Dire que les immenses stades construits pour l’occasion à grands renforts de millions de yens, resteront désespérément vides sans spectateurs, comme une incohérence de plus dans le monde insensé qui est le nôtre. Comme si l’histoire refusait d’admettre l’entrave qui nous empêche de vivre librement depuis un an, les XXXIIèmes Olympiades intitulées « 2020 » se déroulent en 2021.
Bah, on peut aussi considérer cela comme un détail sans importance. Après tout, si l’année de décalage a déstabilisé la préparation de certains, elle en a favorisé d’autres, et quoi qu’il en soit, cela n’enlève rien au symbole des Jeux Olympiques. « Ciltius, altius fortius » une quête de l’extrême pour les 11 091 femmes et hommes qui ont choisi de dédier leur vie au fait dépasser ses limites physiques (la plus âgée étant une cavalière Australienne de 66 ans tandis que l’âge moyen des skateboarders est de 14 ans…)
Franchir le mur de l’impossible pour un dixième, un centième de seconde, pour quelques centimètres ou quelques grammes de fonte portés au ciel. Franchir la ligne en tête ou couper le ruban qui donne accès à l’Olympe, au palais de l’extase, quand au bout de l’effort le vainqueur se sent envahi par une euphorie irrépressible, mêlée de larmes de joie, de peine ou de fatigue extrême en guise de récompense.
Qu’il soit le fait d’un acharnement solitaire ou obtenu grâce au partage des responsabilités en équipe, c’est après ce bonheur-là, ces quelques instants en dehors du temps, ces accolades entre frères d’armes, ces tapes amicales ou embrassades avec les membres du staff / de la fédé, c’est après cela que courent ceux qui courent, c’est pour cela que sautent ceux qui sautent, et ceux qui lancent des engins, grimpent aux falaises, pédalent sous la pluie ou glissent sur l’eau…
Mais combien de milliers d’heures de travail, combien de renoncements, combien de sacrifices, combien de dimanches passés depuis l’enfance sur les bancs de gymnases décatis en périphérie ? Et combien de tournois régionaux ou de nuits en bus pour aller disputer une phase éliminatoire à 800 kilomètres ? Oui, combien d’hectolitres de sueur et de milliers d’efforts avant de se retrouver là, un jour, dans les starting blocks sur la ligne de départ d’une épreuve olympique ?
Certes, il faut de l’arrogance, de l’auto-motivation (et un peu de mégalo) pour se croire capable d’être un jour le ou la meilleur(e) au monde, mais pas seulement. Ceux qui réussissent font surtout preuve de beaucoup de rigueur, de constance, d’acharnement et de ténacité. Surmonter les échecs, les blessures et recommencer, repartir au combat. – (Je précise qu’il en va de même dans d’autres domaines de l’activité humaine (intellectuelle, artistique, culturelle, dans la recherche ou la création. Mais c’est un peu différent, car il est toujours difficile d’évaluer la valeur objective d’une œuvre, d’une invention ou la conséquence d’un service rendu)-
Depuis 1896 et l’instauration des nouveaux Jeux Olympiques modernes, l’exercice physique se trouve mondialement remis en question tous les quatre ans (sauf exception de guerre). Les Jeux deviennent alors l’objectif ultime des compétiteurs, leur raison de vivre.
On n’a pas TOUT gagné tant qu’on n’a pas gagné une médaille Olympique en guise de consécration.
Personne ne s’y trompe, pour gagner une médaille, qu’elle soit de bronze, d’argent ou d’or, cette médaille de la panacée qui guérit les blessures d’amour-propre humilié par un adversaire réputé ou un autre venu de nulle part, oui, pour gagner cette médaille, il faut bien sûr être « doué », avoir certaines aptitudes et dispositions naturelles particulières et d’un sens tactique inné qui vous guide quand le brouillard de l’adrénaline vous aveugle, mais il faut aussi avoir l’« intuition ». Il faut ressentir les moindres subtilités magnétiques, celles de l’air, de l’eau, et accepter le relâchement.
Pour savoir réaliser le geste parfait, pour être prêt le jour « J » comme acteur qui a appris son rôle, dans l’absolu et qui ne vois plus les caméras, il faut oser oublier les enjeux.
Et puis le courage. Il faut beaucoup de courage et de force mentale pour continuer à courir quand on se voit dépassé, pour se remettre en selle, pour se remotiver et repartir au combat pour une médaille de bronze quand on n’a perdu une demi-finale. Oui il faut beaucoup de courage pour ne pas céder à la déception qu’on on a vu filer l’or.
Bien sûr que l’OR est un rêve, mais au fond la couleur du métal n’est pas ce qui importe le plus.
Quelle que soit la discipline, ce qui est essentiel pour les spectateurs atrophiés que nous sommes cloués au sol, béats d’admiration devant leurs écrans, ce qui importe c’est de voir le plaisir que prennent ces oiseaux magnifiques à s’élever le plus haut possible dans le ciel de nos fantasmes.
CharlElie COUTURE