Ici, nous sommes six. On a fait le pari de rester ensemble. On s’entend bien, chacun fait sa part. On s’observe, on mange ensemble, on rit ensemble, mais on se laisse aussi des espaces « en relâche ». Si l’un d’entre nous est resté couché toute la journée d’hier avec 38 °de fièvre, personne n’a amplifié son stress légitime, et personne n’a jeté la pierre dans sa direction. Passer la journée au lit dans sa chambre, aujourd’hui ça va mieux. Chacun son tour, c’est désormais peut-être le mien, car je suis bien incapable d’évaluer la réelle teneur des affres qui vont et viennent en moi: les reins en souffrance, les articulations raidies, le nez qui coule, les jambes en coton, nausées, fièvre et maux de tête qui me désorientent. Quelle est la part de réalité, quelle est la part d’autosuggestion et celle d’hypocondrie ? Je ne sais pas. Est-ce un petit rien de rien, ou s’agit-il d’un fragment du grand Tout que cette toux qui me prend quand j’avale de travers ? N’ai-je pas seulement respiré une mauvaise poussière? Je sens le chaud et le froid aller en moi et repartir comme ils sont venus. « À part ça tout va bien » et je refuse de m’inquiéter à outrance. En ces temps démasqués, rien de plus à craindre qu’une visite à l’hôpital…
Le confinement nous incitera tous à faire un voyage intérieur. Le mien est fantasmatique, il me remplit de questions. Certaines « métaphilosophiques », d’autres physiques ou pataphysiques, éthiques ou encore… éthyliques, et d’autres plus superficielles, au jour le jour, des questions grotesques ou absurdes dérivant au gré des crues d’informations qui inondent le monde. Comment survivre aux fake news volontairement mises en ligne pour créer le chaos, confondues aux dénégations maladroites et recommandations alarmistes diffusées en boucle dans l’espoir de protéger la civilisation ? On ne sait plus à quel « sain » se vouer.
Comme tout un chacun dans l’ignorance, je suis aussi habité par cette angoisse de la mort inoculée en même temps que ce que je sais de cette maladie pulmonaire qui se répand comme le blob vers un envahissement extra-terrestre. Oui, cette maladie dont on ne sait rien, qui ne ressemble à rien, puisque chaque invité témoin, médecin soudain mis en lumière sous les spots des télévisions euphorisées par les taux d’audience, s’efforce de décrire en amplifiant encore la gravité des pronostiques qui contredisent ceux qu’avait choisis la veille un autre « spécialiste épidémiologiste ». Concours ou bataille de chiffres et de statistiques tels des records à battre. « L’Italie mène devant la Chine, mais la France est bien placée, attention les USA n’ont pas dit leur dernier mot…. », Et ainsi de suite telle une effroyable compétition létale, on se retrouve tous aspirés dans le siphon d’une psychose en spirale, comme un toboggan vers l’enfer, jusqu’au plus profond de nous-mêmes.
Il y a quelques jours, il a fallu emmener le chien chez un vétérinaire, j’en ai profité pour porter la débroussailleuse à réparer juste à côté. Il manquait une pièce… Sur la route je n’ai croisé qu’un paysan avec un masque sur son tracteur et beaucoup de voitures garées devant les maisons dans les villages, je n’ose pas imaginer ce qui se passe dans les chaumières.
Arrivé sur place, le magasin était fermé, mais l’atelier ouvert. J’ai tendu l’appareil au dessus d’une barrière. L’habile réparateur a réglé le problème en quelques minutes. En attendant qu’il me le rende dans les voitures qui passaient au ralenti, je voyais les chauffeurs me juger comme un bandit. Dans leurs yeux inquisiteurs, je pouvais lire : mais qu’est-ce que vous faites là ? J’ai même craint de voir apparaître le V.U.L. des gendarmes après qu’un dénonciateur m’aurait montré du doigt. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un jour, je me sentirais rebelle en allant porter une débroussailleuse à réparer…
(à suivre…)
CharlElie C.