Entre intimité et Forêt de livres (suite et fin)
Dimanche.
Gare Montparnasse, juste le temps d’y venir, un dimanche matin, au mois d’Août, facile. Nous avons rendez-vous en tête du train, devant le nez du TGV. Celui-ci n’est pas encore annoncé. Je suis toujours en avance. « Nous » ce sont les écrivains, éditeurs et journalistes qui viennent à la Forêt des livres. C’est un grand événement littéraire dont on me parle depuis qu’il est programmé. Du temps de Gonzague de Saint Bris, qui en fut l’inventeur, avant qu’il ne décéde en 2017 dans un accident de voiture, quand des pipoles comme Aznavour ou Renaud étaient invités il pouvait même y avoir « jusqu’à 30 000 visiteurs. » L’année dernière, il y en avait 11 000, moins de badauds mais plus de bibliophiles…
Le train est annoncé voie 4. Comme des insectes qui sortent de la nuit attirés par une lumière quelques-uns parmi les 150 auteurs invités sortent de l’anonymat des pas perdus pour quérir des infos auprès de ceux qui se sont révélés comme faisant partie de l’organisation. Distribution des billets. Il y a au sens littéral un vrai wagon de littérature sans limite ni préjugés. À la volée je reconnais Jean Marie Rouart, Norbert Lecœuvre, Jeanfi Janssens Chloé Mons, Loulou Robert, Bruno Salomone ou Pierre Billon.
On s’installe. Eric Poindron m’accompagne. On reparle tous les deux de ce qu’il s’est passé à Sète… Eric connaît plus de monde que moi, il me présente Edouard Bureau. Moi je retrouve avec plaisir Jérôme Attal dont j’avais apprécié la période chanteur, et le comédien Thibault de Montalembert.
Descendre à Saint Pierre-Des-Corps. Une voiture m’amène jusqu’au village de Chanceaux-près-Loches. La conductrice bénévole, ancienne directrice d’école et maire de son bourg, me commente le paysage dont une zone industrielle qu’elle a fait naître, du temps où les maires croyaient à l’expansion à tous crins …
Un festival c’est avant tout une ambiance. Dés les premiers abords, celle-ci se veut cordiale. Sourires et gentillesses, les bénévoles sont aimables, heureux de faire ce qu’ils font.
Nous arrivons au chalet de Gonzague. Présentation inaugurale au balcon. Remerciements et discours officiels devant un parterre de photographes et un public familial déjà nombreux. Les de Saint Bris nous accueillent sur leurs terres. Son frère évoque le souvenir de Gonzague à la fois homme éclairé et homme de lumière, les officiels officient et le prix Nobel Chinois Gao Xingjan évoque son attachement à la France. Puis on m’invite à prendre le micro pour commenter le Prix de la Poésie qu’on me remet après que celui « de l’année » ait été remis à Marek Halter. Un livre, un presse-papier en verre et un magnum de Vouvray, trois autres prix sont remis à Samuel Blumenfeld, Romane Lafore et Guillaume Lavenant.
Sitôt quelques interviews, et sous la tente-déjeuner inondée de soleil, je fais la connaissance de Joseph Ponthus (qui a publié le roman sans point « à la ligne »), et Christian Rauth acteur et scénariste, copain de Pierre Pelot. Encore une interview et j’attaque les « choses sérieuses », autrement dit les signatures, sous ce même soleil terrible qu’avec une diplomatie de lâche on nomme désormais « pic de chaleur » et non plus « canicule » et qui a fait dire hier à Yann Arthus Bertrand qu’on avait bel et bien perdu la guerre contre le changement climatique…
Beaucoup de gens m’attendent et je signe sans discontinuer toute l’après midi. Les uns ne viennent que pour un selfie, d’autre pour un disque qu’ils ont apporté, mais il y a aussi beaucoup de lecteurs, intrigués de connaître ce que j’écris. Un petit mot à l’un, un sourire à une autre, les séances de dédicaces donnant aux auteurs l’occasion de rencontrer leur public en face à face. Quand on monte sur scène, on rencontre aussi le public, mais c’est plutôt à l’échelle d’une salle de spectacle, je ressens le public de façon entière, dans sa globalité. Le public de la littérature est un public « one by one », une petite confession de l’un, un « je me souviens… » d’une autre, il y a une intimité dans cet échange auteur/lecteur.
J’ai vidé plusieurs cartons, et puis vient déjà le moment de repartir. Monter dans les bus, claqué. S’échanger encore quelques cartes de visite et adresses et je ne suis pas mécontent de rentrer. Une journée bien remplie.
J’arrive à la maison, je veux montrer une photo que j’ai prise, mais… mais…. je ne retrouve pas mon téléphone. L’ai-je oublié dans le train. Ah meeerde ! Si ça se trouve il est tombé de ma poche quand je suis monté sur mon scooter. Je veux en avoir le cœur net, ni une ni deux, je redescends sans réfléchir et je fonce gare Montparnasse. 25 minutes plus tard, comme prévu, mon téléphone n’est pas là où je l’espérais. Je fais donc le chemin du retour, les yeux rivés au sol, mais rien de rien, non rien de rien.
Chez moi, je fouille pour la énième fois mes poches, je revisite chacun des spots où j’aurais pu le poser à la maison, mais non, rien alors seulement je m’oblige à admettre que je l’ai perdu. Alors j’enclenche le process de désintégration du contenu via l’ordinateur, sauf que juste avant, au hasard, j’envoie une quête de localisation. Et là, à ma grande surprise, il apparaît immobile quelque part rue de Vaugirard, un endroit du parcours que j’ai emprunté. Quelle chance ! Vite. Il n’a plus que 20% de batterie. Ça vaut le coup d’y repartir, je suis passé à côté sans le voir. Pour la troisième fois, je repars en direction de ce spot. Je fonce, je grille les feux. Ce serait sordide, d’arriver après qu’un autre l’ait pris, alors qu’il était encore là il y a 10 minutes…
J’arrive sur place. Je me crois dans le jeu la carte au trésor. Je cherche, il n’y a rien. J’appelle à la maison, on me guide. J’active la sonnerie pour la 5ème fois Et là je l’entends. Il n’y a rien au sol, non, mais j’entends bien ce biiip biiiip qui pleure comme un petit oiseau. Alors, je lève les yeux, et je le vois. Il a dû effectivement tomber de ma poche, et quelqu’un l’a posé à 2m du sol. L’écran est brisé comme un vitrail, il ne semble pas être en état de marche, une voiture a peut-être roulé dessus, mais c’est bien lui, ma carte SIM en sa fente, tout n’est pas perdu.
Je rentre enfin chez moi, soulagé.
Un weekend end bien rempli qui finit comme une comédie avec de beaux souvenirs dans la tête entre Intimité Wallonne et Forêt de Livres…
CharlElie Couture
Août 2019