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Confesse Book

307 – En résidence au milieu de nulle part

Je suis en résidence au milieu de nulle-part. Plus précisément dans une commune de l’agglomération Val d’Europe, dans le secteur IV de Marne la vallée. On appelle ça « Porte de Paris », mais il faut bien compter une bonne heure d’embouteillages (voire plus) pour défoncer les 50 kilomètres de ladite « porte ». Alors comme je n’avais pas envie de perdre mon temps dans les transports, j’ai choisi de rester dormir à proximité de la salle où l’on met en place la setlist, les éclairages et le son du prochain spectacle en condition « Live » sur une scène mise à notre disposition à Magny le Hongre (sur laquelle on reviendra jouer dans deux semaines).
Musiciens, techniciens, on est content de se retrouver comme une bande de hors-la-loi…des marchés. Un spectacle différent du précédent « Lafayette », un voyage intérieur, mâtiné de titres nouveaux et de « classiques » revisités… Jour après jour, on invente un nouveau « son » Karim Attoumane (guitare), Pierre Sangra (violon, banjo, mandoline) Martin Mayer (drums) et le nouveau venu Mathieu Denis et son stick contrebasse. L’alchimie a l’air de prendre et quand vient le soir, on se sépare plutôt joyeux à l’idée de se revoir le lendemain, et moi je rejoins ma chambre « monacalme » dans cet endroit à dormir, qui se fait appeler « Hôtel » au cœur du plat pays qui entoure le grand parc d’attractions Disneyland, une sorte de no man’s land où les communications interautiques semble être impossible : pas de réseau-no service, pas de réseau-no service…

Sous l’enseigne lumineuse extérieure, « trois étoiles » scintillent, dont nul ne saura jamais de quelle galaxie elles proviennent…
À l’intérieur, le personnel agit par obligation, sans ferveur. Venus des pays de la sécheresse, ils ont migré vers le Nord. Se regardant dans la glace de l’ascenseur, un homme échange sur celphone quelques phrases avec un collègue dans sa langue du pays des sables. D’étage en étage, il pousse des charriots de linge sans conviction. Ils sont là, c’est déjà bien, mais qu’on ne leur demande pas en plus d’y mettre du cœur, et mes sourires aimables n’y changent rien.

Le parking est rempli. Au rez-de-chaussée dit « salle-à-manger » des familles danoises, norvégiennes, belges, allemandes ou polonaises se sont apparemment laissées convaincre en nombre par des promotions Internet. Regroupés par quatre : un père, une mère, deux enfants. D’où qu’ils viennent, ils se ressemblent. Les mêmes gens font la même chose, glissant leur plateau sur lesquels ils mettent tous la même nourriture industrielle. (une tranche jambon indus’, un fromage indus’, des viennoiseries indus ») et devant la machine à café, c’est la première queuleuleu de leur journée.
Zombies consommateurs qui viennent à la messe Disney.
On peut penser qu’ils sont en vacances, mais pourquoi font-ils tous la gueule ? Il n’y a rien de joyeux dans l’air personne ne sourit. On dirait qu’ils sont là par devoir, d’où qu’ils viennent, ils ne s’amusent pas. Comme des pénitents, la tête baissée dans leur assiette. Les gamines et gamins connectés sur leur Smartphone et leurs parents accompagnateurs, comme une présence limite inutile. Des parents qui sont là parce qu’une fois, le père a lancé malencontreusement qu’ils iraient « tous un jour à Disney ». À Bruges, à La Haye ou Rotterdam, à Ixelles ou à Francfort, les enfants ont fait « whééééé » et depuis ils n’ont eu de cesse de répéter qu’il avait « promis ».
Alors voilà c’est aujourd’hui, il tient sa promesse, les yeux dans le vague. La femme rabroue le plus jeune turbulent qui se chamaille avec sa sœur. Le père murmure des onomatopées en suédois, en danois, en allemand ou en flamand, il a juste envie qu’on lui foute la paix, lui qui anticipe sur la journée. Il est grutier ou représentant de commerce, il a déposé sa semaine pour être ici aujourd’hui et il sait que ça va lui coûter un bras. Ils sont venus de loin pour ça, toute la journée, ils vont refaire la queue pour monter dans les manèges, peut-être que c’est pour ça que ça ne l’enchante guère.
En plus dehors, gros nuages et il pleut…
Mais moi je m’en moque, même plus que ça, c’est une journée idéale pour rester à l’intérieur… Et nous de toute façon on a prévu de passer la journée en musique, sur des tempos qui swinguent en dehors du temps.
Du soleil j’en au plein le cœur…

CharlElie