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Confesse Book

494 – Divertissement littéraire 2

Lecture d’été / Divertissement littéraire – Taxi Dixit (10 dialogues au compteur)
– Dans le milieu des années 80, je me suis installé à Paris. Avant de choisir le deux-roues à moteur en guise de moyen de locomotion, j’ai utilisé les taxis. Dans l’espace confiné, j’interrogeais les chauffeurs, qui se livraient, tels qu’ils sont. J’ai ainsi collecté quelques belles histoires…-
02
Corne de brune.
Il y a les taxis qu’on appelle et qui mettent des heures à venir, d’autres apparaissent comme par magie avant même qu’on ait claqué des doigts.
À peine me suis-je posté au bord du trottoir qu’elle était déjà là. Tuut ! Klaxon, je tourne la tête. Comme si elle me guettait, Elle me fait un petit, signe. Je comprends qu’elle dépose un client et qu’elle arrive.
Elle traverse la place, ouvre sa portière…
– 22, rue Bayard, dis-je.
Fin d’après-midi, il fait chaud. Très chaud. Une belle arrière-saison. Je n’ai pas le temps de préciser que je ne travaille pas à RTL, que c’est un bel été et que le ciel bleu me met en joie, déjà elle attaque :
– Dites j’espère que c’est pas vous qui faites la météo, parce que des temps comme ça merci !
– Euh, non je n’ai aucune influence sur le temps qu’il fait. Rares sont d’ailleurs les sorciers qui peuvent s’en vanter, sinon les grands pollueurs…
Elle ne réagit pas à cette dernière phrase mais continue dans sa logique.
– Vous voyez, moi je n’aime pas la chaleur. À la limite, on peut lutter contre le froid, mais on ne peut rien contre la chaleur.
– Et encore ça va, mais dans quelques années, je ne vous dis pas…
– Non mais regardez, même avec les vitres ouvertes, il fait encore trop chaud. Ma famille vient de Quimper. Moi, je préfère le frais, la brume… Même la bruine, voyez, ça me gêne pas.
Le chauffeur est une belle femme brune d’une quarantaine d’années. Mise en plis. Soignée. On dirait qu’elle sort de chez le coiffeur. Élégante au volant, elle enfile une paire de lunettes noires.
Nouveau bref coup de klaxon, pour suggérer à la camionnette qui somnole devant nous, de se réveiller. Tut !
Je luis dis que je reviens d’un voyage… – J’étais en Asie au début de l’année, à Jakarta, c’est amusant, là-bas les taxis klaxonnent tout le temps, au début ça surprend, après on s’habitue.
Elle s’offusque :
– Ah mais attendez monsieur, moi je ne klaxonne pas « tout le temps » comme vous dites, je fais juste savoir que je suis là. Je pourrais klaxonner ceux qui s’endorment au feu par exemple, mais je me retiens.
Elle m’explique qu’elle a deux klaxons, un « normal » et puis celui-là… Aussitôt elle appuie de toutes ses forces sur le centre du volant de sa Mercedes. Retentit alors dans la rue calme un énorme accord corné à quatre-vingt décibels, aussi puissant que la corne d’un camion de quinze tonnes. Je sursaute. Elle a klaxonné pour rien, juste pour que je comprenne. Elle se marre.
– Vous comprenez, ?
– Oui, oui… Je comprends. Whaaa, c’est puissant !
– Écoutez tant qu’à faire de klaxonner, il faut qu’on vous entende !
– C’est une trompe de cargo que vous avez sous le capot ?
– Ah, ah ! C’est mon beau-frère qui l’a installée, il est marin à Concarneau …
Ensuite elle dit qu’elle n’aime pas la télévision, elle préfère les livres. Elle me cite « Bille en tête » d’Alexandre Jardin, « Mes parents » d’Hervé Guibert et « Voyage à Rodrigues » de J.M. LeClézio
– J’avais lu son précédent roman « le chercheur d’or »…
Elle ne connait pas ce livre.
– Mon mari se demande pourquoi j’aime la lecture, mais vous voyez dans les journaux, ils disent n’importe quoi, avec leurs faits-divers : une femme égorgée par son mari tout ça…Moi je préfère les mêmes histoires racontée dans la littérature. Parfois la fiction est plus vraie que la réalité.
– Vous ne vous intéressez pas à l’actualité ?
– Non ! Ça passe trop vite… Ils nous embêtent avec leurs salades. Les élections se rapprochent, je ne vais plus rien faire. J’vous jure, pour nous les élections, en terme de bizness, c’est dramatique.
– Vous ne regardez pas les nouvelles?
– Je regarde juste quelques émissions… Et je regrette de ne pas avoir un magnétoscope pour enregistrer… (NB : je rappelle qu’on est en 1986). En Juillet, j’étais toute seule à la maison, mon mari chez sa mère en Bretagne, j’ai regardé une émission, et j’étais morte de rire toute seule chez moi, une émission vous savez de Jacques Chancel ; aidez-moi… (NB : je rappelle qu’on est en 1986)
– Le grand Échiquier ?
– Oui, c’est cela, j’étais morte de rire parce qu’il y avait un rigolo… Rhô, c’est pas Dieu possible comment je perds les noms… Allez, aidez-moi, un chanteur qui fait des grimaces, il est pas tout jeune… avec sa guitare…
– …. ?
– Ah ça y, ça me revient… Henri Salvador.
(moi, je me dis en moi-même qu’on pourrait sûrement trouver d’autres mots pour le décrire…)
– J’ai regardé le début de l’émission, tout d’un coup je vois onze heures et quart sur l’horloge, alors je dis : « allez hop, il faut aller se coucher ! » Y en avait encore pour une bonne grosse demie heure. Mais vous comprenez, j’commence à cinq heures du matin… Eh ben dans un cas comme ça, j’aurais voulu avoir un magnétoscope.
– Je comprends, la technologie peut vous apporter un certain confort.
Le temps passe. On roule.
Je la relance en disant que le rire est nécessaire pour le bon équilibre.
Instantanément, elle ré-embraye sur la télévision. Pourquoi m’a-t elle dit qu’elle aimait tant lire, si elle ne fait référence qu’à la télévision ?
– … Patrick Sébastien, il est tellement drôle, même ses musiciens se marrent à chacune de ses blagues.
– Vous croyez pas qu’ils en rajoutent un peu ?
– Non, monsieur, ça c’est pas possible, ça se verrait.
Elle veut y croire
– J’ vous jure, ils sont sincères… Ma belle-mère est prof de maths, les comiques c’est pas vraiment son genre, pourtant un jour je la vois qui s’amusait devant une émission. Du coup, je me suis dit : « Toi tu perds rien pour attendre, et la prochaine fois que tu viens à Paris, je t’embarque…
– Et vous l’avez emmenée voir l’enregistrement d’une émission de Patrick Sébastien ?
– Non je l’ai emmenée au Casino !
– Mais quel rapport ? Je croyais que vous vouliez l’emmener voir des comiques ?
– Non, mais voyez pour nous qui habitons à Paris, si on sort, c’est seulement pour accompagner des provinciaux…
– Ah ? Quel rapport avec Sébastien ?
– Vous comprenez, les vrais parisiens quand ils rentrent chez eux, ils sont crevés… Alors ou bien ils regardent la télé, ou bien ils lisent des romans pour déstresser comme moi…
Je n’ai pas vraiment compris sa logique, mais ça n’avait pas d’importance, on était arrivés.
Je suis descendu et en guise d’au revoir, elle a fait résonner sa corne de brume (qui compte pas pour des prunes).
CharlElie COUTURE