Pour en avoir fait l’expérience, je confirme que ce « ça va Manu » a suscité d’innombrables polémiques au sein des familles, et leur contenu dépassait largement le cadre de cette altercation de quelques secondes lors d’une cérémonie officielle au mont Valérien.
Au-delà de l’insolence lycéenne du gamin qui voulait juste faire le malin devant ses potes, ça s’est très vite allumé et ça s’est mis à faire le buzz entre convention et politesse, entre liberté d’expression et censure, entre amertume et j’m’en foutisme; entre « faites l’amour » et « pas la guerre », entre violence des mots et violence des gestes, entre respect d’autrui et « humiliation » – ce mot si galvaudé, qui sert maintenant à griller la viande de l’âme à toutes les sauces – Mais à la différence de la captation fortuite où Sarkozy s’était fait piéger dans la posture du manager vulgaire avec son « ça va, pauv’ con », Macron l’ayant joué didactique, s’est retrouvé incarner plutôt l’« Adulte Autoritaire »…
Installés sur le tertre du conflit intergénérationnel, (néanmoins brouillés par le fait de la jeunesse du président troublant les chicaneurs qui, du coup, se rabattaient sur une rhétorique de caste) d’une discussion à l’autre, les points de vue étaient en général les mêmes : les adultes raisonnables autrement nommés « les vieux », ou encore « vous », acceptaient volontiers l’idée d’une remise en place, comme on définit une règle du jeu, considérant que la fameuse « Liberté des uns s’arrête où commence celle des autres », tandis que, de l’autre, « les jeunes » adoptaient un point de vue rebelles impatients, qui défendait par principe, ceux qui tentent de désacraliser la fonction, (qu’elle soit d’État ou autre). Qui n’a pas voulu déboulonner un siège pour le remplacer par le sien propre… jusqu’à ce qu’on y soit assis dessus ?
Bien sûr, si l’on compare avec les générations qui les ont précédés, les jeunes gens d’aujourd’hui vivent apparemment dans un confort tel qu’ils se concentrent parfois sur des détails qui peuvent sembler futiles pour ceux qui se battaient pour survivre. Mais ces mêmes jeunes évoluent aussi dans une société surpeuplée où la concurrence, la densité des populations oblige à jouer des coudes pour s’y faire ne serait-ce qu’une petite place. Accepter des conditions terribles et stressantes ne serait-ce que pour exister un peu dans une société aussi libérale que puritaine.
Il y a la manière de s’exprimer, le choix des mots, du vocabulaire, et puis il y a ce que l’on dit… Tout le monde a pris l’habitude de dire n’importe quoi, n’importe quand. Difficile de faire admettre l’idée qu’il faille tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de cracher son chewing gum.
(Et que dire en ce moment des experts de mes deux et autres commentateurs stratèges du foot, qui vouent au « pilotis » les indifférents qui préféreraient parler d’autres choses, ces fanatiques imptoyables qui soufflent de toute leur mauvaise haleine alcoolisée pour raviver tous les quatre ans le monstre de la bêtise qui sommeille en chacun de nous.)
Mano a mano, jeu de main, jeu de vilain. Ces débats et controverses tournaient autour du thème de l’interventionnisme: à quel moment et dans quels termes peut-on / doit-on dire « stop » ? Quand on a l’impression que les frontières sont dépassées ? Mais quelles frontières ? Quelles limites ? Quand on parle de limites, c’est sans limite. Immigration ou règles de vie, ranger ta chambre ou se lever de bonne heure, et c’est parti en live sur toutes sortes de conflits internes…
L’interventionnisme, on en parle en politique, quand certains états veulent se mêler de donner leur avis sur la manière des gérer les populations d’un autre pays. Quand on sait combien il est difficile de faire se comprendre des idéologies fondées sur des principes et des valeurs qui n’ont rien à voir les unes avec les autres…
Sans le vouloir, ce « ça va Manu » a fait se poser bcp de questions comme celle du maître et de l’élève (et pas seulement parce que Macron a dit au gamin qu’il fallait apprendre ce que signifiait chanter l’Internationale). Mais plus largement: doit-on laisser chacun livré à lui-même ? Éviter les conflits, être complice ? Et que faire quand on constate qu’un proche passe des heures au lit, se fait absorber par son écran, ou fait une consommation excessive d’alcool ? Doit-on se taire pour éviter de se fâcher ? À quel moment on dit son inquiétude de voir son enfant qui cesse de se nourrir ou qui se fait aspirer par la spirale d’une addiction ? A-t on le droit d’imposer un système ? Une vérité ? Un ordre ?
Bref, ce qu’on nomme « interventionnisme autoritaire », dans ce cadre là c’est peut-être aussi tout simplement ce qu’avant on appelait l’éducation.
CharlElie
Juin 2018