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Confesse Book

274 – Un moment extra-ordinaire. 2 (suite)

David et moi, sur ce palier du premier étage on était là devant une porte fermée, celle qui desservait l’appartement du second étage et celui qu’on habitait jadis en famille, rue de la Source, j’étais revenu à la source de mes envies… Me retrouver là, en ce même endroit que j’avais quitté 40 ans plus tôt, rempli d’espoirs à 22 ans, le cœur gros, désireux de partir à la découverte d’un monde que je m’étais inventé/idéalisé à travers mes lectures, les films ou juste en regardant par les fenêtres.
Si je raconte parfois des anecdotes que j’ai vécues, je le fais sans méthode, au jour le jour, en fonction de mon inspiration à l’intuition, comme font les poètes, comme je le fais ici. David lui, est un auteur systématique, méthodique. Je l’ai rencontré il y a quelques mois, il est professeur documentaliste à Rouen, discret comme un espion. Il ne dit rien, mais il sait tr

Un moment extra-ordinaire. 2 (suite)

David et moi, sur ce palier du premier étage on était là devant une porte fermée, celle qui desservait l’appartement du second étage et celui qu’on habitait jadis en famille, rue de la Source, j’étais revenu à la source de mes envies… Me retrouver là, en ce même endroit que j’avais quitté 40 ans plus tôt, rempli d’espoirs à 22 ans, le cœur gros, désireux de partir à la découverte d’un monde que je m’étais inventé/idéalisé à travers mes lectures, les films ou juste en regardant par les fenêtres.
Si je raconte parfois des anecdotes que j’ai vécues, je le fais sans méthode, au jour le jour, en fonction de mon inspiration à l’intuition, comme font les poètes, comme je le fais ici. David lui, est un auteur systématique, méthodique. Je l’ai rencontré il y a quelques mois, il est professeur documentaliste à Rouen, discret comme un espion. Il ne dit rien, mais il sait très bien écouter. J’ai même l’impression qu’il commence à en savoir plus sur ma vie que moi-même. En tout cas c’est plus précis. Son sujet est une énigme, il mène une enquête. Il interroge des personnes, compulse des documents publics, regarde ou écoute des émissions/médias, plonge dans les revues de presse. Chronologique, il accumule des faits. Quand il a collecté assez d’infos, il se met à son ordi, et il écrit le film comme on emboîte les pièces d’un puzzle. Ainsi, comme il l’a fait auparavant pour celle de Philippe Djian ou celle d’Isaac Hayes, aujourd’hui a-t il décidé de remonter le cours de ma vie. À force de remonter, voilà qu’on se retrouve ici, sur ce palier de pierre que j’ai quitté un jour de Juin 79.
Par la fenêtre de l’escalier, on voit les volets fermés. Il semble bien qu’il n’y a plus personne depuis des lustres.
Trois sonnettes à côté de la porte.
Mû par je ne sais quelle instinct, (et aussi parce que j’ai vu une excellente émission dans laquelle Paul McCartney faisait visiter Liverpool à James Corden), encouragé par la présence de cet ami, j’appuie sur l’une d’elle.
Pas de bruit.
Pas de réponse.
On se regarde en silence et on s’apprête à redescendre comme de logique, quand on entend une sorte de grésillement dans l’interphone.
Je dis deux mots. Silence.
Je n’ai pas le sentiment d’avoir été entendu.
Nouveau laps en attente. D’ailleurs, je ne suis même pas certain d’avoir appuyé à la « bonne » sonnette.
Il ne se passe rien.
On est déjà sur la deuxième marche, quand on entend un cliquetis. La porte s’entrouvre doucement, prudemment…
Tremblante, une vieille femme visiblement très inquiète nous jette un regard sombre. Le téléphone portable toujours à la main, elle nous demande de quoi il s’agit ? Je me présente poliment et m’excuse immédiatement de l’avoir dérangée. J’explique néanmoins en deux mots la raison de ma venue. Elle est très perturbée. « Vous n’arrivez pas au bon moment, me dit-elle. Je traverse une période difficile, très difficile… » En un flot de malheurs, elle m’apprend qu’elle a 95 ans, que sa fille est atteinte d’une maladie incurable, qu’elle vit seule, qu’il y a eu une fuite d’eau venant de l’étage supérieur, que ça n’est pas réglé, que son mari est mort il y a deux ans… Bref. Tout cela sur le palier.
Je lui redis une nouvelle fois qui je suis, m’excusant de l’avoir dérangée.
Son masque reste très fermé et pourtant elle me lance là un regard soutenu, qui me dévisage. Elle murmure qu’elle sait très bien qui je suis, et, au lieu de refermer la porte, toujours tremblante, et sans quitter son téléphone, à ma grande surprise, elle nous invite à entrer…

(à suivre)

ès bien écouter. J’ai même l’impression qu’il commence à en savoir plus sur ma vie que moi-même. En tout cas c’est plus précis. Son sujet est une énigme, il mène une enquête. Il interroge des personnes, compulse des documents publics, regarde ou écoute des émissions/médias, plonge dans les revues de presse. Chronologique, il accumule des faits. Quand il a collecté assez d’infos, il se met à son ordi, et il écrit le film comme on emboîte les pièces d’un puzzle. Ainsi, comme il l’a fait auparavant pour celle de Philippe Djian ou celle d’Isaac Hayes, aujourd’hui a-t il décidé de remonter le cours de ma vie. À force de remonter, voilà qu’on se retrouve ici, sur ce palier de pierre que j’ai quitté un jour de Juin 79.
Par la fenêtre de l’escalier, on voit les volets fermés. Il semble bien qu’il n’y a plus personne depuis des lustres.
Trois sonnettes à côté de la porte.
Mû par je ne sais quelle instinct, (et aussi parce que j’ai vu une excellente émission dans laquelle Paul McCartney faisait visiter Liverpool à James Corden), encouragé par la présence de cet ami, j’appuie sur l’une d’elle.
Pas de bruit.
Pas de réponse.
On se regarde en silence et on s’apprête à redescendre comme de logique, quand on entend une sorte de grésillement dans l’interphone.
Je dis deux mots. Silence.
Je n’ai pas le sentiment d’avoir été entendu.
Nouveau laps en attente. D’ailleurs, je ne suis même pas certain d’avoir appuyé à la « bonne » sonnette.
Il ne se passe rien.
On est déjà sur la deuxième marche, quand on entend un cliquetis. La porte s’entrouvre doucement, prudemment…
Tremblante, une vieille femme visiblement très inquiète nous jette un regard sombre. Le téléphone portable toujours à la main, elle nous demande de quoi il s’agit ? Je me présente poliment et m’excuse immédiatement de l’avoir dérangée. J’explique néanmoins en deux mots la raison de ma venue. Elle est très perturbée. « Vous n’arrivez pas au bon moment, me dit-elle. Je traverse une période difficile, très difficile… » En un flot de malheurs, elle m’apprend qu’elle a 95 ans, que sa fille est atteinte d’une maladie incurable, qu’elle vit seule, qu’il y a eu une fuite d’eau venant de l’étage supérieur, que ça n’est pas réglé, que son mari est mort il y a deux ans… Bref. Tout cela sur le palier.
Je lui redis une nouvelle fois qui je suis, m’excusant de l’avoir dérangée.
Son masque reste très fermé et pourtant elle me lance là un regard soutenu, qui me dévisage. Elle murmure qu’elle sait très bien qui je suis, et, au lieu de refermer la porte, toujours tremblante, et sans quitter son téléphone, à ma grande surprise, elle nous invite à entrer…

(à suivre)