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Confesse Book

528 – Don’t Look Up

Sous le ciel pluvieux d’une Lorraine engourdie par l’hiver, où j’en profite pour me reposer au calme, j’ai interrompu le visionnage intégral des films que je faisais comme chaque année sur la plateforme des membres de l’Académie des Césars, pour regarder hier soir « Don’t Look Up » disponible depuis le 24 décembre sur Netflix. Une satire du monde contemporain réalisée avec brio par Adam McKay. Le pitch : deux astronomes ont repéré une comète satellite qui se dirige irrémédiablement vers la Terre. Si l’on ne fait rien c’est la fin de l’humanité. Ils tentent d’informer le gouvernement de leur découverte, mais…
Le film est une parabole de l’état dans lequel on se trouve aujourd’hui, une translittération de la catastrophe climatique dont personne ne se soucie vraiment, entre le déni et l’évidence scientifique, entre les forces du Pouvoir et les puissances de l’argent, entre la fragilité de la nature humaine et le peu d’envie que ça change, entre la communication « positive » des idiots optimistes et l’ignorance crasse des imbéciles heureux, entre confusion et attentisme. À l’échelle du/des message(s) qu’il veut faire passer, il y a dans cette comédie cruelle, un souffle, quelque chose de grandiose, plus qu’une simple distraction, il s’agit d’une œuvre autour d’un sujet grave qui nous concerne tous.
En me réveillant ce matin, je me disais qu’il était pourtant réjouissant de penser qu’il existe des intelligences supérieures comme celles qui ont pensé ce film. « Imaginé », certes mais aussi réalisé, produit, financé et joué. Quand on lit au générique les centaines de noms de ceux qui ont apporté leur pierre pour construire l’édifice, on peut aussi méditer sur le nombre effarent de coups de téléphone qu’il a fallu passer, et puis ces milliers de rendez-vous, ces débats internes, accords entre agents et meetings de préparations et combien de millions d’heures de sommeil troublées. À la différence des génies de la littérature qui seuls chez eux, en leur âme et conscience, dans l’intimité de leur chambre à l’isolement, écrivains, auteurs qui ont créé des mondes, page après page, à la différence des grands musiciens assis à leur bureau qui composent note après note une mélodie pour chaque instrument, à la différence des théoriciens démiurges qui inventent des systèmes virtuels à jamais immatériels, pour faire un film il faut savoir convaincre et faire confiance à des centaines de personnes. Un film est une succession de responsabilités partagées. Chaque intervenant peut apporter un savoir-faire, un point-de-vue,voire même une contradiction, en fonction de quoi chaque plan, chaque réplique peut signifier ceci ou cela. Alors bien sûr l’initiateur du projet conduit le navire, mais tous les maillons font la chaîne de l’histoire qui va s’ancrer dans la mémoire des spectateurs.
Comme les murs donnent un sens aux œuvres d’art qu’ils exposent à leur cimaises, le fait que « Don’t look up » soit disponible sur une plateforme de téléchargement sans une réelle sortie en salles, est une sale affaire pour le cinéma. Oh ce n’est pas la première fois, mais le choix que fait le réalisateur de passer par ce créneau de diffusion laisse à penser qu’une page de la distribution est en train de se tourner.
Au-delà des excellents acteurs que sont Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Jonah Hill, Cate Blanchett ou même Timothée Chalamet…la complexité de leurs rôles, leur ambivalence et l’indiscutable qualité de cette production, tout cela efface les errements, balbutiements et gaspillages (façon Scorcese raté) qui jusque-là ont émaillé la relation des plateformes milliardaires avec la production de films. Aujourd’hui avec ce film dense, on est passé à l’âge adulte. Parce qu’il ne s’agit plus seulement « d’image » mais parce qu’il y a d’abord un contenu, une forme oui mais surtout un fond et une pensée d’une redoutable efficacité. C’est écrit en filigrane, entre les lignes. La critique est sévère de ce monde dans lequel nous vivons qui refuse d’admettre l’évidence de sa fin prochaine. Si proche qu’elle soit. Pour de multiples raisons. Le film est truffé de double-sens, d’allusions à ceux que nous connaissons, et l’on peut s’amuser à mettre un nom sur chacun des personnages (Elon Musk m’entends-tu ?).
Le constat fataliste est de devoir admettre que « voilà » comme disent les commentateurs sportifs, voilà où nous en sommes arrivés, nous humains.
« Don’t look up » mais regardez ce film droit devant vous, faites-le voir à d’autres et discutez-en ensuite entre vous, comme nous l’avons fait, en famille, oui, il y a de quoi élever le débat…
CharlElie Couture
Décembre 2021