Keep on movin’ (2) .
Musique en ‘été
La Rochelle
10 Juillet
Je viens de répéter « l’Avion » que je jouerai ce soir au cours de la soirée spécial Trente Ans des Francos. Au sortir de la scène, je croise Gérard Manset l’appareil photo à la main. Avec pudeur et discrétion :
– Voilà, comme ça, oui, attends, ne me regarde pas !
On sent qu’il s’amuse. Portrait de profil.
A la cantine, bonjour rapide à quelques techniciens avec qui j’ai bossé il y a des années et puis Julien Doré qui joue avec un gamin.
Récupérer mes affaires en loge ; quand je vois venir Miossec et Kent, venus de loin pour un duo. Tous les deux chapeautés avec des pattes pointues, ils se ressemblent comme Double-Pattes et Patachon. Arrivent ensuite Alice Botté et Arnaud Dieterlen, guitariste et batteur brillants polyvalents avec qui j’ai joué pendant des années, qui ont aussi accompagné Christophe, Bashung, Fred Poulet, Jad Wio ou Thiéfaine. Aujourd’hui ils assurent derrière icelui qui est, et qui restera à jamais un troubadour champagne / caviar, Charles Trenet lunaire passé à l’électrique dont la gouaille volubile a satisfait plus d’un rêveur, je veux parler de Jacques, dit le « Grand », père de, et aussi de.
Retrouvailles.
– Waah Alice,… Dis donc, ça me fait vraiment plaisir de te voir. C’est injuste, t’es plus beau que jamais !
– Attends, la dernière fois c’était quand ?
– En 2007 ou 2008
– Ah ouais, pour le vernissage de ton expo dans le Marais
– Oui c’est ça pour les Photograffs, chez Baudouin Lebon, je m’en souviens… Vous nous aviez offert deux heures d’impros.
– Y avait Vincent (Bucher)…
– Je l’ai vu en Septembre dernier à Manhattan, il faisait de l’harmonica pour un super groupe de Blues au bord de l’Hudson.
– Comment va-t il ?
– Nettement mieux… Et toi comment ça va ? Tes femmes, tes gosses…
– Je reviens de Corse…
– Etc.
L’attachée de presse vient me chercher.
– Vous faites France Inter avec HF Thiéfaine à l’autre bout du port, vous me suivez…
Je suis content de retrouver HF. Sa gourmandise de mots complexes, son envie de surprendre l’auditeur à chaque vers, et cette « Ruelle des morts » bien arrangée.
Tous deux originaires de l’Est de la France, on a en commun la complicité des poètes chanteurs. A fleur de peau, tout en contrôle, Thiéfaine choisit ses mots comme on pique des merises dans un bocal de schnaps. C’est la première fois qu’on va se retrouver assis à la même table devant des micros. On a un parcours un peu similaire : on a fait beaucoup de disques, on a eu le même tourneur, on s’est retrouvé suivre les mêmes itinéraires ; deux expériences de carrières en longueur remplies d’anecdotes. Ça pourrait faire un bon moment de radio… Mais apparemment, y a pas le temps pour ça. Une seule question chacun. Dommage, la montagne accouche d’une souris comme on dit, cette rencontre est à la chanson, ce qu’un snapchat est au cinéma.
Poser les affaires à l’hôtel. Dans le hall de la Résidence de France, j’échange quelques paroles aimables avec Jeanne Cherhal qu’on m’a demandé de présenter après ma chanson. ».
SMS :
– Prépare toi, fais, toi beau !
Mince, il faut des boutons de manchettes pour cette chemise qu’on vient de m’apporter. Qu’à cela ne tienne, je mets des épingles en guise de b.d.m. Punk’s not Dead.
Donc me voilà de retour. Même endroit ici. La dernière fois, c’était en 1996 avec mon disque « les Naïves ». 18 ans que je n’avais pas été invité, et pourtant on m’accueille avec de grands sourires aimables.
De retour dans l’empire du backstage au pass obligatoire et bracelet d’un jour « all access ». Me voilà au milieu du Milieu. Techniciens, régisseurs, « manadgeurs, », éditeurs, programmateurs, producteurs. Serrer des mains connues et d’autres inconnues ; ceux qui se connaissent comme de vieilles connaissances, et ceux qui s’ignorent … volontairement.
Lavilliers a fini le show qu’il faisait en début de soirée. Aussi a-t il la conscience tranquille. Les yeux allumés, il m’enlace en me disant des mots gentils, des mots de compère guilleri et compère guilleret :
– J’adore ta chanson… celle avec ce mec bourré qui saute en l’air et il se demande ce qu’il fait avec un révolver…
– Under control ? Take care Brother…
– De quoi tu me parles ?
– Rien c’est le titre de la chanson…
– Ah … Ouais c’est ça. J’adore… et New York, ça va là bas ? … Toi, CharlElie t’es un vrai artiste ! Et « Nanard » disparaît dans la nuit des marins, ceux qui ont navigué dans tous les ports, ceux qui connaissent le bruit des vagues sur la coque de leur chaloupe. Lavilliers est un capitaine de chanson, un vrai marin pêcheur. Aujourd’hui il faut voguer loin, hein !
Manger une assiette à la cantine des cantiniers.
Et maintenant, attendre.
Attendre que le spectacle de « l’Autre » se termine. Attendre notre tour. Attendre en devisant avec l’un et l’autre. Parler de la pluie et du beau temps. Parler de New York ou d’Ivry Gargand. Parler de tout et aussi de rien. Ça nous donne l’occasion de faire connaissance. J’ai du plaisir avec le fin Thomas Dutronc, évoquer notre ami commun Gilles Verlant décédé dans un escalier, je discute écriture avec Renan Luce, peinture et Amérique avec Ben L’Oncle Soul diplômé des Beaux-Arts.
On fait ce qu’on peut pour tuer le temps, sans trop s’énerver, attendant que ledit troubadour septuagénaire ait fini de troubader. Certains ne savent pas finir. Lui, le talent le galvanise. Une fois sur scène, il perd conscience du monde qui l’entoure. Il se croit seul dans l’Univers ; mais ce soir on est trente à attendre que ses improvisations aient fini d’être inspirées et qu’enfin épuisé, il accepte de laisser la place. 30 runners dans les starting block, programmés pour monter sur scène. Un seul titre à interpréter, on sait que c’est filmé, pas de retour en arrière possible. Chacun le cache à sa manière mais on est tous plus ou moins stressés. On pourrait entendre nos cœurs battant. C’est ça notre vie.
Avec une heure de retard le « Show des trente ans » démarre enfin, prévu d’être diffusé en Septembre.
Omar Sy en assure les inters. Conscient de la responsabilité qu’on lui confère, quatre caméras autour de lui. Passant du téléphone de Canal + aux grands écrans d’ Intouchables, en deux ans il a acquis une autorité, une prestance de star.
Ça va vite. Les uns après les autres se suivent. Programmé en queue de peloton, j’ai le temps de voir venir les échappées. Noah dans sa loge tourne en rond, Aubert la guitare à la main et toujours son sourire généreux, Elodie Frégé et son rouge à lèvre, Adamo me parle de son frère, un sourire à Souchon au sortir du maquillage, comme à Voulzy dans l’ombre mais qui n’est jamais loin, et pareil à « l’hydre Derlem », pas l’ temps de saluer Nolwenn Leroy que déjà la muse a rejoint les korrigans dans sa loge, les « Innocents » toujours musiciens, Véronique Sanson radieuse, Jonasz en chemise blanche et costard pour le plaisir du swing, et Bénabar le bon voyou plein d’énergie, tee shirt moulant, cheveux gominés, on sent qu’il en veut… Bref tout le gratin aux pommes en Bretagne.
Une des chargées de prod / script une feuille à la main m’a fait monter sur le plateau presque une demi heure avant que j’intervienne. Dans ma tête ça bat la chamade. Blanck. Trou noir. Le vide. Soudain, je ne me souviens plus des mots de ma chanson, pourtant celle-là… je l’ai chantée plus qu’aucune autre. La gorge sèche, la langue collée au palais. Les artistes défilent les uns après les autres. Ça s’accélère. Un me dit:
– Mettez-vous là !
Je suis sur la rampe de lancement. Je relis pour la dixième fois le texte de la chanson, plié dans la poche de mon gilet. On me murmure gentiment :
– Les gens t’attendent… tu peux créer l’événement !
A la fois ça me stimule, et mon cœur bat encore plus fort. Je doute. Comme un équilibriste avant de traverser le grand canyon sur un filin tendu. Pacôme est là. Il ne dit rien, comme un coach au visage impassible un jour de finale du grand chelem.
Alice me tape dans le dos. Lui qui a joué pendant vingt ans cette même chanson avec moi et que j’aurais préféré avoir à mon côté plutôt que l’orchestre de télé choisi dont le guitariste a même « oublié » le solo au moment des répets… Anyway. Ce sont des pros et ça va aller, dans quelques minutes j’y serai.
Le noir se fait. Changement de plateau pendant que des images d’archives sont présentées sur les écrans géants. On me conduit dans le noir. Je m’installe. 4, 3,2 1 on me fait signe.
Lumière. J’attaque, en solo comme prévu, l’introduction. Et puis, je lance le thème, mais l’orchestre « oublie » d’entrer, et je fais le premier couplet seul au piano devant les 10 000 spectateurs, enfin l’orchestre me rejoint sur le deuxième couplet et tout rentre dans l’ordre. Heureusement les mots s’enchaînent et l’avion sans aile fait décoller ceux qui sont montés à bord…
® CharlElie – juillet 2014
(à suivre)