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Confesse Book

421 – Faire de la place

Pour me changer des idées noires qui tournaient en litanie dans le ciel couvert des informations nationales et internationales comme des corbeaux d’effroi, j’ai d’abord commencé par ranger des cartons de livres empilés que nos parents nous avaient légués. Ce faisant, je me suis ainsi plongé dans leurs connaissances, leur savoir, leurs émotions. Mes parents lisaient vite. Ils achetaient des livres comme nous achetions des disques, comme aujourd’hui on n’achète plus que du temps pour regarder des séries qui diluent l’histoire le plus possible. La concision est à l’opposé de ce XXIème siècle délayé sans eau car il ne pleut pas, quand l’été est le plus chaud jamais enregistré…
Des livres au kilo. Quand ils ne sont pas sterling, les livres d’occasion n’ont que peu de valeur. Pour la vingtaine de cartons, l’évaluation des professionnels se faisait au poids. À peine s’ils ont regardé ce qu’il y avait dans les cartons. Alors plutôt que la déchetterie, j’ai choisi d’en conserver quelques uns : Edgar Poe, « Le silence de la mer », « Histoire d’O », Gide ou Camus en version originale… Alors pour les ranger, j’ai dû trouver/faire de la place. Sauf que tout est dans tout. L’effet papillon. Je devais en sacrifier certains pour en mettre d’autres. Alors j’ai rangé mon bureau et des objets que je croyais perdus sont réapparus. Et avec eux des bouffées de nostalgie. Les choses racontent l’histoire de nos intérêts, de nos priorités ou de nos aspirations. Ensuite je me suis attaqué à l’atelier au sous-sol, où tant d’outils s’étaient accumulés, et tant de poussière.
Dégager de l’espace. Faire de la place. Asphyxié que nous sommes par ces centaines d’objets, immobilisés dans le filtre de nos envies capricieuses. On n’apprend pas à faire le vide. Dans cette société de consommation, faire le vide est une attitude séditieuse, quasi réfractaire. D’autant que le concept de « jeter » n’est pas naturel. Pendant longtemps l’Homme a construit en dur pour que les choses durent. Aujourd’hui on fabrique dans le but de vendre, ça n’a rien à voir avec la solidité ou l’utilité.
Pendant les vacances dit-on, « essayer de ne penser à rien ». Si certains se cachent dans le désordre, d’autres le font dans le rangement. Un (Texas) rangeur peut être envahi de la même confusion que le trouble qui habite ceux qui vivent cernés par le désordre.
Et puis sont venus les cartons de photos…. Alors dans le tunnel spatio-temporel des souvenirs, c’était « Retour vers le Futur » sans DeLorean DMC12. Revivre des moments qu’on croyait oublié à jamais. Se dire damned, qu’ils existent toujours, preuves des « cold case » de notre adolescence; postures et mimiques, figés sur cette feuille de papier photographique collée dans les albums que ma mère passait ses dimanches à annoter scrupuleusement… Relire son passé à travers le prisme d’une expérience adulte. Entendre siffler comme un larsen les bruits de ce qu’on fantasmait de l’existence, et comparer cette symphonie idéale à la cacophonie ou à l’opéra rock de ce qu’on a pu/su accomplir.
Or donc ma vie a ressemblé à ça ? Ce jeune homme qui ne fait rien pour paraître autre chose que lui-même devant l’objectif, oui c’est moi. J’étais pudique. Chez nous il était mal venu de se faire prendre en train de chercher à séduire. Alors je n’ai jamais fait beaucoup d’efforts pour charmer des proies. Je me voulais vrai. Le mensonge était considéré comme une infamie. Oui c’est ça j’étais brut. Comme une matière première. Lorrain, un peu brut de décoffrage. Voilà ce qui m’apparaît à l’évidence en regardant ces photos de jeunesse. Comment aurais-je pu faire mieux? Je ne sais pas. J’étais pressé. Il fallait que ça passe. Coûte que cout’(ure). J’ai souvent agi en défiant les évidences, craignant au-delà de tout que la fumée des conventions n’éteigne le feu de mon enthousiasme. Mais le prix à payer est élevé, je l’ai payé cher face aux brillants flambeurs ! Bref…
J’agis. Je continue de me mettre (et centimètre) en mouvement, en action, baissant les paupières afin de ne pas être aveuglé par les éclairs qui illuminent le ciel des orages et catastrophes grondant partout sur cette planète. Car oui, je souffre en voyant l’effondrement des falaises de nos certitudes généreuses, érodées par les vents de la modernité TikTok. Oh! j’en, ferais peut-être partie si j’avais l’âge de monter sur le tatami ? Mais voilà, si à l’époque de ma jeunesse, j’avais « le devoir » d’être en rébellion contre la surconsommation capitaliste dont j’imaginais les effroyables conséquences, aujourd’hui sexagénaire, non seulement je constate que la situation est pire que les pires présages, mais je m’entends dire que l’âge qui est le mien m’assimile aux coupables. Blues !
Alors pour me prouver à moi-même le contraire, je continue ma tâche avec constance, en me soûlant d’activités:
– Comme un cuisinier qui propose une nouvelle carte, comme des comédiens qui joueront une nouvelle pièce, j’ai concocté avec Karim le nouveau programme des concerts de la tournée « Trésors cachés » qui démarrera en Septembre. Chaque concert est un nouveau challenge (Dire qu’on va jouer devant un public masqué…) M’enfin. Pfff.
– Et puis j’ai préparé/emballé l’expo « Portraits croisés » que je présenterai en Septembre au Cap d’Agde,
– Et puis aussi celle des « Rimbaud d’aujourd’hui », qui sera en avant-première au Musée de Douai en Novembre …
– Et puis, j’ai enfin finalisé un jeu sur lequel j’avançais depuis des années sans trouver une conclusion satisfaisante à la règle du jeu.
Lors du tournage du film pour « la Maline », Arnaud Courtecuisse m’avait parlé de son goût pour inventer des jeux, alors je les ai invités à venir partager leurs avis sur celui que je dessine depuis des lustres. Du coup, il y a quelques jours, Freddy Pannecoke et lui ont fait la route depuis les Hauts-de-France jusqu’au Grand Est, et on a passé la journée à envisager des tactiques pour faire évoluer ce jeu. Le soir enfin il est sorti de l’ornière. Comme on dit : maintenant y a plus qu’à !
– Le temps d’échanger sur le rectangle des courts en terre battue de Gérardmer avec d’autres accros de la balle jaune, et puis un festin en plein air dans la ferme Vosgienne de Vincent Munier,
– Et puis les guêpes…
-Et les journées caniculaires…
L’été est passé si vite, on entend déjà en filigrane dans les conversations, poindre les préoccupations de la rentrée pénétrées par la crème grasse de cette obsession de la deuxième vague qui n’a jamais eu lieu, (heureusement) et sur laquelle les jeunes ont bien fait de surfer !
– CharlElie vous êtes fou !
– Sinon quoi : Restez chez vous ? Faudrait savoir : soit il faut la distance d’un mètre, soit le masque…
– Non les deux !
-Et puis quoi encore ?
– Une plus grande distance…
-Et puis quoi encore ?
– Un double masque, une combinaison, des gants, et se laver les mains…
– Sous les gants ? N’importe quoi sinon tu t’fais passer un savon.
J’dis ça, j’dis rien, j’m’en lave les mains comme Ponce Pilate… à la pierre ponce. Et puis quoi encore ?
– …
CharlElie
Août 2020