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Confesse Book

531 – Retour à la case départ

Vendredi.
Ça a commencé par la question de savoir si le train qui devait nous mener à Bellac s’arrêtait ou non à « La Souterraine »… Deux coups de téléphone et trois concertos de Vivaldi plus tard, on apprenait qu’il ne s’y arrêterait d’autant moins que le train avait purement été supprimé.
– Donc vous SNCF nous avez vendu des billets pour un train qui s’est évaporé des plannings…
– Euh attendez ne vous énervez pas, on va vous en trouver un autre…
Sauf que si la question de « la Souterraine » n’était pas apparue, on débarquait comme des fleurs à la gare de Paris Bercy pour apprendre qu’on ne serait jamais à l’heure pour notre concert à Bellac…
– Mais quoi… vous me dites ça mais euh… c’est pas de ma faute, j’y suis pour rien, répétait le type qui aurait préféré ne pas s’être levé le matin. Finalement il nous a recasés en remplacement sur un Intercité qui partait d’Austerlitz vers Limoges le lendemain matin, beaucoup plus tôt.
Samedi.
Dodeliné par le rythme du train, dans un wagon quasi vide, seulement interrompu par le contrôleur qui, dans les enceintes saturées, répétait à chaque arrêt comme un mantra son long monologue du « masque obligatoire, du nez au menton, pour tout le monde y compris les enfants », et du « pass vaccinal obligatoire susceptible d’être vérifié », et des « titres de transport », et du « rien oublier à votre place en partant sinon les démineurs (majeurs) feront sauter ledit colis oublié », et du « ne pas descendre sur les voies », et ceci, et cela… Donc moi j’ai écrit, et je n’ai pas vu le temps passer.
À Limoges une gentille bénévole masquée est venue nous chercher pour nous emmener à la salle. Conduite obéissante, pour le moins prudente, peut-être faisait-elle durer le plaisir de rouler dans sa petite auto prétextant qu’il risquait d’y avoir des radars à chaque virage… Toujours est-il que trois quarts d’heure plus tard, on a bien atteint Bellac dans la brume, nourris de toutes les informations qu’elle nous avait données concernant cette ville qu’elle connaissait bien et qu’elle avait peu quittée… Longtemps considérée comme la limite entre les deux langues d’oc et d’oïl, cette commune de 3700 habitants avait été aussi jadis un nœud de circulation vers le Sud avant que la N47 ne la contourne et lui rende ainsi son charme d’antan. « Ah d’accord ». J’ai appris aussi que la ville hébergea Jean de La Fontaine en 1663 et qu’il y écrivit « la Mouche et le Coche ». J’ai dit: «d’aaaccord » comme on apprend une réponse qui pourrait servir à « Question pour un champion ». On a déposé nos affaires dans le théâtre, et j’ai enchaîné direct avec une interview pour un France3 local.
– Qu’allez vous présenter ce soir?
J’ai raconté que, tel LE virus qui ne cesse de changer de nom, la setlist du show était un variant évolutif, du coup assez différent de celui avec lequel on a commencé la tournée. Oui, le show mute.
– Plus encore que « trésors cachés », on va jouer ce soir des titres qui figureront sur l’album « les Essentielles » à venir…
On a ensuite achevé la balance, après quoi j’ai trouvé le temps d’aller me poser à plat dans la confortable chambre d’hôtes tenue par un couple venu du pays de Galles, maison située à deux pas du théâtre.
Réveil SMS – Déjà la nuit était tombée. De retour à la salle, j’ai enfilé ma tenue de scène et quand la première partie « I am à band » a eu fini sa prestation, j’ai attaqué la mienne.
La salle était pleine. Bonne ambiance dès le départ. Tout allait bien, démarrage au poil, mais quand Karim a plaqué son premier accord… rien, pas de son. Le temps d’analyser la panne, et constater qu’un malin avait mis l’ampli en stand by d’où: rien…. Cette anicroche réglée, la suite du show s’est passée comme sur un rail. Public chaleureux. Un bon moment humaniste. Je suis allé ensuite faire quelques signatures. J’ai ainsi appris que certains spectateurs étaient venus de Limoges, de Poitiers, de Châteauroux, de Périgueux et même de Brive-la-Gaillarde. Une femme dont le mari avait péri dans l’incendie de leur maison m’a tendu des photos qu’il avait repeintes, et qui dataient du temps où j’avais des cheveux, une autre m’a dit que son fils s’appelait « Charlély » (avec un « y »), un autre couple était originaire d’Alsace… Les spectacles intimes comme celui qu’on joue là, autorisent ces échanges de proximité.
Ensuite on a avalé quelques olives et un peu de ces plats préparés à l’avance (…) avant de nous retrouver seuls, juste entre nous, tous les cinq dans le salon d’accueil de la maison d’hôtes dont les propriétaires étaient évidemment déjà endormis. On ne devait pas repartir avant 10 h le lendemain, du coup on est restés là à discuter/rigoler sans voir le temps passer. Karim est Julien nous ont d’abord abandonnés pour rejoindre Morphée. Une fois la bouteille finie, il était aux alentours de 3.30 heures, quand j’ai, à mon tour, vacillant… de fatigue, escaladé l’escalier qui me semblait aussi abrupt qu’une falaise. Il était impératif / urgent que je m’allonge dans ce grand lit confortable qui me tendait les draps. Mais arrivé sur le palier devant la porte de ma chambre, je fouille, je refouille… impossible de retrouver la clé… Putain, où était-elle ? En compagnie de Phiphi et Christophe venus m’aider, on s’est retrouvé à fouiller comme trois voleurs dans le moindre pli, la moindre poche de mon sac à roulette. Une fois d’abord. Puis à nouveau. Et aussi dans la housse de ma guitare… On murmurait: Non, mais c’est dingue cette histoire, elle n’a pas pu disparaître… c’est invraisemblable ! Meerde, c’est pas possible… D’autant que j’étais certain de l’avoir eue à la main en arrivant, enfin « presque », on se met à douter de tout quand on cherche. Et toute l’intimité de mes affaires s’est retrouvée par terre. Je passe sur les détails sordides de panique dans ce petit couloir mal éclairé. Mince, mince … Non, la clé ne pouvait pas avoir été oubliée dans ma loge. Elle était vide en partant. Et même si ça avait été le cas, c’était niqué, y avait belles lurettes que le théâtre était fermé… Pas de veilleur de nuit, on ne pouvait pas non plus, réveiller la maisonnée pour avoir un double… Finalement Phiphi est redescendu, pour jeter un œil dans le lobby, on ne sait jamais… Où était cette satanée clé… de l’énigme ?
Quelques « longues » minutes plus tard, il est revenu la coupable à la main. Elle avait dû tomber de ma poche et s’était glissée sous un coussin dans le sofa qui accueillait mon séant… Ce qui s’est passé après ? Aucun souvenir. Trou noir à Bellac (qu’il ne faut pas prononcer « Black », même si la communauté anglaise qui s’est installée sur la région est nombreuse).

Dimanche
Le matin est venu très vite. Quelques courtes heures d’un sommeil agité. Avaler vite fait un café et un yaourt caramélisé façon crème brûlée ( jamais goûté quelque chose comme ça avant, une recette Welsh j’imagine… ) et filer à la gare pour prendre le train de retour.
C’était une ambiance intemporelle ; bruine et lumière blanche, petite ville déserte, en ce dimanche hivernal.
La gare était fermée, mais on a attendu sur le quai, dans ce décor « à la Simenon ». On aurait pu voir débouler le commissaire Maigret, venu pour élucider non pas l’énigme de ma clé mais le meurtre de la blanchisseuse, ou le crime du cordonnier, ou celui du ferrailleur priapique ou du garagiste unijambiste qui répare des tractions avant…
Le train nous a déposé à Poitiers où, après avoir salué Jean Benguigui, Jean Luc Moreau et leur troupe de théâtre qui revenaient eux-aussi d’avoir joué dans le coin, on est montés dans le TGV direction Montparnasse…
Retour à la case départ,
Ou presque.
CharlElie Couture.