Les temps sont durs…
Né à Fort de France, informaticien au sein du département technique, travaillant à la direction du renseignement, Mickael Harpon a égorgé avec un couteau à « lame céramique », trois de ses collègues et multi poignardé deux autres dans l’escalier de la préfecture de Police à Paris avant d’être à son tour abattu par un jeune auxiliaire en poste depuis 8 jours, (tu parles d’un début de carrière…) Harpon avait 45 ans, on nous a dit d’abord que c’était un déséquilibré qui avait un problème avec sa hiérarchie lié à sa surdité, et qu’il aurait « entendu des voix », et puis dès le lendemain cette version du fait-divers sordide a été remplacée par la thèse de la radicalisation Islamiste de ce converti Martiniquais, « dont la femme est arabe… » nous a-t on précisé. C’est sûr que la « piste terroriste » claque mieux qu’un « désordre interne à la préfecture », mais quoi qu’il en soit je constate qu’on trouve vite les réponses dans certains cas tandis qu’on les attend toujours pour d’autres comme l’incendie Lubrizol à Rouen, dont les explications n’en finissent pas de traîner ou mieux encore celui de Notre-Dame, dont les hauts responsables nous ont affirmé immédiatement alors que le ciel de « Paris brûlait-il » et les pompiers à pied d’œuvre, donc le soir même on apprenait qu’il « ne s’agissait pas d’un attentat », tandis qu’était avancée la thèse invraissemblable du mégot pour enflammer des poutres pétrifiées par le temps. Bref, c’est comme ça, il y a des enquêtes plus simples que d’autres… J’entendais ces nouvelles en partant pour l’aéroport. J’ai garé mon scoot, et défait mes habits mouillés par la pluie matinale, et j’ai retrouvé mon ami Eric Poindron samedi matin direction Bastia où nous étions invités par l’association Musanostra, à venir parler en duo de la notion de « Perception du temps dans la création ».
Même s’il donne parfois l’impression de planer à 15 000 au-dessus des nuages, je découvre que Poindron n’apprécie guère l’avion. Heureusement le vol était tranquille et l’atterrissage impeccable. Certes il y avait quelques cumulus au-dessus du tarmac, mais on devinait le ciel bleu. Il faisait délicieusement doux en descendant les marches de l’escalator. Nassau, la Réunion, La Nouvelle Calédonie, j’adore ces ambiances iliennes, l’air chargé d’humidité et d’odeurs savoureuses qui me rappellent d’autres voyages.
Marie-France nous emmena en voiture jusqu’à Corte. Tout en conduisant cool, elle évoquait les précédentes rencontres autour de ce sujet du « Temps », ou décrivant chaque endroit de la montagne ou son village…
– Mais vous auriez dû rester plus que ça ! Juste un aller retour, c’est trop court. Venir parler du temps et ne pas le prendre, n’est ce pas un comble !
– C’est pas le tout de le prendre, encore faut-il le rendre, ai-je répondu.
On s’est garés sur la place, à côté de la statue du Duc de Padoue réalisée par Bartholdi, auteur de la Statue de la liberté et du Lion de Belfort etc. Le temps d’avaler une crêpe corse et un café corsé et l’on est monté au musée de la Corse rejoindre ceux qui nous y attendaient déjà.
La rencontre a duré 1h30 environ. L’érudit Eric a cité des tas de gens que je ne connaissais pas et qui ont écrit à propos de la relativité du sentiment de temps, il a lu un joli texte de sa composition, et parlé de l’envie de se laisser surprendre au jour le jour par le « curiosa » et ce goût pour l’étrange…
-Être / ange, tu veux dire… ai-je suggéré.
Moi, j’ai improvisé autour de l’idée de subjectivité de la perception du temps, quand on travaille on ne le voit pas passer, mais quand on est malade ou qu’on croise la mort… « On a tous un rapport diffèrent avec la mémoire, et avec la définition du «présent » « le temps est un fluide » « Le temps c’est de l’argent, mais l’argent c’est du vent, on perd son temps à lutter contre le temps, lutter contre les moulins d’argent, c’est lutter contre des moulins à vent … »
J’ai chanté quelques chansons qui évoquaient le sujet. On a répondu aux questions du public, puis signature dédicaces. Boire un rosé, et un autre… Et poursuivre sur d’autres sujets plus personnels dans l’intimité d’une post-conférence accompagnée d’un excellent buffet.
Et puis aller manger au Paoli sur la place Pascal Paoli… comme son nom l’indique, quand on n’a pas envie de se coucher (…) Pas plus que les étudiants qui font des « rides » sur la roue arrière de leur scooter…
Finalement rejoindre l’hôtel Si Mea sur les hauteurs et se laisser bercer par le chant du vent.
Réveil en même temps que le soleil derrière les montagnes. Moment ravissant sur la terrasse.
On a rendez-vous à 7 heures avec notre chauffeur, mais il n’arrive pas. Y a quand même une bonne heure de route pour rejoindre l’aéroport… Dans un premier temps, on se dit qu’il a préféré petit-déjeuner chez lui, mais au bout de 20 minutes, comme il n’est toujours pas là, je suggère à Eric d’appeler le gars. Là, au son de sa voix, on comprend que le téléphone l’a extrait d’un confort hypnotique sur l’oreiller…
J’imagine qu’il a sauté par la fenêtre.
Enfin on a vu la voiture arriver à fond les gamelles, avec 40 minutes de retard. Freinage sur le gravier du parking. Peu de mots. Il se frotte les yeux. « Attachez vos ceintures! Bon, c’est dimanche, à mon avis, c’est jouable… » dit-il comme pour me rassurer. Top chrono, c’est parti, le contre-montre a commencé… À côté de moi, c’est Fangio, Ari Vatanen ou Sébastien Loeb réunis un un seul. Comme un jeu vidéo, les pneus crissent, on se croirait dans le dessin animé « Cars » sur la route sinueuse. Va falloir un temps record, (recorse), c’est une « corse » contre la montre…… Autant on est arrivés relax, autant on repart pied au plancher. Ma femme n’aurait pas aimé, moi ça m’amuse, Il conduit concentré, le soleil parfois dans les yeux, il double les lambins, coupe les virages. Pas un mot, pas de musique. Juste, quand il sort son portable pour prévenir l’aéroport, je lui conseille quand même de le ranger dans sa poche.
Finalement il lâche le volant d’une main en nous montrant un dernier zigzag, « Là-bas tu vois… L’aéroport n’est plus qu’à 4 kilomètres de ce rayon de soleil… »
Et de fait il y a arrive, dépose minute… Il prend mon sac et ma parka et en courant il se précipite vers l’hôtesse qui était en train de fermer… Nous sommes les derniers à nous faire enregistrer, les derniers à embarquer, nous sommes les derniers passagers, ceux qui se font dévisager par les regards énervés des autres voyageurs pressés, compressés dans un avion bondé…
Mais bon on y est, c’est ce qui compte.
Dire qu’on était venu pour parler du temps.
CharlElie
06/10/2019