Le 14 Avril 2018, le célèbre avocat David Buckel âgé de 60 ans a mis fin a ses jours à Brooklyn, en s’immolant par le feu après avoir publié une lettre envoyée au New York Times dans laquelle il dénonce la pollution des mers, des rivières et de l’air par le pétrole. Ensuite il a craqué une allumette qui a enflammé le carburant fossile dont il s’était imprégné. Il y a eu quelques papiers, mais on a finalement peu parlé de ce geste sacrificiel.
Quand le 11 juin 1963 le bonze vietnamien Thích Quảng Đức, s’était immolé de la même manière à Saigon en signe de protestation contre la répression antibouddhiste ordonnée par le président catholique Diệm, ça avait suscité l’émoi de la communauté internationale. T.Q.D. était devenu une icône. On raconta que durant sa combustion, il n’aurait ni bougé, ni émit le moindre son. La légende veut que son cœur ait résisté aux flammes et soit conservé dans un reliquaire.
Quand répétant ce même geste, le vendeur Tunisien Mohamed Bouazizi, âgé de 26 ans, s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010 devant la préfecture de Sidi Bouzid après s’être fait confisquer une nouvelle fois sa marchandise par la police, ça avait déclenché le printemps arabe. Suivant son « exemple » des dizaines de jeunes s’étaient immolés eux aussi et cela eut pour conséquence entre autres que moins d’un mois après le suicide du jeune vendeur ambulant, le président Zine el-Abidine Ben Ali fut contraint de fuir le pays et le régime tunisien s’est effondré. C’était le début du printemps arabe qui gagna ensuite l’Egypte, la Libye, puis la Syrie.
Aujourd’hui, la banalisation des infos « gore » est telle que le suicide de David Buckel n’atteint même plus les consciences.
Immolation, pétard mouillé. Plus d’effet.
Célèbre pour avoir plaidé dans plusieurs procès clés en faveur des droits des LGBT, David Buckel avait aussi milité pour des causes environnementales. Passionné par le jardinage et le compost, il était devenu la figure de référence d’une association écolo pour laquelle il avait notamment collecté des fonds, mais sa notoriété locale n’a pas suffit pour faire de sa mort un symbole.
Vite fait, les chargés de com des pétroliers ont pris les choses en main et diffusé des hoax vénéneux sur les réseaux sociaux tendant à faire passer l’avocat pour un gay dépressif au bout du rouleau.
Et voilà, ça s’appelle des « feux de barrages ».
Oui, voilà le monde enfumé que devront traverser les générations futures. Un monde où la vaporisation des contenus « tout et n’importe quoi » devient comme les brumisateurs ou des arrosages de jardin sur nos cervelles de poulets… Mais ce trop-plein « d’infos chocs » n’est pas innocent.
En France du moins, les gros tuyaux médias appartiennent à quelques grands patrons qui ont tout intérêt à contrôler le débit de l’eau. L’information est canalisée comme sur Canal+ par exemple… Les magnats propriétaires tiennent les manettes d’une main de velours dans un gant de fer. Il est loin le temps des journaux libres et indépendants du genre « Actuel » et compagnie…
Où est passée la liberté de la presse quand ceux qui écrivent sont devenus des « communicants » payés pour diffuser une info filtrée, choisie, aux ordres des rédacs-chefs qui doivent eux faire référence de leurs choix à la direction propriétaire.
Depuis qu’une des premières lois votée à l’Assemblée après l’élection du jeune président, interdit toute forme de diffusion d’information concernant les mics et les macs des Seigneurs de la guerre économique (…), sous le prétexte fallacieux de « prévention des fake news » (qui, certes, devraient être sévèrement punies !), les vrais journalistes d’investigation, les reporters et autres « Tintins » n’ont désormais plus le droit d’enquêter et cela afin de « préserver des secrets industriels ».
Ah ils sont beaux ces secrets !
Aujourd’hui les esprits s’échauffent et les commentaires s’embrasent comme du papier de soie à propos de détails futiles d’une intonation ou d’un mouvement de poignet, mais quand on parle de fond on fait chier comme un bûche.
La mort de David Buckel qui laisse ses deux enfants orphelins, a-t il été un sacrifice étique inutile ? Il est certainement plus facile de filtrer l’information que de filtrer l’air, l’eau ou les engrais et pesticides.
Bien sûr, quand le brasier qui a emporté au ciel David Buckel s’est éteint, on a tout de suite mis en route les aérateurs, et la fumée s’est dissipée, aussitôt remplacée par les parfums synthétiques qui veulent nous faire croire aux printemps éternels…
Mais est-ce que nier la réalité suffit à effacer les faits ?
CharlElie.
Mai 2018