À l’heure où certains fanatiques farouches et non moins furieux mystiques n’ont rien d’autre à faire que de s’enflammer sur le web à cause de la phrase, certes pour le moins vulgaire d’une adolescente agnostique (peut-être simplement mal dans sa peau) qui se propose de faire quelque chose qui s’apparente à un toucher rectal à un patient divin dépassé par les événements puisqu’il n’a jamais pris rendez-vous pour se faire « coloscoper » dans un quelconque cabinet d’urologie, à l’heure où le Sénat américain vient d’acquitter l’autre Grand Méchant Imbécile dans son procès d’impeachment, laissant libre court à sa rage de malade mental, à l’heure où rien n’est fait malgré les cris d’alarme des inquiets qui stigmatisent une violence au quotidien en constante augmentation dans les villes et faubourgs (comme le meurtre de Mathéo tué « par erreur » d’un coup de couteau par des sauvages Amiénois qui voulaient en découdre avec des «Parisiens »et qui du coup s’en sont pris à un jeune mec qui avait eu le malheur d’emprunter une voiture immatriculée 75 …), à l’heure où la vengeance armée d’un soldat fait 26 morts et 57 blessés –plus l’assassin lui-même- dans un centre commercial de Nakhon Ratchasima, au Nord-Est de la Thaïlande, à l’heure où les vents de la tempête Ciara balayent le Nord soufflant mêrme à 180kms/h dans les Vosges, à l’heure où le monde en panique ne sait plus où donner de la tête pour trouver un peu de répit, je suis allé me réfugier au Théâtre Antoine pour voir l’admirable Thierry Lhermitte dans la pièce « Fleurs de Soleil » , une adaptation de Daniel Cohen et Antoine Mory d’après l’œuvre de Simon Wiesenthal merveilleusement mise en scène pas Steve Suissa.
Sur Broadwayn on va au Music Hall pour s’en mettre plein les mirettes, en France on va au théâtre pour se taire. Écouter. Sans tousser, sans bouger. Se taire et écouter quelqu’un qui vous dit quelque chose. Aller au théâtre pour se remplir d’idées écrites. Et éventuellement méditer ensuite sur les propos qui viennent d’être développés sur scène.
Quand c’est bien fait, bien joué, bien réalisé, ramené à l’essentiel d’une mise en scène à la fois économe et symbolique comme dans « Fleurs de soleil » par exemple, c’est passionnant, et ça semble une évidence. Comme si les idées invisibles et confuses à l’extérieur, venaient prendre forme et habiter le corps de l’acteur au théâtre.
Inspiré d’un récit écrit par Simon Wiesenthal bien connu pour avoir pourchassé les nazis après la guerre, la pièce traite pourtant de la question du pardon. Quand on sait comment l’auteur a consacré sa vie pour justement NE PAS oublier, la question du pardon est d’autant plus intéressante. Ici, il ne s’agit pas de l’attribution d’une sentence ou de la responsabilité des juges appliquant ou non la loi du Talion « tu paieras œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure… », non ici se pose la question du Pardon. Doit-on pardonner à quelqu’un qui a commis un ou des crimes atroces ? Peut-on lui pardonner ? Qu’est-ce que le pardon, après tout, s’agit-il d’absoudre ? Est-ce que c’est au coupable qu’on accorde un pardon ou pour soi-même qu’on le fait ? De quel droit pardonner pour une peine qu’un criminel a fait endurer à un autre que soi ? Est-ce qu’on vit mieux pour avoir pardonné ou au contraire pour l’avoir refusé à celui qui vous en supplie ? La vengeance est-elle une manière de se soulager plus efficace que le pardon ? Toutes ces questions de morale et d’éthique qui nous hantent et plus encore lorsqu’on se retrouve face à un drame qui déchire la conscience. Bien sûr il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses à ces questions, mais le fait de les poser, admettre qu’elles existent peut libérer l’esprit d’un marasme épouvantable, qu’on pourrait appeler la hantise des « mauvaises » pensées, qui vous torturent. Jusqu’à ce qu’elles disparaissent… éventuellement.
J’ai félicité Thierry Lhermitte dans sa loge, le metteur en scène était présent. Je leur ai dit combien la pièce et la question qu’elle pose m’avaient ému. Je suis fils de déporté. Je me préoccupais des souffrances qu’avait endurées mon père et je l’ai parfois interrogé sur ce qu’il avait vécu dans les camps par la faute d’un traître qui avait dénoncé leur réseau à la Gestapo, (ce réseau dont Stéphane Hessel était le chef arrêté en même temps que mon père). Et j’avais été surpris d’entendre mon père qui portait souvent des jugements tranchants vis à vis des gens qu’il côtoyait, être assez indulgent vis à vis du fumier qui l’avait amené à se faire prendre et torturer. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que la notion de pardon était comme de nettoyer la buée sur une glace. Si l’on imagine qu’on se reflète dans l’Autre, qui qu’il soit, les pensées de haine vous empêchent de vous retrouver. Elles obscurcissent votre esprit, et vous empêchent d’exister dans ce reflet. Comme un courant d’air efface la buée, le pardon vous permet d’y voir plus clair, il vous libère d’un aveuglement.
J’ai humblement partagé avec eux cette métaphore, et je suis redescendu par le petit escalier des coulisses pour me retrouver dans la rue en tumulte.
Le vent soufflait fort, le ciel était noir et pourtant je me sentais bien, réjouis de penser que le théâtre était plein, rempli de spectateurs venus pour entendre tenir des propos intelligents, un public de gens persuadés que malgré l’oppressante superficialité d’un monde où le commerce se nourrit seulement d’apparence, il existe toujours néanmoins aujourd’hui des esprits qui continuent de penser que l’Homme ne se résume/limite pas seulement à une valeur « marchande », mais qui tentent de l’élever à un niveau supérieur de conscience et de réflexion…
CharlElie
Fév 2020.