Huit heures du mat’ je remonte dans le van. Back to La Rochelle pour une journée de promo.
Pendant que le chauffeur trace des lignes droites sur les 4 voies de l’autoroute, je dors tordu malgré le coussin gonflé comme une bouée supposé me tenir le cou. Mais bon, derrière les vitres teintées du véhicule, je ne vois pas passer le temps.
Arrivée 13 heures, on a bien roulé.
Garer le van derrière le théâtre.
– Bonjour je viens pour…
– Oui c’est ça… allez, allez, gare-toi là avant que le plot du parking se relève…
Philippe qui s’occupe de la régie de la salle est un régisseur aguerri avec qui j’ai travaillé il y a des années, on avait été ensemble à La Réunion où je l’avais vu disparaître dans une vague sous un Jet Ski avant qu’il ne réapparaisse miraculeusement emporté par le courant un peu plus loin… Depuis qu’il est dans le métier, il en a vu de toutes les couleurs, lui qui fait la régie du festival Hard rock du Hell Fest, alors La Rochelle à côté doit lui paraître une sinécure.
– T’as faim ?
– Oui, homme manger nourriture.
Les plats cuisinés on peut mieux faire chez André, mais le plateau de fruits de mer : un must.
Sur la grande scène, c’est Cantat qui balance. Comme on pouvait le penser, les spectateurs seront là ce soir encore, pour voir « celui qui ». No comment. Trop de bruit. Un bruit qui me dérange … J’ai rendez vous avec un journaliste de Ouest France. On s’esquive. Ouf. Un peu de calme. Il y a des interviews qui font du bien. Questions très intéressantes. Et puis c’est Didier Varrod pour France Inter, puis tour de manège en mer sur un catamaran avec France 3, et puis Radio bleue, puis l’agence France Presse…
– Toi, ça fait plaisir de te revoir. Alors tu reviens à la chanson ?
– Entre nous je ne l’ai jamais quittée
– Toi CharlElie, tu fais partie des habitués des Francos…
– To be or not to bitude, la dernière fois qu’on m’a invité c’était il y a 18 ans. Si t’appelles ça une habitude, profites-en, je ne sais pas où je serai dans 18 ans ?
– Ah…
– Mais je suis content d’y revenir ; en effet je suis toujours là et bien là. Comme on dit : il y a une grosse différence entre « apparaître » et « ne pas disparaître ».
L’après midi passe vite.
On retrouve des amis avec qui on se régale dans un restaurant sans manière de la rue gourmande.
Et comme prévu, étant donné le problème dorsal de celui qui était la colonne vertébrale de la Seleção, le Brésil perd chez lui 3/0.
Dimanche.
Jour de finale.
Il pleut.
Balance le matin.
Interview France2
Écrire toute l’après midi dans ma chambre en attendant le top départ.
On joue en fin d’après midi, le show ne doit durer qu’une heure. On a prévu un set compact.
La salle est affichée « complet ». Il y a du monde dans les allées. Au troisième rang, je reconnais un de mes fans, venu de l’Est de la France.
Ça joue bien, mais nos repères sont différents de ceux auxquels je suis habitué. Les enchaînements de chanson se font sans attendre, comme les foulées accélérées d’un coureur de 1000 mètres qui doit tout donner sur 400.
A la fin les gens debout ne veulent pas sortir. Mais la salle est rallumée, il n’y aura pas de troisième rappel. Pour ceux qui en veulent plus nous seront en tournée à partir de septembre.
Le bilan de cette semaine est plus que positif. Contrat rempli. Je remercie ceux qui m’ont invité à prouver que j’étais encore bien vivant malgré la rumeur qui me disait mort.
Et puis l’Allemagne bat l’Argentine.
Belgique, en quart de finale, Hollande en demi et l’Allemagne gagnant la finale, je ne vois pas comment lesdits spécialistes du foot peuvent pronostiquer qu’après avoir battu le Honduras, la Suisse et le Nigéria (et égalité avec l’Ecuador), en quoi les Bleus, si sympathiques soient-ils peuvent bien avoir des chances de gagner la coupe d’Europe dans deux ans ? Si ce n’est bien sûr que tout le monde a toujours sa chance.
Passer par Paris.
TGV EST pour visiter les caves et arrière – magasins de l’ Imagerie d’Epinal.
Sur des linteaux des dizaines de milliers de fines feuilles de papier jauni imprimé, ailleurs dans les caves des centaines de pierres lithographiques jadis utilisées par les éditions Pellerin, imprimeur entreprenant. Dormant dans la poussière, c’est toute l’envie de la diffusion du savoir que nous avons sous les yeux. Un véritable trésor de la connaissance que voulait diffuser cette famille d’imprimeur pour participer au développement d’une éducation populaire. La télévision n’existait pas. Il y avait encore bcp d’illettrés, Jules Ferry n’était pas encore né. Animaux, insectes et papillons, sciences et techniques, armée, jeux ou économie, commencé dans l’élan Napoléonien post révolutionnaire, l’imagerie d’Epinal véhiculait des concepts parfois complexes parfois servait d’arguments de propagande. On voit aussi apparaître les premières réclames publicitaires, et c’est en filigrane les prémices d’un monde aujourd’hui dominé par une image (en mouvement) qui va naître dans cet endroit. Mais alors tout restait à inventer et ces gens ont pressenti cent ans plus tôt la Puissance et le Pouvoir de l’Image.
Les nouveaux responsables sont jeunes et pleins d’idées, ils voudraient redynamiser cet endroit de renommée mondiale, mais dont l’activité est un peu tombée en désuétude. Aussi suis-je invité avec quelques autres graphistes présents dont le célébrissime Serge Bloch, à dire ce que pourrait m’inspirer ces images. Retour sur Paris le soir même.
Et puis déjà la dernière date de cette mini pré tournée d’été.
Arrivée sous le soleil à la gare de Toulon, encore une heure de route.
Le soleil se couche quand on arrive sur zone. Une belle scène et autour les étals de camelots artisans hippie zen vendant tee shirts et sacs en tissu, parfums et soutien au Sea Shepherd du Captain Watson.
Faire la balance à l’ombre dans le chant des cigales. J’adore. Bon matériel. Super son dans mes oreillettes ; pour le mec qui fait les lumières c’est plus difficile de caler ses projecteurs de jour, mais quoi qu’il en soit, on a hâte d’y être. Par contre il nous faudra attendre, on est programmés à… minuit. C’est tard. Pas tant pour nous que pour les spectateurs auxquels on demande un gros effort. Pourquoi ce choix de la part des organisateurs par ailleurs très sympas et qui en sont pourtant à leur 24 édition ?
Ce détail ça n’altère pas notre envie.
On va se reposer à l’hôtel.
Au cours de mes tournées, j’ai visité des centaines d’hôtels. En France très peu se ressemblent. Quelque fois en bien, quelques fois en pire, mais plus ils sont pittoresques et « différents » meilleur est le souvenir. J’aime la diversité des lieux d’hébergements que la France propose. Les grandes chaînes d’hôtellerie appliquent des conventions réfléchies, un cahier des charges rigoureusement évalué, l’accueil y est poli autant que neutre, ces chaînes d’hôtel calibrées sont aussi pratiques qu’ennuyeuses, et les nuits là se confondent dans mon souvenir.
La richesse de la France vient de la diversité des propositions. L’uniformisation des systèmes est clairement ce qui me dérange le plus aux Etats-Unis, ce qu’on peut appeler « la protocolisation ». Si les récentes élections Européennes ont donné tant de place aux Euro sceptiques, (qu’on a habilement confondus avec les nationalistes démagogiques), c’est peut-être parce que les gens craignent l’aplanissement des différences. J’entendais parler de ces 40 professions dites « libérales » qu’Arnaud Montebourg voudrait dé-libéraliser. Proposant que l’Etat régule le trafic de leurs affaires, afin de réduire les disparités. En d’autres termes il veut écraser les fréquences à la manière d’un équaliseur. Ça part sûrement d’une idée généreuse, mais elle est abstraite. C’est un principe de chambre, qui tend vers un idéal d’égalitarisme théorique. Un des mes amis pasteur disait : si tu veux faire à coup sûr des gens heureux, coupe la tarte en parts inégales…
Bon, voilà à quoi je rêvasse sur mon lit, dans cet ancien four à pain aujourd’hui transformé en chambre, au bord d’une petite route de campagne, attendant qu’on me fasse signe afin de rejoindre le lieu du concert situé à quelques kilomètres.
Mon copain François Hadji Lazaro est sur scène avec « Pigalle », son groupe mythique. Son Folk Rock égaye l’atmosphère, je me prépare. Ça va être à nous ? Mais non ! Quoi ? On me dit qu’il y a encore un groupe avant… des anciens du Massilia Sound System. But Why ?
Je prends mon mal en patience, Karim me donne des trucs pour améliorer l’usage de mon téléphone portable, on rigole entre nous… La Rochelle on jouait à 6 heures et demi, ici c’est en plein décalage horaire. Minuit et demi, finalement, nous y voilà !
L’enchaînement des morceaux se fait bien. Fluide, tonique. On prend notre pied. Régal sans égal. Bon son. On va se quitter sur une bonne note, en accord. À partir de demain, on se sépare pour quelques semaines. D’ailleurs à 5 heures du mat’ Karim prend un train pour aller faire un gig à Volvic, un autre reprend la route avec le camion, un autre fera le son dans un parc d’attraction, un autre part régir au Mexique et puis en Espagne, un autre a une séance de studio demain après midi, etc. C’est ça la vie des intermittents du spectacle vivant.
Moi je vais rester quelques jours dans le Sud. En profiter pour aller visiter des galeries qui distribuent mes œuvres ; je passerai aussi par Lourmarin à la Fenière chez Reine et Guy Sammut, et puis j’irai à Avignon voir le spectacle de mon frère, « l’inclassable » Tom Novembre qui, dit-on, fait là bas son « come back » avec un spectacle très drôle intitulé « le récital »…
Or donc, dans la famille, on a chacun le sien.
® CharlElie. – Juillet 20XIV