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Confesse Book

303 – Philippe Polu

L’Est Républicain remplit bien son office de presse locale en m’apprenant le décès de Philippe Polu. Cette disparition d’un clochard philosophe âgé de 92 ans n’ira peut-être pas jusqu’à émouvoir la France entière, mais pour moi, ça veut dire quelque chose car Philippe Polu était l’un des inspirateurs de ma chanson « l’histoire du loup dans la bergerie »…

Je l’avais rencontré à la fin des années 70, quand j’habitais à Nancy. On le croisait dans les foules, badaud au milieu des manifs, spectateurs attentif des pièces expérimentales du festival de théâtre, ou sur le campus de la fac de lettre, dans des concerts de rock ou au festival de Jazz… Quand nous avions soif de bières, lui il avait soif de savoir. Il était érudit dans le sens médiéval, (à la manière de ce que fut Rabelais en son temps), un érudit à l’ancienne, comme ceux qui auraient rêvé Wikipedia. Avec des piles de journaux dans les bras ou des livres dans un caddy, il traînait partout où nous étions étudiants. Un personnage fascinant, n’accordant que peu d’importance aux apparences. Il parlait peu. Discret, on le voyait apparaître et sa présence créait immanquablement un certain effet, d’ailleurs quand il n’était pas là, on le cherchait presque! Pourtant même s’il était là, il était… ailleurs. Il avait ce côté mystérieux de ceux qui ne disent pas tout… voir même rien. Les histoires le concernant allaient bon train. J’en ai entendu de toutes les couleurs: il avait hérité d’une fortune et il était milliardaire, il était le fils d’une star du muet et le frère d’un grand chirurgien, il avait gagné une grosse somme au Lotto mais n’était pas allé cherché son gain, il avait fait le tour du monde à pied trois fois… Enfin tout et n’importe quoi; quand on ne sait pas, on fantasme… C’est vrai aussi que lorsqu’on s’approchait de lui, même le nez bouché, on pouvait sentir ses effluves de fauve. Ce beau clochard n’était pas particulièrement gentil, mais il n’était sûrement pas méchant non plus. Il devait y avoir quelque chose de cassé dans les ressorts de sa logique, je n’en sais ps assez pour en juger, pourtant je me souviens que son visage semblait presque serein et s’il vous arrivait de le croiser, son regard profond vous entraînait vers ses abimes intérieurs. (Je précise que l’histoire du loup dans la bergerie n’était pas seulement inspirée de son histoire à lui (d’ailleurs il n’avait pas été légionnaire), mais le fait de le connaître m’avait donné l’envie d’écrire sur ces êtres décalés qui assument leur vie solitaire, vivant coûte que coûte en dehors du système, avec ce qu’on appelle « la Poésie » en eux.

 

https://www.estrepublicain.fr/edition-de-nancy-ville/2019/01/28/philippe-polu-le-clochard-philosophe-le-plus-celebre-de-nancy-est-decede?fbclid=IwAR2oTOtmetlqEJP5e_CXFzRLOXEwNCLKccelVfbKaG9vTR0bOzDKQSqXNVg