Le tir d’une rocket nous a fait sursauter, répétition interrompue. J’ai enlevé mon casque et je suis allé houspiller JW Tsonga qui faisait n’importe quoi sur sa basse…
– T’inquiète pas ça va aller le jour du match, m’a-t il répondu.
Abasourdi par son audace, je rétorque :
– T’es vraiment un grand naïf, déjà que c’est pas ton instrument de prédilection. Tu te rends pas compte, la musique, c’est un métier. Le public ne pardonne rien !
L’attachée de presse a frappé à la porte en me disant de me dépêcher. Je suis descendu. Une limousine Uber noire m’attendait en bas de l’immeuble. Le gars m’a déposé à la gare avec un sourire en prime.
À l’autre bout du wagon, j’ai reconnu Frédéric Lopez qui se marrait en douce.
– C’est quoi ce plan ? J’ai demandé. Il n’a pas répondu, comme s’il ne me voyait pas.
Le trajet m’a semblé durer une éternité.
Soudain le tramway s’est arrêté dans une banlieue pavillonnaire. Dans un haut-parleur, une voix autoritaire a dit : « Letzte Station ! Alle aussteigen ! Raus schnell ! Lassen sie die Eisenbahnwaggons!» Tout le monde descend.
Un tuk-tuk multicolore me dépose devant une maison bourgeoise. Je ne sais plus où je suis ? A côté de la porte, une plaque émaillée : « chez Colette ».
J’ai monté les quelques marches du perron et j’ai tiré la bobinette. Igor Stravinsky est venu m’ouvrir. Il ressemblait à mon grand-oncle Maurice. Pendant que Colette parlait chiffon avec une personne qui m’accompagnait que je ne connaissais pas ; Igor lui, me montrait des partitions inédites. Colette voulait de l’argent pour, disait-elle « partager les frais du repas ». Mon accompagnatrice a payé pour ne pas faire d’histoire, et je me suis esquivé en douce.
J’ai trouvé un vélo électrique appuyé contre un buisson. À peine ai-je donné trois coups de pédales que la bicyclette s’est extraite du sol façon E.T.
J’ai rejoint la ville à la nuit tombante. Elle était belle, vue d’en haut.
Et me voilà atterrissant sur une terrasse du « Dakota Building ».
Hugh Jackman fumait une clope dehors en discutant avec une statue de cire représentant Lauren Bacall. Me voyant mettre la chaîne, Hugh me dit : « Tu sais, Charlie, c’est pas la peine, ici, ça craint rien » ; puis il éteint sa clope et m’invite à entrer en tirant une baie coulissante. A l’intérieur, il y avait une party organisée par Arthur pour fêter sa réconciliation avec Craig Fergusson …
Les rêves sont vraiment une addition de portnawaks. Cônes, icônes, E-cones. Les noms tournent dans nos têtes comme les bris de verre colorés dans un kaléidoscope, ou comme des formes fractales produites sans fin par des algorithmiques débridés…
Je me suis réveillé. Enfin peut-on dire qu’on se réveille à New York ? Ici, la lumière, le tempo, les bruits, tout rappelle que la vie, c’est du cinéma (à moins que ce soit l’inverse) ; je ne sais pas qui distribue les rôles aux acteurs que nous sommes.
Chaque vie est un scénario plus ou moins bien écrit, on trouve de grosses productions, des vies spectaculaires pleines d’effets, de trucages et de bluff, des vies bling bling et des double bangs, et aussi d’autres vies mélo-dramatiques, ou tragi-comiques, des vies plus marginales, plus « littéraires » avec des budgets restreints.
Depuis quelques années le casting de ma vie s’est un peu étoffé.
Nightclubbing ou jetseting, il y a des pros du cocktail et de la soirée privée, moi je ne suis qu’un amateur.
Comme Berlin, Amsterdam, Shanghai ou même Paris au début du XXème siècle, New York est un point de convergences où les idées foisonnent ; alors bien sûr j’ai croisé beaucoup de gens assez exceptionnels, parmi eux aussi des célébrités, (j’en ai ignoré d’autres aussi fameuses, que je n’ai pas reconnues). Dans la vie, il y a ceux et celles qu’on connaît, autant que celles et ceux qu’on ne reconnait pas. Chacun son monde, chacun son théâtre, chacun ses partenaires.
Je n’ai jamais lu les tabloïds et je ne suis pas à l’affût de la poussière d’étoile – comme celles que j’entendais encore hier soir pousser des hurlements stridents enfiévrés derrière les barrières de sécurité, quand une constellation d’astres à paillettes venues des MTV Video Awards sont descendues, ou plutôt montées dans leurs chambres du « Four Seasons Hotel ». Je me demandais : « Mais pourquoi crient-elles ces jeunes filles ? C’est quoi ces hurlements déments ? Que veulent donc exprimer ces stridences hystériques ? Peut-être veulent-elles attirer l’attention ? Moi, si j’étais à leur place, ça me ferait plus peur qu’envie ! –
J’ai partagé pendant des années un atelier au top floor d’un commercial building avec l’artiste Japonaise Mariko Mori ; un jour j’ai retrouvé en sa compagnie Ryuichi Sakamoto avec qui j’avais été juré dans un festival quelques années auparavant.
J’ai croisé David Bowie dans une expo, Yoko Ono dans une autre, et Jeff Coons avec quelques amis … J’ai discuté avec Elton John (chez Cartier). J’ai serré la main de Richard Wright (keyboard de Pink Floyd) et de Patti Smith après un de ses concerts. J’ai mangé avec Woody Allen (dans l’atelier d’Arman), et aussi avec Paul Morrissey (qui réalisait les films qu’on attribue à Warhol). J’ai trinqué avec Bono. J’ai été invité à l’anniversaire de la femme d’Eric Clapton. J’ai croisé Jack Black à deux occasions dans Soho, de même que Courtney Love (à Little Italy) et Steffi Graff sur Park Avenue. J’ai même pris le taxi que Philip Seymour Hoffman venait de quitter.
La porte ouverte autorise à franchir le pas. La liste des artistes Américains qui sont venus me visiter dans mon workshop, couvre à elle seule une trentaine de pages du livre d’or. Eh « Si tu ne viens pas à Lagardère,… » disait le Bossu. Tous il est vrai, ne sont pas célèbres. Pourtant un soir quelqu’un qui ressemblait bcp à Meryl Streep est passé quelques instants à la galerie (…), avec Matthew Modine (Birdy) on a parlé de plein de choses et de Keith Carradine avec qui j’avais tourné dans « The Moderns », et puis il y a eu la sœur de Frank Zappa …
Je rencontrais souvent David Byrne qui habitait juste à côté de la galerie. Il a depuis déménagé, et j’ai pu récupérer chez lui des étagères dont il n’avait plus l’usage.
Oui, c’est vrai que la célébrité fascine comme si c’était une fin en soi. Pourtant quand on approche les héros béatifiés par les médias, ils ressemblent à des soudeurs-scaphandriers. On peut les trouver ridicules, emballés dans une combinaison qui les protège du monde, respirant l’air qu’on leur donne. Mais il faut aussi penser que mis à part les « pipoles » papillons de nuit qui volettent d’un flash à l’autre, en général les célébrités en sont là parce qu’en d’autres circonstances, ils sont capables de souder des tubes à des centaines de mètres en immersion dans un environnement pas toujours accueillant, parce qu’en premier lieu, c’est ça leur boulot, leur passion, leur raison d’être.
Pour moi, New York est une « vill’usion », la ville de toutes les illusions. Tout est mouvement, on ne peut pas s’arrêter, si l’on se fige, on est mort. Alors on continue, coûte que coûte, la tête dans le guidon. Les événements se suivent et s’enchaînent sans logique comme dans un rêve, avec une part de mystère et de choses qu’on préfère taire, et une part de fantasmes à l’équerre,
Comme un rêve auquel on veut croire,
Même éveillé.
® CharlElie – New York Aug 20XIV