Menu

Confesse Book

378 – J’ai écrit pour ne pas oublier

J’ai écrit pour ne pas oublier, et raconter la chose de la maladie depuis l’intérieur de l’intérieur. Comme le témoignage d’un mineur, depuis le fond de la mine. Plus on descend bas, plus on met du temps à remonter, j’étais encore dans l’ascenseur quand on m’a demandé si j’allais recommencer à créer. Les gens sont incroyables : le texte posté était en lui-même la preuve que je m’étais remis au travail. La création, c’est juste la conséquence de l’envie d’apparaître à travers l’expression de ce qu’on est. Ça a pris encore quelques temps avant que le virus lui-même accepte l’idée qu’il n’avait plus qu’à aller se noyer avec ma sueur dans le siphon de la douche. J’étais encore branlant, je vacillais le 1er Avril et j’avais encore dans la bouche ce goût infect de métal (qui me reste encore et qui dénature tous les aliments que j’ingère. Pouark !) Mais j’avais l’intuition que c’était fini. Je voulais m’en persuader. Le voile s’était levé. J’ai écrit comme une illumination, comme un défi, pour narguer l’adversité. Rassurer mes amis, donner des nouvelles comme un naufragé envoie un signal depuis son île au milieu des flots. Informer ceux de ma communauté qui s’inquiétaient. Et remercier le médecin dont la vigilance à distance m’a sûrement rassuré.
Après avoir mis le texte en ligne, je m’étais recouché sans imaginer la vague, le raz de marée de réponses et messages d’amitié en tous genres qu’il a inspirés. Quand les médias ont relayé l’information, ça a pris encore une ampleur supplémentaire qui m’a carrément dépassé. J’ai reçu des messages de tous et de partout, émanant même de personnes dont je ne soupçonnais pas l’intérêt qu’elles me portassent! Si j’avais voulu scanner ma raison de vivre en partage avec le monde, je n’aurais pas agi autrement. Au moins une fois j’aurai vécu cela, comme si j’avais soulevé le couvercle (d’un cercueil) et qu’il m’était donné de voir celles et ceux réunis autour de mon souvenir ! « Euh, salut les gars contents de vous voir, qu’est-ce que vous faites là ? »
Désormais, je suis immunisé, je ne crains plus personne et je ne risque plus de faire du tord à quiconque ! Me revoilà de retour sur la terre ferme parmi les miens, vivants, biens vivants. Sur cette terre argileuse de Lorraine où j’ai choisi de me confiner in fine avec ma famille. À ce propos je n’ai pas compris en quoi le fait d’avoir quitté la capitale, pour aller dans cette maison pouvait faire de moi un traître à la cause du confinement, un salaud, un fuyard, un paria? Pourquoi empêche-t on les gens d’aller s’isoler dans leur résidence qu’elle soit secondaire ou principale peu importe, on est d’autant moins dangereux qu’on voit moins de monde, c’est tout ce qui compte!
Bref, nous avions passé peu de temps (et encore moins ensemble), dans cet endroit lors des seize années à New York. L’occasion de nous retrouver en famille et partager cette expérience en commun. C’est alors qu’on se rend compte à quel point on est différents, parents/enfants, vieux/jeunes, et comment les systèmes d’analyses de leur génération sont fondés sur des principes et des références différents des codes qui nous permettaient de décrypter le monde. Ils sont certains des leurs et ne veulent surtout rien entendre de ce que furent nos schémas. Alors, comme personne ne m’écoute, je me tais et je fulmine parfois intérieurement. Oh, je les entends aboutir parfois aussi à des conclusions semblables aux miennes, mais ils suivent leur logique… Je dois convenir qu’en les écoutant parler entre eux, je retrouve aussi ce mélange de naïveté idéaliste et d’assurance prétentieuse à la limite de l’arrogance qui insupportaient mon père quand je remettais jadis en cause ses propres valeurs…

Côté pratique, ce séjour obligé m’incite à remettre un peu d’ordre. Les « choses », les bricoles, les instruments, objets utiles, gadgets et doublons se sont entassés. Trop de tout. Il va y avoir du ménage.
Je suis descendu au studio, j’ai commencé à dégager des vieux matériels que je ne ferai jamais réparer, (boîtes à rythmes et samplers d’une autre génération…) et j’ai pu recommencer à jouer. Faire des gammes et chanter un peu. Ce n’est pas encore ça, mais ça va venir.
Ce virus est un trou du cul sournois. Il n’a l’air de rien mais il est ambitieux, prêt à tout pour s’implanter. Une fois en place, il jouit ostensiblement de son pouvoir, il fanfaronne de manière tyrannique, il fait des œillades et se la joue complice, mais son ambition n’est autre que d’imposer son système. Comme tous les tyrans, il se fera virer à la fin de l’histoire, mais entre temps ce petit con aura fait pas mal de dégâts.

Dehors les arbres en fleurs, les oiseaux chantent, il reste un léger picotement d’air frais ce matin, mais là aussi on devine qu’on est passé dans l’ère du printemps. Je dis ça pour les malheureux qui sont confinés chez eux en ville avec interdiction de sortir. Et ces ribambelles de voitures interdites de sortie, vérifiées par des gendarmes goguenards qui s’amusent à les renvoyer chez eux en prenant des tronches de premiers de la classe concernés consternés, sous prétexte qu’il n’est pas question de « vacances », sous entendu « vous êtes supposés en chier un point c’est tout ».
Et pendant ce temps-là le ministre vient avec sa clique de cour, sans masque ni distance de sécurité, comme s’ils étaient des êtres doués de super pouvoirs, pour visiter la scène d’un crime aussi absurde que religieux à Romans-sur-Isère.
Le monde ne changera donc jamais !!!!

Bon dimanche.

CharlElie
5 avril.