Menu

Confesse Book

236 – Rencontre du X eme type

Hier, il a plu toute la journée et je ne suis pas arrivé à me motiver pour sortir. Aujourd’hui, veille de Noël, la météo annonce du froid mais je vais bouger, le froid est revigorant.
J’ai remonté la fermeture éclair et en route.
Quelques Snapchats aux copains plus tard, je marchais la tête en l’air quand soudain avant d’arriver sur Lexington venant en face de moi je reconnais une de mes idoles, disons un de ces êtres importants que je cite en guise de références, un des piliers de mon panthéon sur l’acropole des créateurs dont l’action stimule ma propre motivation… Je suis de nature peu frivole, pourtant en un instant mon cœur s’est mis à battre la chamade. L’expérience et les années n’y change rien, quand on croise quelqu’un qu’on admire, c’est le branle-bat de combat intérieur. Rien n’y fait, la gorge sèche, les idées confuses… quand la réalité rencontre le mythe, c’est comme un conte de Noël…
Quasiment nez à nez, face à lui, diantre ! Il y a 7 milliards et demi d’habitants sur Terre alors, même si les statisticiens refusent d’appeler ça du hasard, quelle était la probabilité pour qu’on se rencontre aujourd’hui tous les deux à cet endroit ? Lui qui habite à l’autre bout du monde, et moi qui passe désormais moins de temps à NYC. Sachant de plus que je n’utilise pas ce chemin d’habitude puisque je vais à l’atelier en vélo et que lui n’est là que temporairement, j’imagine en relation avec l’installation de ses sculptures à Flushing Meadows, à Copper Union, à Central Park, et (peut-être la plus forte encore) sous l’arche du Washington Square Park…
Alors pourquoi ce jour-là, ai-je choisi de marcher pour aller prendre le métro en traînant une valise à roulettes pleine de fringues pour le « thrift shop » qui reverse aux plus démunis les bénéfices qu’ils font avec les habits qu’ils revendent d’occasion ?
Un jour dans les années 80, je suis tombé sur KEITH HARING dans sa galerie de Lafayette Street, un autre jour ce fut LOU REED dans un magasin de vélos à Soho, j’ai approché JEFF COONS un matin lors de l’installation d’une de ses expos à Chelsea, j’ai croisé JACK BLACK dans la rue à Tribecca et David BOWIE lors d’un vernissage, je discutais parfois avec DAVID BYRNE quand il habitait à côté de ma galerie sur la 37th, j’ai aussi échangé avec BONO lors d’un défilé de mode West side, et une autre fois avec ELTON JOHN, j’ai salué PATTI SIMITH dans sa loge et CLAPTON à l’anniversaire d’un copain, un autre jour PHILIPP SEYMOUR HOFFMAN est sorti du taxi dans lequel je rentrais, j’ai parlé avec WOODY ALLEN lors d’un repas dans les ateliers d’ARMAN, j’ai rendu visite à ELIE WIESEL… À Manhattan, la densité de population crée des occasions.
En France aussi, j’ai pu toucher la main du DALAÏ LAMA en 2008 à Roqueredonde, j’ai rigolé avec ROLAND TOPOR, j’ai aussi pu dire quelques mots à DAVID HOCKNEY à Beaubourg, et ROBERT REDFORD et PHILIPPE DJIAN etc. En écrivant cela je m’aperçois que j’en oublie beaucoup, les noms qui me viennent sans réfléchir sont aussi liés à l’inaccessibilité que semble leur conférer leur notoriété. Mon Panthéon ne s’arrête certes pas à ces quelques pierres taillées qui néanmoins font partie des clés de voûte.
Avec les années, la liste s’allonge de ces jours de hasard qui m’ont permis d’approcher de près, certains parmi les héros qui définissent mon champ d’expertise. Je sais exactement où je les ai croisés, je me rappelle de chaque endroit. Le souvenir est net, précis comme si c’était hier. Chaque fois que j’y repasse, je les revois, ils sont là inscrits / confondus au décor.
À jamais cet endroit précis de la 58th rue sera marqué par cette rencontre inattendue, si furtive qu’elle fût.
Il marchait, portant des paquets en cette veille de Noël accompagné de sa femme, sa petite fille derrière avec une autre dame. Je ne voulais pas l’embarrasser, j’ai vécu des situations similaire (…), alors je m’en suis tenu au strict minimum. Je me suis adressé à lui, en le regardant dans les yeux. Il s’est arrêté. Il m’a regardé à son tour. Je l’ai salué avec respect : « Je ne veux pas vous déranger, je suis aussi artiste, moi-même. J’admire votre travail. J’ai vu plusieurs expositions de vous. Je suis heureux de pouvoir vous dire tout le respect et l’admiration que j’ai pour votre œuvre. Passez de bonnes fêtes, comme on dit ici… »
Il m’a salué à son tour, soulagé certainement que je n’abuse pas de la situation. M’a-t il oublié dans la minute qui suivait ? Ça n’avait pas d’importance. J’étais juste heureux d’avoir pu exprimer ma reconnaissance, dans le véritable sens du mon, à quelqu’un dont le talent et l’Art permettent de nous faire partager des pensées et émotions autrement indicibles.
C’était la veille de Noël; j’avais déjà reçu mon cadeau,
Venu du ciel ?
Qui sait ?

PS : Dernier détail, ai-je oublié de dire de qui il s’agissait ?
Aïe, ouais ouais…Eh bien en effet, justement, c’était
Ai Weiwei.
Dec 2017