Les médicaments commencent à faire leur effet, mes poumons se libèrent enfin. Je file vers la gare Montparnasse. La fermeture du pont Notre-Dame pour les raisons qu’on connaît, m’oblige à faire un grand détour. Avec les travaux d’enfer partout dans Paris, si j’avais été en voiture, j’aurais stressé, mais en scoot, heureusement ça passe.
Je crois reconnaître les coqs sportifs du Racing 92 de rugby qui descendent pour un match à Pau. Gaillards hors-norme en short, plus grands, plus costauds, plus quelque chose que la moyenne des sapiens mortels.
Karim, Martin, Mathieu et moi sommes déjà installés, quand Martin arrive enfin, juste avant que les portes ne se referment.
Le pianiste d’Ismaël Lo, se présente à moi pour me rappeler qu’on a joué ensemble au Viet Nam à l’occasion d’un sommet de la francophonie. Puis c’est un producteur de cinéma et de télévision que j’ai connu à mes débuts sur Island. Proche de Chris Blackwell, il travaillait à l’époque sur le film « Country man ». On évoque quelques souvenirs et Jean Henri Meunier ainsi brièvement que les projets qu’il gère actuellement.
Rouler, et puis rouler et puis soudain s’arrêter. Avec les TGV, on ne sait jamais, à tout moment la grande vitesse de ce transport peut se transformer en immobilité pour une durée indéterminée. Aujourd’hui en pleine campagne, une voix suave nous informe que le chauffeur tente de « résoudre la panne », « N’essayez pas de sortir. » Tu parles, Charles quand bien même on voudrait qu’on ne pourrait pas.
Enfin le train repart. J’écris. J’adore écrire dans le train. De même j’aime y lire.
Nos instruments dérangent une passagère qui nous demande de mieux les ranger. C’est sûr quand les trains sont bondés il vaut mieux voyager avec un fifre plutôt qu’avec une contrebasse.
Au bar deux femmes se présentent à moi : « on a travaillé ensemble à France Inter » Elles étaient réalisatrices pour des émissions qui ont été supprimées. Débarquées sans ménagement, je n’entends pas vraiment de joie dans leur mise à la retraite anticipée. Elles partent en séjour dans la ferme familiale que retape l’une des deux copines, bien que n’ayant pas vraiment le profil du maçon, peintre ou plombier de référence…
C’est »surprise surprise » caméra cachée ou quoi ce wagon où tous les gens semblent me connaître?
En retard certes mais enfin donc Quimper (gagne)!Quelques bouchons sur l’autoroute, un comble en Bretagne, ou les korrigans ont plutôt la réputation du décapsulage… Sam, l’organisateur qui nous emmène à Concarneau me raconte qu’il avait 17 ans, en Mai 1982 quand il venu à mon premier concert de Lamballe dans une salle basse de plafond, « hyperover-surbookée ». Il faisait si chaud ! À peine montés sur scène dans cette étuve, on avait ruisselé toute la sueur de notre corps. Avec Alice Botté qui jouait avec moi, on avait bien rigolé de cette atmosphère de Bretagne équatoriale. Depuis ce jour dans ma mémoire, le nom de Lamballe se prononce à l’africaine « Lambalè »…
Arrivée au CAC de Concarneau, une affiche aux murs de la tournée « Solo Boys and Girls 89 ». Putain 30 ans déjà. Parmi les autres noms sur les affiches, tellement d’artistes disparus !
Les balances se passent bien. Impec. Contents de se retrouver quinze jours après le Trianon.
– Y a un petit Saint-Véran bien frais dans le frigo. On n’a pas bcp de temps, ouverture des portes dans 5 minutes, tu veux manger quelque chose ?
– Merci, la salade qui m’attend dans ma loge me suffit. Pourriez-vous juste m’apporter des couverts ?
Le directeur de la salle me dit qu’il s’en charge. Je me sers un verre, deux verres, trois verres… Mais les couverts n’arrivent pas et j’ai l’estomac au vin blanc. D’abord je suis bien, mais à jeun combiné aux médocs, ma tête se met en vrac… Jean Louis frappe à la porte. « Showtime !!! » Rien avalé que du liquide.
J’enfile mes oreillettes.
Sur scène, tout de suite les mots s’entrechoquent. en confusion Je ferme les yeux comme un équilibriste sur un fil. Pare-brise embué, pilotage automatique. Spectateur de mon rôle. En ce début de spectacle, c’est la musique qui me porte, et moi derrière la fenêtre… Je dois faire des efforts pour rester concentré, heureusement que je suis assis. Quand je me lève pour aller prendre ma guitare, j’ai peur de tomber. Je chante deux morceaux, mais je dois réagir, faire quelque chose, me reprendre, sinon ça va mal se passer surtout qu’il y a une bonne ambiance. Je vois les gens qui dansent. Je me dirige vers Karim et lui glisse à l’oreille : « il faut que je sorte… » Il me fait un signe de tête en connivence, et il enchaîne comme si de rien était avec un flegme imperturbable. Je pose ma guitare sur son stand. Le régisseur ébahi ne m’a jamais vu sortir de scène. Les toilettes juste en face!
Quand je remonte sur scène ça, va mieux, nettement mieux. Le spectacle reprend son rythme et les 750 personnes présentes assistent au « vrai » concert, celui que je connais. Parfois oui, l’équilibre ne tient qu’à un coup de fourchette.
À la fin du spectacle, après une longue séance de dédicaces,(parmi lesquels des spectateurs qui étaient déjà là 30 ans plus tôt) je retrouve mon copain le navigateur Roland Jourdain. On reparle de New York où il est venu me visiter à l’atelier. La seule image de ville sur ses murs est celle qu’il a rapportée de là-bas.
Il est 1.30 h quand mon portable sonne à l’hôtel. Je vois s’afficher le nom d’un ami. Il ne m’appelle jamais si tard. Je ne sais pas pourquoi je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose. Quelques jours auparavant j’ai appris le décès d’un ami, l’ancien éditeur Alain Noël décédé soudain d’une crise cardiaque. Alors inquiet, je décroche. Mais non, rien de grave, il a juste envie de parler. Ouf.
Je raccroche en prenant la décision de ne plus boire une goutte d’alcool pendant deux mois.
Boire ou conduire… ?
Conduire!!
CharlElie