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Confesse Book

451 – Monsieur Ponchet est mort.

Monsieur Ponchet est mort. Il était l’un des derniers liens avec ma première vie, celle de mon enfance. Il avait été mon professeur de français en 3ème au Lycée Henri Poincaré à Nancy. C’est lui qui m’avait donné le goût à l’écriture. En plus de mes dissertations « officielles », je lui donnais à lire les cahiers sur lesquels je racontais des histoires vécues, des poèmes ou autres textes personnels qu’on pourrait comparer à ce qu’on appelle aujourd’hui « un blog ». L’écriture était libre. Il en était mon seul lecteur mais il avait la tolérance de ne pas faire de commentaires trop sévères (comme je craignais ceux que mes parents m’eussent faits) pourtant le simple fait de savoir que j’allais être lu m’obligeait à une certaine exigence.
Il fut le seul de tous mes profs que j’ai « suivi ». Je lui suis reconnaissant de tous ce qu’il m’a transmis. Pendant les dernières années de sa vie, je l’ai vu quitter sa petite maison en ville pleine de souvenirs pour aller se résumer à une seule pièce dans une maison de retraite plus excentrée, mais néanmoins assez ouverte, et puis quelques années plus tard être contraint d’aboutir dans une Ehpad où sa santé déclinante (ainsi que la dernière année de contraintes dites « sanitaires ») rendit sa fin de vie particulièrement difficile.
J’étais le seul de ses élèves à avoir gardé le contact ; j’allais le voir quand je pouvais, et il me disait non comme une complainte, mais plus comme un soupir, son sentiment douloureux de ne plus être, ayant perdu peu à peu sa dignité.
Ancien Normalien, c’était un homme intelligent et lucide, et ses relations avec le personnel n’étaient pas égales dans ce dernier endroit où il se sentait dépendant de tout le monde. Il avait seulement trois amis avec lesquels il pouvait s’entendre, ainsi qu’une très « bonne amie » Nicole. (sur la photo)
Je le prévenais de ma venue à l’avance, et ma visite était comme une clairière dans une forêt profonde. Mais depuis le mois de Mars, impossible, blocus total. J’ai appelé à plusieurs reprises, inquiet de son état, mais je n’étais pas de la famille et il m’a été répondu que « pour l’intérêt des malades… » je ne pouvais pas le visiter. Quand par hasard on dirigeait mon appel vers sa chambre ça ne répondait pas.
Après le premier confinement, cet été, j’ai tenté ma chance mais à nouveau je n’étais pas le bienvenu. J’ai craint que son décès ne soit passé inaperçu, anonyme parmi tant d’autres… Pourtant non, seulement quelques heures à peine après, j’étais informé qu’il avait à jamais fermé les yeux. Au moins cet appel m’a-t il donné à penser que à j’étais resté présent pour lui comme il l’était pour moi, ce que m’a gentiment confirmé sa compagne Nicole qui m’a donné quelques détails sur les dernières circonstances. Sur les cinq amis qu’ils étaient, l’un était mort du COVID, l’autre actuellement à l’agonie, Jacques venait donc de décéder, il ne restait plus qu’un ancien légionnaire « amusant mais un peu immature » et elle qui ne souhaitait plus désormais que de s’envoler à son tour pour aller rejoindre son dernier amour. « À notre étage, dix personnes qui sont parties…Vous savez CharlElie, Jacques avait beaucoup d’estime pour votre œuvre et ce que vous êtes en tant que personne. Il a été très sensible à l’attention que vous lui portiez, mais vous savez notre fin de vie s’est faite dans un isolement complet, ce qui nous a juste conduits à travers un couloir de tristesse, vous ne pouvez pas imaginer… ».
Certes, on a voulu protéger les personnes âgées oui, mais à quel prix ? La gestion du COVID a fait certainement autant de mal que le COVID lui-même.
Respects et amitié à m.Jacques Ponchet, professeur de Français qui m’a donné comme à beaucoup de ses élèves j’en suis certain, le vrai goût de la langue française et le plaisir d’en écrire les mots.
CharlElie COUTURE
12 Décembre 2020