Je vais vous raconter ce qu’on peut considérer comme une anecdote, mais qui pourtant reflète un malaise sociétal bien plus profond. Âmes sensibles s’abstenir…
Passionné par son métier, mon copain Patrick P. dit « Peps » enseignait la couleur aux Beaux-Arts et à l’école d’architecture de Nancy. Un personnage truculent, un bon vivant, sympathique et généreux, avec qui j’ai fait mes études aux Beaux-Arts. Il y a quelques mois, Pépé a fait un AVC. Cette saleté de « dysfonctionnement temporaire » l’a sévèrement marqué. Il a perdu beaucoup de sa motricité à gauche et il a aussi aujourd’hui certaines difficultés de parole et de concentration. S’il a gardé l’esprit vif et s’il a pu retrouver un peu d’autonomie, grâce aux exercices qu’il a fait pendant quatre mois dans un centre de rééducation, il n’en reste pas moins assez altéré. Que ce soit dans son phrasé, ou dans ses gestes, il ne fait plus ce qu’il veut, mais ce que son corps l’autorise à faire.
La semaine dernière il a reçu un avis de recommandé à aller chercher au bureau de poste. Il prend son courage à deux mains, (et sa canne dans l’autre comme on dit), et il décide d’y aller à pied. Patrick est un type formidable et courageux. En boitant, il arrive au bureau de poste de son quartier, mais là, pas de veine, on le renvoie au bureau de poste central… Ça paraît simple pour n’importe qui, mais pour lui, c’est une autre affaire. Cette distance d’un kilomètre et demi, il l’aurait parcourue avant en un quart d’heure, mais aujourd’hui, pour lui, c’est très très loin. Pourtant, il fait beau, il est dix heures et demie et il se lance le défi d’y aller à pied. En serrant les dents, Patrick met deux heures pour couvrir la distance. Enfin, ça y est il est arrivé. Il entre dans la poste, juste avant 12H30. Mais alors qu’il se croit soulagé, fier de ce qu’il vient d’accomplir, il se met dans la queue, mais on lui ferme le guichet au nez, en lui demandant ressortir parce que la poste ferme à midi et demi. Patrick proteste, dit que ça lui a pris deux heures pour arriver, mais l’autre imbécile ne veut rien savoir. Patrick s’énerve par désespoir, il espère un peu de compréhension, il tente de faire comprendre qu’il a besoin de ce pli recommandé. Mais les autres en rajoutent derrière l’hygiaphone, ils jouent les offusqués quand Patrick proteste, et Vas-y des « monsieur veuillez sortir… » Et le traitent avec condescendance et une fausse pitié polie, genre: « Mais bien sûr monsieur vous êtes un client comme les autres !! » Et ils appellent un crétin de sécurité qui croyant peut-être avoir affaire à un pochetron, vu que mon copain a du mal à parler, l’empoigne par le col pour le sortir de force. « Non mais ça va ?! Ne me touchez pas » 64 ans, maintenant infirme Patrick monte dans les tours. L’autre con insiste, il ne veut décidément rien entendre, « Dégagez ! On vous a dit !!! ». Patrick ne sait plus quoi faire, plus quoi dire devant si peu d’empathie, l’autre se rapproche le saisit par le col alors, pour se défendre, Patrick lui balance un grand coup de canne. L’autre geint On appelle « police secours ». Fébrile et ne tenant plus sur ses guiboles, Patrick glisse, tombe par terre. Tellement troublé, perdu, il se met à vomir tripes et boyaux. Ça commence à faire du foin. Les flics arrivent. Alors enfin la directrice commence à comprendre la boulette, et tente de calmer le jeu. Surtout éviter une plainte, un procès qui la foutrait mal. T’imagine si la presse en parlait… On lui dit que c’est de sa faute, et finalement, comme un cadeau, on lui donne son pli recommandé en guise de dédommagement…
Il repart honteux, sali, puant. Tellement troublé, qu’il se trompe d’autobus.
Son téléphone est vide, il ne tient plus debout, on lui propose un autre téléphone, mais il ne sait pas qui appeler pour demander du secours vu qu’il ne connaît pas les numéros de ses amis par cœur.
À 16h30, épuisé, il échoue dans un bar de son quartier qui accepte de lui recharger son téléphone. Il est si fatigué, à nouveau il vomit. Il est honteux, sa dignité en a pris un méchant coup.
Finalement quand il y a une barre sur son téléphone, il appelle des amis qui viennent l’aider à remonter chez lui.
Il se couche sans plus pouvoir parler et reste quatre jours, plongé alors dans un sommeil profond…
Le mercredi, sa fille vient le voir. Il retrouve petit à petit l’usage de la parole. Une parole un peu confuse, mais encore pleine d’émotion.
Je viens de l’avoir au téléphone, il essaye de se reconstruire.
Les forces de l’ordre et les gens de la poste l’ont assez culpabilisé pour qu’il ne dépose pas plainte Il m’explique qu’il a honte, « que tout est de sa faute »…
Je suis écœuré. Ce genre de comportement insensible de la part d’employés des services publics (…), donne juste le sentiment qu’on vit dans un monde inflexible, rempli d’humains déshumanisés !
CharlElie COUTURE