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Confesse Book

261 – Edouard Baer

La présentation du festival de Cannes 2018 par Edouard Baer était un merveilleux exemple d’intelligence inspirée.
Félicitation à ceux (donc Pierre Lescure, j’imagine) qui lui ont donné la carte blanche sur laquelle il a écrit / dicté ce beau discours ! Son texte « improvisé » était irréprochable ! Avant on aurait même dit « Épatant. » Un modèle. Animé par un feu d’enthousiasme, comme le sont souvent ses matinales sur Radio Nova. Mais, alors que, le jour se levant à peine sur la capitale quand il s’installe derrière le micro, il peut dés lors s’épancher en toute intimité entre les quatre murs du studio, ce soir d’inauguration 2018 (premier de l’ère post-Weinstein), son intervention subtile était un véritable acte de bravoure. Bien sûr il a déjà l’autorité de ceux qui savent à quoi s’attendre, on lui a déjà plusieurs fois confié la responsabilité des « maîtres de Cérémonie », mais il y a toujours une part de hasard, de choix, de manière. Edouard Baer a un style bien à lui, et son style n’est pas facile.
On peut l’imaginer la veille, tournant en rond dans sa chambre, se demandant par quel bout il va commencer, puis soudain envahi par l’angoisse comme un cosmonaute qui va mettre sa vie en jeu dans un nouvel engin spatial, ou comme un funambule qui va traverser une vallée conscient qu’à tout moment le vent peut se lever, il se demande pourquoi il a accepté, il se dit que son imagination suffira et il s’interdit de prendre des substances ou de boire de peur que ça ne lui embrouille les méninges, considérant que cette défonce d’adrénaline semblable à celle que connaissent le grands sportifs avant un match en finale lui suffit ; il ne peut plus reculer. Le voilà juste avant. Il est très excité. Son cœur bat fort. Maintenant il a hâte. Il essaie de respirer. Il ne sait plus ce qu’il pense. C’est un trou noir béant devant lui. Faire fi des regards…Il commence, et les mots parlent pour lui. Il n’a plus le temps de penser. Une phrase chasse l’autre… Il est fou. Halluciné cinéma.

Même si Edouard Baer porte sur lui le costume d’aisance et de galéjade, que les étrangers nomment « à la française », même s’il incarne une sorte de désinvolture parisienne dans la lignée de Fabrice Luchini – qui semble lui se moquer de vous, presque arrogant à force d’assurance cultivée, fanfaronnant devant les caméras pour en remettre une couche de « name droping » à la limite du cabotinage universitaire à chacune de ses interventions-, malgré tout il faut en avoir rudement, je veux parler de la confiance en soi, pour se lancer sans filet comme l’a fait Edouard Baer devant ce parterre de spectateurs d’influence, femmes et hommes de tous bords aux egos boostés, venus pour certains de très de loin pour être là, au milieu de la crème des crèmes fouettées, au beurre, Chantilly ou pâtissière pour se montrer à la devanture comme des cerises sur un gâteau, pour être vu.e.s plutôt que pour voir.

Le délire de Baer fut d’une liberté absolue. Les idées qui s’enchaînent, s’emboîtent entre elles comme les pièces d’un puzzle, mélange de souvenirs et de faridondaines, des perles variées enfilées sur un même fil comme les notes de musique sous les doigts d’un virtuose, un fatras de tout et de rien captivants qui vous rappelle à des souvenirs et font battre le cœur, comme la Poésie sait le faire quand elle vous prend.

Aussi profond que superficiel, comme un grand maelström, à la fois provocateur et complice, à la fois insolent et propre, à la fois riche et amusant, le discours d’inauguration d’Edouard Baer incarnait à lui seul toutes les aspirations, les rêves et les fantasmes qui font le « cinéma ».

CharlElie
Mai 2018