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Confesse Book

273 – Un moment extraordinaire… (1)

Profitant d’une journée libre et par un temps délicieux sous couvert de ciel bleu comme l’été nous en offre de merveilleux « aussi » en Lorraine, j’ai guidé/accompagné David de passage à Nancy à travers la ville de mon enfance. Venu de Rouen, David Desvérité travaille actuellement sur la première biographie sérieuse me concernant. La rue Isabey, l’école Braconnot, la place Stanislas, ou le quartier des Tiercelins derrière la cathédrale… Pèlerinage et flashbacks, je lui ai brièvement fait découvrir les lieux de mon enfance, assortis de quelques commentaires… C’est ainsi que je me suis retrouvé devant la maison de la rue de la Source, dans laquelle j’avais habité de 6 à 23 ans.
Depuis la rue, montrant la façade, je désignais les fenêtres de ce premier étage. Tous les volets clos laissaient à penser qu’il n’y avait là plus personne, depuis longtemps. Derrière chacun, je lui indiquais du doigt que, là, c’était ma chambre, là, la salle à manger, là, le grand salon, là, le bureau de mon père et à l’extrémité, dans cette pièce où logeait ma grand avant qu’elle ne décède c’est là que j’étais revenu habiter après ma fugue, et là que j’avais commencé à peindre, et suivi la quasi intégralité de mon cursus aux Beaux-Arts. Oui, c’est dans cette pièce haute de plafond où j’avais construit une mezzanine, que j’avais aussi composé nombre de mes premières chansons, dont « les Anglais en vacances », « le vieil homme » ou la musique de « la ballade du mois d’Août 75 ». C’est aussi là que j’habitais quand j’ai autofinancé mon premier disque « 12 chansons dans la sciure » enregistré en 1978 dans le petit studio SRC installé place Saint Epvre à quelques pas de là, accompagné par les musiciens de Jazz de la NAJA. L’appartement que nous habitions est situé juste en face de la MJC Lillebonne où répétaient alors les musiciens qui créèrent plus tard la M.A.I « Musique Academy International», l’école de musique dans laquelle Karim Attoumane venu de l’île de la Réunion, avait peaufiné ses doigtés avant que je le rencontre des années plus tard, et qu’il devienne celui qui m’accompagne sur scène depuis 2005.
Le grand appartement que louait mes parents était l’un de ceux d’une grande bâtisse en pierres de taille, un hôtel particulier construit au XVIII ème. Mon père antiquaire et ma mère qui n’avaient jamais été propriétaires, se plaisaient néanmoins de nous avoir élevés ma sœur, mon frère et moi, dans cet endroit rempli d’Histoire.
Ça s’est amélioré d’année en année, mais à l’époque de mon enfance, ce quartier de la ville était pour le moins mal famé. Cette partie de la vieille ville et ses taudis servaient d’accueil pour les émigrés Algériens et gitans / manouches qu’on ne savait pas où caser. Les Remetter, Rackovs, Herenbauguen ou Seculas s’entredéchiraient entre grandes familles Roms et clans Yéniches. Alcoolisés, ils se battaient avec des manches de pioche, ils s’éventraient à coups de surin ou de serpettes, ils se passaient par la fenêtre, ou se tiraient dessus à canon scié. Régulièrement le calme revenait quand l’un des forcenés faisait des passages obligés par la case prison. Alors on gagnait quelques mois de répit jusqu’à ce que celui qui une fois ressorti, ne fasse à nouveau parler ses poings, afin de récupérer un territoire ou de se venger d’un autre qui lui avait pris une fille, ou parce qu’il avait été dénoncé pour un trafic de voitures volées au Luxembourg, ou je ne sais quoi… Et c’était reparti pour des hurlements dans la nuit.
Avec un mélange d’amusement inquiet et de cœur battant, tapis derrière nos fenêtres, ma sœur, mon frère et moi, on épiait ces violentes altercations nocturnes qui se déroulaient comme des scènes d’action sans cascadeur sur le trottoir de la rue de la Charité ou rue du Cheval Blanc. Il y avait parfois des balles perdues ou des cailloux qui volaient dans notre direction, pourtant de ce côté-ci de la rue, on ne risquait « presque » rien. On n’avait rien en commun et rien à craindre, sinon de se faire voler nos vélos. Il y avait une frontière invisible, comme un pacte secret qui faisait qu’ils ne s’en prenaient pas à nous, (en échange de les laisser vider les boîtes à gants des voitures stationnées la nuit). D’autant que leurs « conflits internes » entre familles leur suffisaient. À de rares exceptions, nous n’étions pas vraiment confrontés à eux qui vivaient pourtant à quelques mètres. En fait, je devais juste traverser ce territoire dangereux pour aller à l’école où, d’ailleurs j’en retrouvais certains, avec lesquels je pactisais en échange de quelques billes. Cette relation de proximité avec ces proxos et voleurs, a eu pour conséquence aussi que je n’ai jamais eu peur des voyous…
Quand on connaît ce même quartier aujourd’hui devenu bobo chic, difficile d’imaginer ces mêmes rues sombres à peine éclairées par un réverbère à gaz, encore pavées, défoncées, dans des logements insalubre avec à peine l’eau courante. À l’époque c’était Victor Hugo. Jean Valjean, Cosette, les Misérables ou Zola, on les avait devant les yeux.
Donc je me retrouve là.
Je traverse la rue.
Désireux de montrer la cour à David, je pousse à tout hasard la lourde porte du porche… Elle n’est pas fermée. Par le passé, à l’occasion peut-être trois ou quatre fois, j’ai déjà fait cela, revenir et pénétrer dans la cour de mon enfance.
Mais ce jour-là, parce que j’avais parlé à David de la résonance du son, quand je jouais de la guitare dans les réverbérations naturelles du grand escalier, j’ai osé monter les marches jusqu’au premier étage …

(à suivre)