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Confesse Book

36 – Vivian Maier Photographe

Le drame de la reconnaissance mondiale accordée post-mortem aux photos de Vivian Maier est bouleversant, c’est l’histoire de quelqu’un qui incarne l’absolu du photographe.
Ses milliers de clichés auraient pu/dû ne jamais être révélés. On aurait pu/du ne jamais rien voir, rien savoir de ce qui fascinait cette femme d’un grand talent secret; comme les trésors enfouis qui se délitent avec le temps.
Vivian Maier durant toute sa vie, a pris un nombre considérable d’images photographiques (majoritairement sur sa vie à Chicago), qu’elle n’a jamais fait développer. Peut-être qu’elle n’avait pas l’argent pour cela ? Mais aussi peut-être qu’elle n’imaginait pas quoi en faire.
A l’époque, dans les années 50, être femme-photographe ce n’était pas une activité noble avec un statut comparable à celui de l’artiste, – ce que l’on admet plus volontiers (enfin) depuis une quinzaine d’années.- Non, dans les années 50 / 60, c’était une profession considérée comme « utile ». Vivian Maier n’avait pas le tempérament de se battre pour devenir reporter journaliste. Précisons qu’il n’y avait pas énormément de places et le peu de boulot proposé par les quotidiens de l’époque était majoritairement squatté par des hommes. Nanny, Vivian Maier gardait les enfants de familles riches, et ce job la libérait des contraintes matérielles; disons que ça lui donnait la liberté d’être elle-même.
Pour elle, photographe n’était pas un métier, c’était une passion, une faim insatiable. Prendre des photos comme un besoin, comme un entomologiste capture des papillons. Oui, c’est ça les photos sont des insectes…
Faire des photos procure du plaisir au photographe qui capture un instant. Le photographe est un prédateur qui s’accapare des moments d’éternité.

Quand certains préfèrent voyager légers, les photographes eux, sont au contraires heureux de porter fièrement leur appareil et parfois leur équipement, trépieds /objectifs de rechange dans des sacoches en bandoulière ou autour du cou. Bref, ils le portent comme un bouclier contre l’amnésie, une arme qui peut leur permettre de ne pas oublier le moindre frémissement devant eux. Un outil pour exister, comme s’ils allaient grâce à ce bijou, pouvoir se raconter eux-mêmes en prenant dans le réel ce que celui-ci leur raconte.
Oui, être capable de saisir l’insaisissable, quelque chose qui semble à peine visible aux autres, ceux qui ne voient pas…
Bcp de photographes ne retravaillent jamais leurs photos. Entendre le déclic sous leur index, suffit à les ravir.

Vivian Maier a fait des images fortes parce qu’elles sont vraies.
Dans sa grande solitude, elle s’est entourée de milliers de clichés fantômes qui auraient pu/du disparaître en même temps qu’elle. Disparaître avant même d’être apparus. Heureusement ils ont survécu.
Ces images comme des flashback sur un monde qui a changé ressortent des boîtes dans lesquelles elle enfermait ces magnifiques clichés qui lui procurent aujourd’hui une notoriété.

La reconnaissance flatte l’ego des vivants, mais en ce qui la concerne, au-delà de l’histoire incroyable de cette femme qui meurt après être tombée sur la glace et avoir perdu l’esprit à la suite de cet accident, il y a d’abord l’extrême lucidité d’une photographe inspirée qui a réalisé une œuvre pour elle-même, un travail constant fait avec en pleine liberté, par une personne discrète, transparente comme les films de gélatine, qui se comportait au quotidien comme une espionne neutre observant avec une vraie jouissance l’évolution d’une société qui jouait devant son objectif sa comédie humaine. Tel un psychanalyste qui laisse son patient s’épancher sur le divan sans intervenir, Vivian Maier a su faire de son appareil le miroir d’une époque.

J’ai hâte de voir le(s) film(s) qui raconte(nt) sa vie.

® CharlElie – Fev 2014