Emballées de carton en Septembre dans mon atelier à Manhattan, retenues un temps dans des containers stockés sur le tertre d’un dock dans un port atlantique, transportées en cargo, immobilisées en parc de douane à leur arrivée, une fois la situation débloquée, transférées vers un point de relais d’où elles furent à nouveau transbordées dans deux véhicules pouvant avoir accès à l’endroit où elles vont être stockées désormais, mes œuvres Américaines ont finalement atteint leur destination…
Il faudra certes encore moultes essais de classification aléatoires pour qu’elles trouvent leurs places définitives sur les stands et étagères construites à cet effet, pourtant le plus compliqué semble derrière ! Quand bien même le temps se figerait aujourd’hui, que l’essentiel est atteint : mes œuvres sont là dans un sacro-saint lieu sain.
Une crainte est toujours occulte. Mais on peut aussi redouter de la faire exister en l’évoquant, alors je me suis tu, voué à mater le plafond en silence des nuits entières.
Si « bien dormir » signifie « tomber dans une sorte de coma », moi je dormais mal. Est-ce absurde d’imaginer que ce énième calcul s’est aggloméré dans mes reins, a été fabriqué par les circonstances d’angoisse ? (- Rien que d’y penser j’appréhende déjà la douleur qu’il me faudra endurer quand ledit caillou pointu voudra sortir de son étroit canal… -)
Comme un vertige, une peur informelle inspirée par de mauvaises expériences, y a t-il un atavisme à « se faire du souci » ? Pourquoi notre cerveau envisage t-il le pire ?
Je hais le très actuel « principe de précaution » qui justifie toutes les dérives et nous plonge dans des « états d’urgences » qui justifient toutes les dérives autoritaires d’un Etat.
Le « principe de précaution » est un effroyable alibi. Il masque l’incapacité des pouvoirs dominants à appréhender la notion de hasard. Qu’il s’agisse d’économie, de justice, de politique les hommes en place veulent contrôler la situation. En donnant à croire que le pire est à venir le « principe de précaution » protége surtout l’honneur et la situation de ceux qui sont en place. Mais peut-on objectivement se protéger contre les actes immanents, nés dans l’esprit suicidaire de déséquilibrés isolés ?
(Et quand on a l’occasion de juger un frère manipulateur, comment peut-on avoir l’impudence politique de minimiser son influence, alors qu’on sait qu’il est aussi coupable que la main armée qui a commis les crimes ?)
Sourd aux menaces, refusant de sombrer dans la spirale de l’angoisse, j’avais sous-estimé la valeur des œuvres, réduite à un minimum. Conscient de la précarité du contrat qu’on avait signé, j’avais des sueurs froides en pensant que les assurances auraient aisément déniché un paragraphe à notre désavantage, si par malheur il était advenu que quelque chose arrivât aux caisses durant leur voyage. Un risque à prendre… mais le prix à payer en contrepartie c’était des semaines de stress !
Or donc les cent colis livrés m’ont délivré. Depuis je ne cesse de me réjouir : elles sont là !!!
Bon maintenant passons à la séquence suivante : il faut désormais que je trouve des cimaises pour les exposer une fois défaites leur cocon de papier bulle afin que le papillon qu’elles incarnent puisse enfin s’envoler…