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Confesse Book

264 – Premier au p’tit dej

« Alors voilà ! » comme disent les sportifs à la fin de chaque phrase en interview… Je suis en retard, mon téléphone est vide (donc plus de GPS). À l’ancienne, naïvement, je m’arrête pour demander mon chemin à un facteur en train de mettre des lettres dans les boîtes:
– Pardon monsieur, excusez-moi, est-ce que vous savez où se trouve le Mercure à côté de la Mairie?
Il ne tourne même pas la tête. Je reprends un peu plus fort, pensant qu’il ne m’a pas entendu.
– Pardon monsieur, je cherche l’hôtel Mercure…
Et là, ce connard sans lever le menton, me lance avec insistance tout en continuant de faire ce qu’il avait à faire…
– Bonjour !
Ah oui, mince, oups, j’ai oublié le « bon-jour ». J’ai dit « Pardon, excusez-moi » mais pas « Bonjour ». Aujourd’hui, si tu fais, ça t’es mort ! Les crétins se sont mis d’accord pour t’apprendre la putain de politesse, à toi qui n’es qu’une espèce de mal-élevé qui dit « Pardon, monsieur, excusez-moi», mais qui omet le « Bonjour ».
– En plus, on doit dire : « veuillez m’excuser » …
Et faire des baisemains sans toucher la peau, tant qu’t’y es. Ça va j’ai compris : on doit ceci, on doit cela, au doigt et à l’œil. Non mais pitié… Ont-ils appris ça dans des stages de formation DRH? On leur a demandé d’accueillir les clients avec plus de civilités, ça les a énervés alors ils se vengent sur ta pomme. Ce « bonjour » n’a même pas besoin d’être sincère, non il est juste obligatoire. Simulacre de respect d’autrui. Pseudo éducation civique à la petite semaine, quelle hypocrisie ! En fait le but c’est de créer une distance, une neutralité, te faire bien comprendre qu’on ne se connaît pas toi et moi. Et ne t’avise pas de demander un renseignement à un flic ou à quiconque sans ce satané « bonjour » chantant ! Si tu oses poser ta question au guichet dans une administration sans dire « bonjour », alors, en retour de kick, ça va mal se passer, le gars ou la garce va considérer ta question comme une offense, un dérangement.
– Allez ça va, arrête ton cinéma… En plus tu sais même
pas où il est le Mercure…
– Monsieur, je ne vous tutoie pas alors ne me tutoyez pas…
– Oké oké
Les gens font des manières et des simagrées pour du duvet, mais ils se drapent sous une cape d’humiliation, en jouant les offusqués si une seule plume de leur toupet se trouve de traviole. Au mieux ils établissent instantanément un rapport de force, au pire ils se détestent les uns les autres, par principe.
On vit dans un monde habité par des gens chatouilleux / susceptibles comme des cerises trop mûres qui tombent de l’arbre au premier mouvement de la branche. Entre eux, ils se balancent des « fils de P…, va te faire E… » mais, fragiles comme des brins d’herbe, si c’est toi qui t’adresses à eux sans mettre le bon timbre de voix sur l’enveloppe, ils se vexent. Pourtant, dans un autre contexte, écoute les parler de foot, et d’une violence et d’une connerie extrême, tu verras resurgir le coté noir de la Force. Ah le foot bien sûr… Bonjour le foot… Il paraît qu’il vaut mieux éviter le sujet en ce moment… Mais bon, ça c’est une autre histoire…
D’abord tout ça ne serait pas arrivé si, au départ, mon téléphone portable n’avait pas été déchargé…
Tiens, à propos d’autre histoire et de téléphone : on était en concert à Saint-Chamond, près de Saint-Etienne, vendredi soir. Un bon gros show, bien rock, bien blues, bien cajun, bien carré cadré. Plaisir de retrouver la setlist de la tournée Lafayette. On était bien ensemble. Après le débrief’, le temps de me changer et je suis monté assez vite dans la navette qui nous ramenait à l’hôtel.
Fatigué. HS. À peine sur le lit, je me suis endormi. Soudain, mal au dos, je me réveille, vers 3 heures. Je vais à la SDB. J’allume en regardant dans la cuvette d’un œil distrait ce que je suis en train de faire debout; et là, mince, je m’inquiète de la couleur, et je me dis que si ça se trouve, je suis à nouveau en train de me faire un calcul… Sueur froide en anticipation, crainte d’une nouvelle crise de colique néphrétique. Je veux regarder des infos-santé sur mon celphone, mais… Où est-il ? Je fouille toutes mes poches. Impossible de remettre la main dessus. Rien.
Plus de téléphone, mince. Comment ai-je pu l’oublier ? Je commence à paniquer comme un dopé en manque. J’y ai mon billet de train, des adresses de rendez-vous… et puis tout quoi… une partie de ma vie, photos, adresses, des musiques, des réponses à envoyer, etc.
En fait, ça y est, je me souviens de l’avoir branché à côté du frigo dans ma loge; si ça se trouve il y est encore. Je tente d’appeler la réception, ça ne répond pas. J’essaie d’appeler quelqu’un qui pourrait appeler quelqu’un capable de m’aider, mais impossible, ma ligne n’a pas été ouverte ! Me voilà seul. Archi seul. Je sors dehors. Pas un bruit. Normal, à 4 heures, tout le monde dort. Je rentre en moi-même comme sur une île. Robinson dans ma chambre. Isolé. En pleine nuit. Coupé du monde.
À peine dormi quelques heures. J’ai laissé les rideaux ouverts. Le soleil me jette hors du lit. 7 heures. Dire que je craignais de me réveiller trop tard. Et rater le « rider » qui doit nous amener à la gare…
Je suis le premier au petit déj’, dans l’espoir de tomber sur un membre de notre équipe qui pourrait me prêter le sien afin d’alerter le régisseur ou le chef de plateau, ou les organisateurs de la veille…
Le gars de la réception était emmerdé, lui qui était venu au concert, et qui me dit :
– Excusez nous, m’sieur, mais plus personne n’utilise les téléphones dans les chambres, alors, si on veut le faire, il faut nous le dire à l’avance…
-C’est ça oui !Sauf que je ne peux pas savoir que je vais oublier le mien…

Bon, bref, j’ai récupéré mon phone, et j’ai poussé un ouf de ouf ! Un seul être vous manque et tout est dépeuplé…
Le téléphone est devenu un organe vital qu’on tient désormais à la main…

Bonjour, allo…
Alors voilà…

CharlElie
Juin 2018