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Confesse Book

235 – Deux lumières

Jean D’Ormesson d’abord, Johnny Hallyday le lendemain, à un jour d’intervalle ce sont deux icônes qui disparaissent. L’un et l’autre laisseront à l’évidence une trace bien différente dans l’Histoire de la culture française. D’un côté un intellectuel doué d’une vive intelligence fine et pleine d’humour, un sens de la rhétorique et une grande acuité dans l’analyse des choses politique autant qu’introspective, un homme à l’apparence fragile mais parlant d’une voix pincée un peu sèche dans un phrasé très articulé pour dire les choses que voulait exprimer une certaine Droite Française libérale indépendante, de l’autre un homme considéré comme un félin semi-sauvage, au fond un éternel adolescent, instinctif à fleur de peau, qui à travers ses postures et attitudes et surtout dans les chansons qu’il interprétait d’une voix puissante, incarnait toute une époque / référence de la culture populaire francophone de l’après 2nde guerre mondiale.

D’abord blond, souriant, tonique mais un peu timide, maladroit dans ses mots à lui mais sûr de lui en chanteur, mal élevé ou voyou et puis ensuite plutôt macho, brut de décoffrage, d’abord inspiré par Elvis Presley à la naissance du Rock n’ roll puis suivant le fil des modes musicales en avait su s’adapter au succès. Devenu une idole dans sa jeunesse, Johnny Hallyday et ceux qui l’entouraient ont su entretenir son mythe tout au long de sa vie, jusqu’à cette dernière tournée courageuse qu’il l’a vu monter scène encore l’été dernier. Comme celle de toutes les idoles, sa simple existence excitait le cœur de celles et ceux qui se reconnaissaient en lui. Ses fans doivent être en pleurs aujourd’hui, eux qui le vénéraient jusqu’à construire des autels pour lui dans leur appartement et pavillon de banlieue, ou se le faire tatouer sur le dos, sur l’avant bras ou ailleurs… Intransigeants, sectaires comme des intégristes, ceux qui l’admiraient voulaient faire abstraction de la réalité. Johnny Hallyday était une entité considérée non pour ce qu’il était mais pour ce qu’il représentait, autrement dit : « l’accès à la Gloire, à l’Argent et au Pouvoir d’un jeune homme sans grande éducation qui pourtant avait réussi grâce au charme qu’irradiait son talent. » La réalité n’avait pas beaucoup d’importance, à moins de détails croustillants anecdotiques et photos « volées » distribuées pour alimenter la communication que savaient utiliser ses impresarios, managers ou producteurs pour faire mousser les tabloïds.

Alors voilà, c’est ainsi que les pans se tourne. Comme la banquise qui se brise, la fracture s’opère entre les générations, celles qui ont connu et celles qui n’ont jamais entendu parler de untel…

Pourtant aujourd’hui et pendant quelques jours, les salles de rédaction s’animeront pour rendre hommage à un chanteur populaire emporté à 74 ans par un méchant cancer conséquent de tous les excès qu’il a lui-même maintes fois confessés, de même que d’autres journalistes retrouveront au détour de telle ou telle interview les flèches malines, tirées par un intellectuel armé d’une arbalète d’idées pointues.

D’un côté on voyait celle d’un être brillant par lui-même, dont le regard d‘aigle scintillait dans l’esprit des philosophes du XVIIIème siècle qu’on appelait « les lumières », de l’autre celle des projecteurs éclairant un chanteur qui savait faire miroiter sur scène ses habits pailletés, oui aujourd’hui c’est l’hiver, il fait un peu plus froid encore, quand les lumières sont éteintes.

Dec 2017