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Confesse Book

359 – mon dossier « UCKFWE » on peut lire «FUCK WE ».

7.30h, Rennes. Il faisait encore nuit quand le téléphone m’a réveillé pour me suggérer d’aller directement à la gare afin de modifier mon billet pour avancer mon départ.
Le jour s’est levé, je suis devant une borne mais pas de chance, elle est bornée. À nouveau, ce qui devait être simple se complique, l’écran me dit qu’il « y a un problème ». Trois fois je réitère ma demande de changement de billet, et 3 X de suite, pareil l’appareil ne veut rien savoir. Aucun dialogue possible, la borne refuse l’échange. Je me dirige alors vers l’une des personnels d’assistance gilet rouge et casquette, en grande discussion avec l’une de ses semblables. Sans même tourner les yeux, elle s’interrompt à peine pour me désigner le « Service client » du bout du doigt. Là une hôtesse d’accueil appuie sur un bouton et me tend un numéro d’ordre. Heureusement ce samedi matin, peu de gens poireautent en stand by. Mon numéro s’affiche et me voilà face à une jeune agente qui sourit quand je lui fais remarquer que sans être un champion de scabble avec les lettres de mon dossier « UCKFWE » on peut lire «FUCK WE ».
Elle pianote mes références mais pas mieux, la voilà face au même étranglement informatique. À son tour elle va demander de l’aide auprès d’une collègue plus expérimentée. Fort diligente, celle-ci tente un autre truc qui ne marche pas plus :
– Apparemment quelqu’un a voulu changer votre billet…
– Oui, possible, mon assistante, j’imagine.
– Une procédure est en cours.
– Un procès ? Dur ! Quelle procédure ? Ce qui veut dire?
– Attendez…
Elle quitte le desk, franchit une porte invisible encastrée dans le mur comme si elle changeait de dimension pour faire appel à une troisième puissance… supérieure.
La cheffe d’agence arrive tout sourire. Détient-elle la clé de l’énigme ? Une solution ? Direct, sans hésiter, un sourire goguenard aux lèvres, sûre de son fait, elle tape un code (secret) qui «oblige» le système. En un instant le nœud se défait. Hé, ce n’est pas pour rien qu’elle est boss ! Les deux autres admiratives. C’est alors qu’elle me dit :
– C’est donc bien vous ?!
– Comment ça ? Disons que oui … C’est bien moi.
Son mari est revenu emballé du concert qu’il a vu de nous hier soir à Pacé. Elle va le rendre jaloux si j’accepte de lui signer quelque chose. J’obtempère et dans le même temps mon nouveau billet s’imprime.
Une fois encore le monde-machine, c’est bien beau, mais ça ne remplace pas l’Homme/Femme.

Retrouver Karim et Pierre qui prennent le même train. Nouveau débriefe:  »
– Les concerts nous amènent à rencontrer des gens pour qui notre musique est bien plus qu’une suite d’accords majeurs/mineurs.
– Avec son histoire d’art mineur Gainsbourg était juste dans le goût de la formule, le roi de la punch line provoc’…
– Depuis bientôt 40 ans que tu montes sur scène, tu as accompagné des vies…
– On fait quelque chose qui nous dépasse et qui a beaucoup plus de sens que simplement « jouer pour distraire »…
Pacé c’est déjà du passé maintenant, parlons futur. On a déjà hâte de se retrouver le 1er Février à Sainte Maxime…
Mais nous sommes dans des wagons différents alors on se sépare sur le quai.

Je sors un journal de ma poche, un homme discret s’approche, la femme à son côté aussi un peu intimidée. Ils étaient au concert d’hier soir. Ils suivent mon aventure depuis des années, d’ailleurs ils étaient aussi au Trianon. Il se souvient de la prestation de ma fille Yamée, et des anciens musiciens venus me rejoindre sur scène… Mais ils se sont autant régalés hier soir.
Je demande à l’homme dans quel domaine il travaille. Hésitant, il mur-mure qu’il bosse à la SNCF, ajoutant avec un certain embarras :
– Euh… c’est pas très bien vu en ce moment…
– C’est vrai que les mouvements sociaux troublent les usagers dans leur quotidien de même ils en incitent d’autres à découvrir le déplacement deux roues. On en a tous plus ou moins fait l’expérience, si pendant les fêtes de fin d’année il y avait eu une suspension des grèves, ç’aurait été bien vu, mais faut pas se leurrer, les gens ne sont pas dupes, les cheminots sont moins en cause que les énarques de ce gouvernement dont les décisions à l’emporte-pièce servent plus l’intérêt de Bernard Arnault et de ses amis de la haute finance, qu’ils ne servent l’intérêt de la France.
Enfin bref, sans épiloguer, le type habite à Massy, mais il est originaire de Bretagne. Me voyant programmé à Pacé, son frère resté à Rennes lui a offert le billet en guise de cadeau de Noël…
Quand tant d’autres emmerdeurs sont vus comme des plaies, des barrières, des juges de peine, alors c’est plutôt agréable d’apprendre qu’on est un cadeau !
Un selfie plus tard, on se quitte avec un sourire.

Arrivée à l’heure à Paris.
L’air est froid comme se doit de l’être celui de l’hiver.
Hier à cause des cortèges de manifestation, j’ai mis un temps fou pour atteindre la gare Montparnasse. Paris était saturé, bloqué, interdit, encombré, les rues barrées et les flics en armes, excités, à cran, prêts à la bagarre, dégainer son flashball, sa matraque, son taser, faire péter ses grenades assourdissantes, jet de poivre ou munitions lacrymogènes à fragmentation, ou faire trébucher une passante, ou se mettre à 5 pour frapper un homme au sol…
Non, rien de tout ça, aujourd’hui, Paris est facile, offert, ouvert, et tout me paraît beau.
En peu de temps, j’arrive chez moi. Il y fait chaud.
Pas un bruit dans l’appartement, je suis seul, je me sens bien, l’âme joyeuse, capable de me réjouir de choses simples autant qu’essentielles. Pacé. Peace. En fait j’ai seulement la conscience en paix.

Je plains ceux qui souffrent de s’ennuyer, et qui se cachent dans le sommeil en attendant que ça passe. À la différence de la limande au beurre blanc qu’il y a dans mon assiette, je préfère vivre debout que me retrouver à plat. Non, je n’aime pas dormir. Dés que j’aurai fini la rédaction de ce blog, je vais me mettre au mur et peindre tout l’après midi.

Comme je le disais hier : quand on me demande si ça va ? Je réponds que « j’y vais… »
Bien sûr si j’y vais, c’est bien sûr que je n’y suis pas… Mais pour autant je m’y rends… Où ? Vers l’idéal, dans l’Absolu.
Un homme arrivé est toujours fatigué. J’ai trop de choses à faire, pas le temps de me poser la question.
« Même pas sommeil ».

CharlElie
Janv. 2020