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Confesse Book

15 – Peur en avion

D’habitude, je n’ai pas peur en avion, mais là…

L’embarquement s’était bien passé. Malgré les augures terribles des mages de la météo qui prédisaient de violents orages, voire une tempête en fin de journée, il n’y avait eu qu’un peu de pluie. Le vol était « on time ». L’appareil de la British Airways se dirigeait vers la piste de décollage. On serait à Paris dans quelques heures. Il suffisait de laisser la nuit nous envahir dans cette ambiance calme, propre aux voyages aériens réglés autour de séquences précises et rituelles: consignes de sécurité, plateau-repas, film, tenter de dormir en biais, etc.

L’avion n’était pas plein. C’était un vol de semaine, un vol de routine avec des retraités qui s’en vont visiter le monde ou voir leurs petits-enfants, et des voyageurs professionnels en déplacement planétaire obligatoire. Deux rangées derrière moi un bébé « craillait » et c’était horripilant, mais on-ne peut-rien-dire-vu-que-les–bébés-sont-sacrés.

Soudain on a commencé à voir une, puis deux, puis trois hôtesses aller et venir avec empressement dans l’allée. Dans le haut-parleur une voix suave a demandé s’il y avait un médecin parmi les passagers. Je me suis dit que c’était mauvais signe.

On était déjà en bout de ligne quand le commandant a pris la parole. D’une voix ferme et sans alternative, il a annoncé qu’il retournait au point de départ « pour des raisons médicales ». J’ai essayé d’imaginer ce qui se passait : Crise cardiaque ? Mort ? Un accouchement ? Ça devait être sérieux. Les libellules élégantes chapeautées continuaient de voleter dans l’environnement d’une musique d’ambiance que personne n’écoutait. On allait perdre du temps sur l’horaire prévu mais quoi, pourquoi s’énerver ? Rester citoyen, faire preuve d’empathie, avant de partir, ça fait aussi partie des aléas (et retour à). J’essayais de me distraire l’esprit, lisant le « David et Goliath » de Malcolm Gladwell que je venais d’acheter.

C’est alors, une fois n’est pas coutume, afin de nous éclairer sur la cause de cet arrêt obligatoire au stand, qu’en français Voix-Suave a parlé : « En raison du malaise d’un passager qui a trop peur en avion, nous attendons l’arrivée d’une équipe de secours, ça ne saurait tarder, merci de votre patience… »

What ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? La peur en avion, qui ne l’a pas eu ? C’est normal d’avoir une certaine appréhension. Mais on serre les fesses ou les dents, la peur, on la roule en boule et on se l’avale comme une grosse boulette de pain de mie. Ou alors, j’en connais, qui doutant trop d’eux-mêmes, choisissent de rester sur le plancher terrestre. C’est un choix, ils prennent seulement le train et tant pis pour l’outre-Atlantique, l’outre-Pacifique et autre trans-nuage.

J’ai d’abord souri un peu amusé, puis ironique, ensuite perplexe pour ne pas dire sceptique, et enfin dubitatif, comment est-ce possible ? Et si on avait été sur un cargo ? Demi-tour en pleine mer ? Et si c’était  il y a un siècle, qu’est-ce qu’on aurait fait ? Passé par dessus bord ? J’ai essayé d’imaginer l’identité de celui ou celle qui par son simple pouvoir de persuasion avait réussi à interrompre le décollage d’un Boeing ? Ca valait le sac à provision de la place Tien an men. J’espère pour lui qu’il a une bonne assurance …

La première équipe de quatre flics de proximité, envoyés par l’aéroport de Newark a fait son entrée dans l’avion. Leurs gros derrières avaient du mal à se trouver une place dans l’étroitesse du lieu, d’autant qu’à la ceinture ces fonctionnaires doivent se colleter dix kilos d’équipement et d’outils nécessaires : menottes, révolver, matraque, lampe de poche, bombe lacrimo ; enfin des trucs utiles au cas-où en toutes circonstances (même si je pense qu’il leur manque une clé à molette, un pied à coulisse et  tronçonneuse). Ils sont allés discuter avec le malade. Je me suis levé de mon siège mais impossible de voir de qui il s’agissait.

Dix minutes plus tard, arrivés de plus loin, plus costauds, plus grands, plus gradés, un second quartet d’uniformes armés, a rejoint le groupe de collègues aussi intrigués par la situation qu’inopérants. Même chose: tentative de dialogue avec l’homme invisible, apparemment sans plus de résultat.

On a vu passer une chaise roulante. Puis un masque à oxygène (là où y a pas d’plaisir…) et les bouteilles.

« Nous attendons l’arrivée de l’équipe de secours, ça ne sera plus qu’une question de minutes » a annoncé Voix-Suave en français /anglais « merci de votre patience ».

On la sentait elle-même passablement énervée par la situation…

Enfin trois médecins costauds en chemisette moulante claire, tout aussi équipés que leurs semblables bleu-marine à casquette, ont remonté l’allée. Badaud, je me suis à nouveau levé pour essayer de voir. Sa-voir.

Mais y a pas eu beaucoup de spectacle, le dialogue a tourné court. Ça n’a pas duré longtemps. Même pas une piqure. Rien. Sans même élever la voix, le médecin a dit ce qu’il fallait. Apparemment. Je n’ai pas entendu le détail mais ça ressemblait à : « Bon ben, maintenant ça suffit, t’arrête de déconner » qui a eu un effet magique.

D’entre les sièges s’est relevé un jeune homme, il était blanc, que dis-je, livide comme un fantôme. La trentaine avec une petite barbe, habillé plutôt relax, il a murmuré, gêné, en se tournant vers les autres passagers « Sorry guys ». Après quoi il a suivi l’escouade des gros popotins et bodybuildés en uniforme, eux-mêmes suivis par la chaise roulante repliée et la lourde bouteille d’oxygène sur roulettes.

Puis les portes de l’avion se sont refermées. A nouveau j’ai recommencé à entendre les cris du brailleur de quelques mois qui maudissait la vie dans les bras de ses parents impuissants derrière moi.

On nous a annoncé qu’on allait tout faire pour rattraper le retard, et l’avion s’est remis en bout de piste.

Ce « sorry guys » me tournait dans la tête : pourquoi ce lâche était-il désolé ? On avait fait rudement vite pour retrouver son bagage. Sans prononcer le mot terroriste « bombe », juste naïvement, d’une voix hésitante, je n’ai pas pu m’empêcher d’interroger une hôtesse qui passait dans l’allée. Voix-Suave s’est alors tournée vers moi et m’a répondu en ajoutant un petit mouvement de cils qu’on avait fait le nécessaire… s’il avait eu un bagage enregistré.

–       ?

Comment ça « s’il avait eu un bagage ? »

J’ai trouvé sa réponse laconique pour le moins évasive. En tout cas on avait fait rudement vite pour le récupérer, s’il en avait un… ?

Ouais disons que c’est à ce moment que moi aussi, à mon tour, j’ai commencé à avoir peur,

comme ceux qui se laissent envahir par des pensées noires…

Mais je n’ai rien dit.

 

® CharlElie – Oct 20XIII