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Confesse Book

48 – 500 mots

Je viens d’arriver en France où le football crée une diversion. Pendant que les vrais travailleurs intermittents du spectacle vivant se font spolier de leurs droits, pendant que les hôteliers se retrouvent soudain contraints de payer un gros impôt supplémentaire inique, alors qu’on a franchi le cap symbolique des 5 millions de chômeurs, tandis que les indemnités des deux tiers d’entre eux vont être revalorisées, heureusement il y a le foot pour se détendre et penser à autre chose. Enfin penser, surtout ne penser à rien d’autre et regarder, fasciné cette sphère de cuir qui rebondit d’un pied à l’autre, d’un torse à un front. Tout d’un coup (de pied) devant le même écran, alors qu’on se détestait jusque–là, on se découvre soudain toutes classes sociales, tous genres et tous métiers confondus, enfin solidaires des brillants jongleurs aux coiffures amusantes et habillés de la même couleur, qui font évoluer avec brio un même ballon rond (éventuellement) jusqu’au fond du but adverse…

Mais ça ne dure que 90 minutes (… plus prolongations). Une fois les matches terminés, quand on écoute les gens parler, on entend bien que les jugements se radicalisent, et la montée d’un racisme ordinaire se confond avec les remugles d’un sordide antisémitisme virulent et décomplexé.

Dans les démocraties, ce n’est plus la censure qui fait taire les peuples ; grâce à Internet, tout le monde parle en même temps. Mais pour dire quoi ?

Il y a les litanies du malaise lié au dictat de l’économie, il y a les crises de conscience écologiques angoissées, et les ego maniaques qui se la racontent à longueur de social media. « Bon anniversaire Kiki » « J’aime mon chat », « J’ai mal aux reins », « Ouais, ça vaa… comme un Lundi… » ou ce genre de capsules vides, sans la moindre intention.

Un charabia salé sucré se mélange dans la tête comme des légumes et des fruits dans un saladier.

Le chœur du corps enseignant geint, souffle, pestant contre les moulins à vents. Disons, que les profs se sentent incompris n’est pas nouveau ; mais le drame vient cette fois de ce qu’ils ont l’impression de s’adresser à des classes d’élèves qui ne les écoutent plus, des élèves dont le vocabulaire s’appauvrit chaque année un peu plus.

Or les mots sont comme les couleurs.

La limitation du vocabulaire restreint la possibilité d’exprimer de façon raffinée des sentiments inévitablement plus complexes que l’image réduite qui est faite de l’Homme à travers les caricatures débiles de la communication marketing.

« Fasdanculé », « tchiken neugetts », « doollar  » et « va mourir fisdeput’ », ne permettent qu’une formulation très « basique » de la pensée. Bien sûr, ils permettent d’expurger des humeurs comprimées telles des cellules mortes jaillies d’une poche de pus, ou tel un trait de peinture sorti d’une bombe aérosol, mais « chiend’ta race » ça reste quand même assez sommaire.

Pourtant si rustres, si crus qu’ils soient, ces mots violents expriment un mal-vivre, un mal–être, un malaise lié à la difficulté de mettre en forme ses émotions.

Les sentiments de ceux qui ne savent pas parler sont aussi complexes que les sentiments de ceux qui savent mieux s’analyser.

En fait, je ne pense pas que ce soit tant le nombre de 500 mots qui compte, mais plutôt  le côté tranché de ce qu’ils expriment : gentil / méchant, bien / mal, beau /moche, blanc / noir, baisable / taspé, kulé / tepo, raciste / bourgeois, toubab / quebla, juif / rebeu, riche / pauvre, etc.…

Quand les choses, les événements, les informations sont ramenées à un binaire « c’est bien », voire « méga bien », ou alors :« à chier », « mortel », « ça tue », on se retrouve dans un monde cassant et douloureux comme un buisson d’épines.

Comme dans l’histoire de « la poule qui fait l’œuf ou l’œuf qui fait la poule », on retrouve la même alternative manichéenne dans la formalisation des discours adressés au plus grand nombre.

Parmi les fameux 500 mots, peu de place pour  « sycomore», « polyèdre », « épicondyle » ou « philanthrope ».

Pour les messages politiques, médias ou commerciaux, pour les annonces, les infos comme pour les slogans publicitaires, tous les auteurs et tribuns ont réduit le nombre des mots qu’ils emploient afin d’être entendus / compris par les masses. On ne dit plus « démagogique », on dit « populiste », bientôt ne devra-t on plus dire « euthanasie » parce qu’il y a « nazi » ? N’importe quoi ! Et pourquoi pas interdire « cacatoès » parce qu’il y a « caca » et « pipistrelle » parce qu’il y a pipi … On atteint un certain niveau de bêtise princière

Revenons sur le « fout ‘ ». Ce n’est pas que les commentateurs soient mal intentionnés, loin de là. Ils en font des tonnes de prêchi prêcha et de bonnes paroles ; mais ils se veulent si directs, allant à l’essentiel, leur flow donne l’impression qu’ils nous prennent vraiment pour des « bleus », incapables de voir ce qu’il se passe devant nos yeux. Eux vont au plus simple possible, pour ne pas dire simpliste, déclamant des phrases aillées de fautes impardonnables. Mais ça bon, à la  limite même ça n’est pas grave. Non, c’est aigu. de tout façon allez, tant qu’on gagne on veut bien entendre n’importe quoi.

Zyva.

Oh le mal des mots !

Que sont devenus aujourd’hui les ex-jeunes héros de la télé-réalité ? Les zombies qui se faisaient admirer pour leur niaiserie primaire devant un max d’audience avec leurs 500 mots de vocabulaire ?

Aujourd’hui, ils ne sont rien devenus. Juste les mêmes, en pire. Je viens de tomber sur un magazine avec une photo de cette pauvre Loana, la zozotte qui trustait les émissions il y a dix ans, celle qu’on exhibait comme avant une Lollobrigida, une Jane Mansfield ou comme aujourd’hui la plus idiote des « femmes d’affaires » Suisse qui se fait appeler Nabila… Eh bien, dis, donc, il semble que l’ex- sex-naïade nue du Loft n’ait pas vraiment encaissé le choc de la dépressurisation en quittant son orbite…

Il y a quelques mois c’était l’ancien chanteur porno d’Alliage qui mourut dans la poudre… Aïe.

Remarque dans le fond, boys-band, girls-band, ils peuvent bien faire ce qu’ils veulent, ça ne me touche pas vraiment. Il en faut aussi qui se plaisent à distraire les chagrins comme les désodorisants qui chassent les mauvaises odeurs, même si je me désole parfois de les voir montrés en exemple.

Non, je ne fais pas la morale. Quelle morale ? La morale m’emmerde comme elle emmerde tout le monde. Ils sont bien libres de faire ce qu’ils veulent; et même pour les cons aussi, la vie est sans pitié.

On subit tous le même sort : une fois passé de mode, si tu te laisses écraser comme un agrume,

quand y aura plus de jus dans le fruit, il ne restera que le zest,

mais tout le monde ne peut pas ajouter le zest à la parole…

Blague à part, c’est pas mon cas,

Je suis revenu pour le prouver.

Moi, depuis trente ans, je fais ce que je dis !

Si t’en doutes, viens nous voir…

après le match !

Cet été ça se passera à Valence, à Genève, à Carcassonne, aux Francos et ailleurs !

Mais je te préviens, y aura plus de 500 mots !

A bon entendeur.

® CharlElie – Juillet 20XIV