Une maison de campagne vit et s’altère selon des codes naturels invisibles à l’œil nu mais dont les effets sont bien réels. Quand je prends mes quartiers d’été en Lorraine, comme pour remettre les compteurs à zéro, en arrivant me voilà pris d’une envie de réorganisation.
Je ne sais pas vraiment d’où me vient le plaisir de passer l’aspirateur ? Est-ce un sentiment de puissance par rapport à l’infiniment petit ? Genre : « Oh toi le papillon sec et tes copines les mouches mortes, oh vous minons et trombones tordus, oh toiles d’araignée, poussières et poudre plâtrière, petits écrous et écailles de peinture, attention, fini de jouer, je vous ai laissé tranquille pendant quelques mois, mais le Grand Maître de l’Aspiro est de retour ! Tremblez petits riens en entendant le souffle du tuyau, c’est la menace qui s’en vient, dans un instant vous finirez dans un sac ! »
En fait c’est aussi peut-être à cause des aspirateurs que je suis devenu musicien ?
Le bruit de l’aspirateur est un de mes premiers souvenirs. Faut-il remonter jusqu’au berceau ? Je me revois éveillé, frémissant de bonheur en écoutant les variations de fréquences, tantôt aigües ou graves, fortes ou pianissimo. Quelqu’un était là ! Et puis aussi la grande angoisse quand il venait à s’éteindre.
Si je suis Don Quichotte affrontant un tuyau à la main les puissances de l’érosion, cet aspirateur NilFisk Modèle GSD à côté de moi, c’est Sancho. Un vrai allié contre la poussière. On peut penser que son design trapu, compact a inspiré celui de R2D2, sauf que mon aspirateur Danois n’a pas la prétention de réfléchir ; Non, lui, c’est ON/OFF, et pis c’est tout ! Simple, efficace, c’est juste un puissant moteur qui a faim de poussière. Ce petit ogre qui m’accompagne sur ses roulettes, est en fait un monstre qui gobe tout ce qui ne bouge pas, (et même tout ce qui bouge aussi). Pas de faux réglages d’intensité, ni de palpeurs de mes deux, ni de « modulateurs de succion », ni « d’analyseurs » de surface. Non, cet aspirateur n’est pas doté d’une intelligence artificielle bluffante, il ne joue pas aux échecs, ni ne répond pas au téléphone, il ne cire pas les parquets et ne change pas les draps, il n’a même pas d’enrouleur de fil, mais au moins, il marche quand on l’allume ! Et qui plus est, il ne semble pas manifester de fatigue. Je crois que je l’ai acheté en 1981 – eh oui, solide comme un « Poèmes rock »- et voilà, pareil, toujours dispo depuis… 35 balais !
C’était la grande ère industrielle, quand les ingénieurs et fabricants avaient la conscience du travail bien fait, construisant des objets électriques de haute résistance, qui se vantaient d’être durables, éternels, inoxydables, inaltérables, indestructibles ! On était loin de la perversion de l’obsolescence programmée !
Qu’ils soient damnés ces pourris sortis des écoles de commerce avec l’obsession du profit à outrance, eux qui ont instauré l’escroquerie de l’auto-sabotage qui devrait être punie par la loi et des tribunaux de consommateurs ! Aspirant (c’est le cas de le dire) à vendre des merdes le plus cher possible, ils ont développé une philosophie de communication vantant l’esthétique de la carrosserie afin de camoufler les faiblesses de leurs produits.
Qu’ils soient maudits ceux qui ont remplacé la turbine par un axe en plastique dans les machines à laver, et autres pièces de fatigue non renforcées, et recharges de photocopieuses à moitié vides, et limité arbitrairement la taille des mémoires auxiliaires pour des matériels incapables d’« évoluer », et mis sur le marché des produits frelatés fragilisés (condensateurs électrolytiques peu durables, tuyaux ou plastique cassant). Ils me foutent en rogne ceux qui rognent sur la qualité pour forcer la consommation.
« Si l’idée de devenir aspirant-nettoyeur, vous inspire aujourd’hui comme hier, adieu poussières ! Ne prenez pas de risque, à vos rangs, fixe, NilFisk ! »
Juillet 2017