Un jour sur mon vélo, à New York, je suis tombé sur l’affiche de pub (ci dessous) qui disait comme vous pouvez la lire : « Great Mind think Alike » ce qui pourrait bien sûr se traduire par « les grands esprits se rencontrent », mais aussi de manière plus simpliste au premier degré par : « les grands esprit pensent la même chose.»
Et là, je suis tombé des nues (York) ou plutôt j’ai cru que mon vélo avait déraillé, car cette annonce ressemblait à l’inverse absolue des valeurs qu’on m’avait enseignées. Je parle des valeurs de l’esprit critique, circonstancié et analytique, comme celles d’oser se remettre soi-même en question, garder une certaine souplesse de jugement par le biais de l’humour et l’autodérision, et tenter de ne pas gober « par principe » toutes les affirmations d’où qu’elles proviennent, (comme le font -malgré elles- les oies qu’on gave). On m’ avait dirigé vers une prise de conscience fondée sur le libre-arbitre mais aussi appris des formules du genre: «Y a que les cons qui ne changent pas d’avis », «si on se raidit, on devient aussi cassant que les branches mortes. »
Or cette pub « les grands esprits pensent la même chose », se voulait intransigeante et définitive, sous-entendu : on n’a pas le choix : soit on est grand et on pense pareil, soit on est petit et on pense différemment.
Le mot « idiot » vient du grec ’ἰδιότης- Idios qui signifie « seul, unique, original » Dans la Grèce Antique on traitait d’imbécile, celui qui avait une pensée unique, mais il faut préciser que le terme « idiot utile » était employé en politique pour désigner le « particulier » qui ne pensait qu’à « son intérêt propre » et qui votait en conséquence, pour une réduction d’impôts, etc. Les Grecs de l’Antiquité qui avaient le goût de la véritable Démocratie, considéraient que le citoyen assez borné pour n’examiner que son intérêt propre était un idiot et qu’il ne méritait pas son droit de vote car il mettait en péril la démocratie. Pour eux l’exercice de la souveraineté nécessitait un décentrement de soi-même, un oubli temporaire de son avantage particulier au profit de l’intérêt général, d’où le sens un peu péjoratif qu’on donnait au mot « unique ».
Il n’empêche que le concept qui veut que tout le « Great » monde se doive de penser la même chose, mène droit aux doctrines totalitaires fascistes, à l’impérialisme et au monopole de la « propaganda » qui formate la pensée pour n’en faire qu’une seule et unique. (- À l’image de l’injonction aux journalistes de faire relire avant parution, par les grands esprits communicants de l’Élysée, leurs articles et transcriptions des discours du « Great » président. Égalité ? Fraternité ? Liberté ? Mais de quelle Liberté parle-t on ? La liberté de penser comme tout le « Great » monde ?
Je croyais que l’intelligence, c’était faire preuve de discernement…
Parce que l’’Art et la Poésie racontent les riches secrets de l’âme humaine, si complexes qu’ils soient,
Parce que plus que jamais il est essentiel que chacun garde son Indépendance d’esprit,
Parce que l’unanimité est un leurre,
Parce que le « point de vue » dépend de l’angle d’analyse qu’on peut faire,
Voilà aussi pourquoi je suis honoré d’avoir été invité cette année à présider le Grand Marché de la Poésie qui se tiendra jusqu’à Dimanche à Paris place Saint-Sulpice et dont l’inauguration a eu lieu cette après midi sous des trombes d’eau – pour le grand bonheur des grenouilles et des nappes phréatiques.-
On appelle cela « philosophie » « sagesse », on l’appelle ça comme on veut, ou même qu’on ne l’appelle pas d’ailleurs, ce qui compte c’est que les grands esprits restent libres et indépendants, qu’ils comblent le vide laissé par ceux qui perdent le sens des odeurs à force de s’empiffrer, ceux qui simplifient l’image du monde en le réduisant à une suite d’évidences chiffrées, faites de calculs de probabilités aussi inexorables qu’ennuyeuses.
J’admirais Michel Serres justement parce qu’il était de ceux qui nous donnent à croire justement que
les « Great minds DON’T think alike »….
CharlElie COUTURE
Juin 2019