 Park Avenue

432 Park Avenue. D’habitude je n’écris pas à propos des choses qui me créent du désagrément. Je les repousse dans les geôles de ma cervelle, feignant les ignorer, j’espère que ma mémoire s’occupera de les corroder, comme le temps oxyde les souvenirs. Mais je ne peux pas oublier le 432 Park avenue. On le voit de partout. J’habite à quelques blocs et je l’ai vu se construire depuis 2011. Tous les jours il est monté de plus en plus, jusqu’à atteindre son peek en octobre de cette année.

Cet immeuble est une aberration architecturale qui se veut bamboo ou jonc? Mais pour moi, c’est un monstre, un épiphénomène, symbole de la fracture sociale. D’une hauteur vertigineuse de 420 mètres, seulement dépassée de 23 mètres par l’empire State building, et bien sûr par le One World Trade Center qui culmine au-dessus de New York à 541 mètres, quand il sera achevé et livré en 2015, il sera la 3ème plus haute construction de Manhattan.

Mais la hauteur ne susciterait pas de débat si sa base carrée n’était seulement de 23 mètres. Soit un ratio base/ hauteur de 1/19. Je ne sais pas comment l’architecte uruguayen Rafael Vinoly est arrivé à embarquer dans son délire les développeurs de CIM Group et Macklowe Properties ? Il les a fait boire ou fmer quelque chose, ou quoi…? Putain, je ne voudrais pas être l’assureur qui garantit les ingénieurs de WSP Cantor Seinuk. Ce poteau d’arrogance est une injure à la raison.

Bien sûr, on pourrait moralement penser que le milliard de dollars (1000 000 000 $) qu’il a coûté, aurait pu être dépensé à d’autres choses plus importantes (éducation ou recherche médicale), mais bon, ça c’est un jugement subjectif. On peut s’offusquer de n’importe quelle dépense somptuaire quand la moitié de l’Amérique vit désormais sous le seuil de pauvreté. Mais même si cela peut effectivement alimenter de nombreuses discussions militantes autour de la notion philosophique du « luxe et de la nécessité », ce ne sont pas tant ces chiffres-là qui m’embarrassent; j’ai seulement la conviction que ce truc ne tiendra pas quinze ans. Il y aura un jour, une nuit, une tempête un peu cognée, un cyclone, un ouragan façon Sandy plus, et quelle que soit la flexibilité dudit « jonc », le truc va se fissurer, se casser et s’écrouler.

Chaque fois que j’évoque mon scepticisme béotien, mes amis ironisent quant à la candeur innocente de ma perplexité ignorante:

– Qu’est ce que tu crois, ils y ont pensé. Attends, ce building bénéficie de nouvelles technologies, et des dernières techniques de construction et de nouveaux matériaux…

– Ecoute, si les ordinateurs ont démontré que ça pouvait le faire, on peut le faire !

Mais au fond leurs arguments s’arrêtent à des :

– T’inquiète pas, j’imagine qu’ils ont prévu leur coup… ».

Et blablabla.

Pourtant, désolé, moi je n’y crois pas! Chaque fois que je le regarde, je pense au drame qu’il engendrera. J’ai le pressentiment que cet immeuble porte en lui un malheur.

Athlètes dopés, hystéries boursières et surexploitation de la planète, ce bâtiment est à l’image d’une humanité irrespectueuse de toute logique naturelle. Cette chose est faite pour une frange de seigneurs et nababs souverains aveuglés par leur surpuissance, qui se croient si forts qu’ils refusent l’évidence. Cet immeuble taré nie tout en bloc. Ni beau, ni laid, ni créatif ni utile, il n’en fait qu’à sa tête. Et comme si ça ne suffisait pas, il paraît que 17 autres projets semblables attendent dans les cartons.

C’est de bien mauvais augure ; un méchant présage pour la génération de demain, celle qui verra la fin du pétrole, celle a été endormie par l’idée qu’Internet et la soi-disant « information gratuite » peuvent réveiller la conscience des êtres. Mais pourtant c’est le contraire qui se passe: pour dix vidéos de tortures, de têtes coupées ou d’actes violents en tous genres, il y a une compilation neuneu de courageux dévoués intrépides qui sauvent un chaton sur une branche, des canetons dans un égout ou un chien dans les remous d’une crue, et cette vidéo-là suffit à faire oublier toutes les horreurs ?

Mon dieu, ayez pitié! Un éléphant se fait tuer toutes les demi heures, on n’a jamais coupé autant de cornes de rhinocéros, 421 millions d’oiseaux ont disparu d’Europe en 30 ans, la moitié de la faune terrestre a disparu en 40 ans… et, jamais on avait construit de bâtiment d’habitation plus stupide que les 89 étages de ce 432 Park Avenue.

J’espère seulement que ses 147 appartements seront remplis de leurs occupants, propriétaires, magnats Chinois, familles princières Qatari, oligarques Russes ou autres fils de pétroliers Texans, quand celui s’écroulera, brisé net aux alentours du 37 ou 45ème étage. Car il n’y a pas besoin d’être grand aruspice, devin ou ingénieur spécialiste des taux de résistance des matériaux pour prévoir que s’écroulera un jour ce grand con d’immeuble phare mégalomane du 432 Park Avenue.

 

® CharlElie – NYC 20XIV