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Confesse Book

298 – Je ne suis plus seul

Dix jours que je passe seul, avec un autre moi-même. C’est très étrange, aujourd’hui, enfin elle revient…
Un méchant coup de froid dans la clim’ de l’avion et j’atterris avec une broncho-laryngite. Entré par mes narines, il est descendu dans la gorge, il a congestionné mes poumons et puis le virus est remonté pour stresser mon larynx. Pas une douleur insoutenable, non, je pouvais continuer ma routine de vie, si ce n’est qu’un autre répondait au téléphone à ma place. Au début ça m’amusait presque. Mais je ne suis pas du genre à me laisser mettre à plat par quelque microbe que ce soit. Utilisant les « tutorials » de méthodes dites « naturelles », dés que j’ai repèré la menace de l’extinction, j’ai tout de suite tenté de réagir et de prendre les choses en mains : miel, inhalations à l’eucalyptus, menthe poivrée, lavande, gouttes de ci en décoction, huile de ça, thym. Pourtant elle était belle et bien partie loin et ne revenait pas. M’entendant au téléphone, une amie qui l’avait connu, m’a dit qu’ enrouée la mienne ressemblait à celle qu’avait mon père à l’hiver de sa vie, et je peux penser que si une reconnaissance vocale avait condamné le système de sécurité des portes, je serais resté dehors.
Heureusement j’étais indoor, pas en tournée et peu de contraintes extérieures. Un peu fiévreux, je vivais reclus en faisant ce que j’avais à faire, à mon rythme, en silence. Me terrer et me taire. Écrire, travailler mon piano, ranger l’atelier ou écouter des disques pour préparer mes émissions sur Radio Perfecto, (entre parenthèses, si le personnage est parfois horripilant avec ses provocations adolescentes, j’ai découvert le cd de JL Murat sorti en sept 2018 « il francese », une réussite), et le soir au lieu de sortir au froid, regarder les DVDs de la barquette des Césars, parmi lesquels il y a des perles pour ne citer que : « Jusqu’à la garde », « Amanda », «Capharnaüm »,, « les frères Sisters », « la Fête est finie », « Guy » » ou « le Grand Bain ». Bref c’était jouable, et pas trop douloureux mais un peu frustrant quand même au bout de quelques jours, comme un athlète obligé de laisser un muscle au repos pour guérir d’une blessure, je ne pouvais évidemment pas chanter. De plus, vu que s’en viennent à la fois la sortie de mon prochain disque « Même pas Sommeil », et celle de mon livre « la Mécanique du Ciel », j’avais à faire quelques interviews bookées depuis des jours par le service de presse. Quand on sait que « reporter » signifie bien souvent « annuler », pas question de déplacer ces rendez-vous. Les périodes de sortie d’album sont à la fois exaltantes et pleines d’inquiétude. C’est un moment charnière de courte durée. Cycliste, on arrive au sommet d’un pic, mais qu’y a-t il de l’autre côté ? Une Californie giboyeuse, ou un désert népalais ? La pluie, la neige et le vent, ou des courants d’air chauds ? Un éboulement ou une piste lisse ? Il faut aimer l’effort de pédaler pendant parfois des années pour connaître la joie ou l’angoisse de ce moment d’interrogation indéfinissable qui précède l’émergence d’un projet. La fenêtre média est étroite, (quand elle s’ouvre), pendant laquelle on peut espérer que naisse aux yeux du public ce qui fut conçu dans l’intime. J’avais donc à faire à quelques rencontres et interviews importantes, et comme si un autre défendait mon travail, j’ai dû manger la mousse des micros pour qu’on puisse entendre un Darth Vader s’exprimer à ma place. Alors, au bout d’une dizaine de jours, je me suis finalement résolu à abandonner l.automédication et à aller consulter celui qu’on appelle notre « médecin de famille ».
Depuis une trentaine d’années, lui seul connaît tout de notre historique de santé. Et même lorsque nous avons déménagé, on a continué à venir le voir, quitte à traverser l’océan pour prendre son avis.
On l’a connu jeune médecin, trente ans qu’il est au même endroit. Son cabinet n’a pas changé, idem, même déco, juste que les dossiers débordent de son classeur à fiches cartonnées et les dossiers s’empilent là où il ne reste plus de place.
Peut-être que les critères de sélection des étudiants en fin de 1ère année de médecine s’appuient sur un acquis de connaissances théoriques (physique, biochimie ou bio-statistique) qui favorise les scientifiques Bac S avec mention, pourtant la relation avec un patient dans l’exercice de la médecine a quelque chose d’intuitif. Il me scanne en un regard et en quelques questions il m’a évalué avec en guise de matériel toujours les mêmes trois outils de base: stéthoscope, balance et tensiomètre qu’il manie telle la baguette d’un sourcier pour repérer les fluides qui me déstabilisent.
Aujourd’hui il a toujours le même œil, la même finesse dans le diagnostique sans complaisance, et j’ai toujours confiance dans ses jugements, pourtant ça me rend un peu triste de le voir érodé par les tracasseries administratives et fatigué de devoir ausculter une clientèle de patients qu.il dit de plus en plus inculte, à la fois exigeante et ingrate, mal élevée et menaçante. Et chaque fois désormais, je l’entends dire avec une certaine amertume, qu’il a vraiment hâte de prendre sa retraite
Pourtant encore une fois ce justicier clairvoyant a su en peu de temps avoir raison du Vilain qui avait pris possession de mon corps.
Tels des héros de BDs, les deux « Cortizon et Antibios », ont fait leur job et remis un peu d’ordre dans mes cellules. Guerriers sans complexe, ils ont foncé à l’attaque des bactéries et réorganisé mon système immunitaire et mes défenses internes. Résultat depuis aujourd’hui enfin, je suis sur la voie de la guérison. Adieu laryngite aigüe, j’entends revenir… Ma voix !

Et puis, comme un bonheur ne vient jamais seul, en même temps on sonne à la porte. Je vais ouvrir,
Et je la vois,
La vo-
Là,
Elle revient, elle aussi,
Je ne suis plus seul…

CharlElie Couture
Janvier 2019