– Le vol ?
– Oh Tranquille tu sais, un vol « de routine ». 6h15 de vol et 2 heures de sommeil.
J’étais placé dans les premiers sièges. Vite débarqué. Pas de queue à la douane. La journée commence bien, ma valise parmi les premiers bagages. C’est dans les gênes, une sorte de rush; les voyageurs sont pressés de sortir de là. Je vais attendre le tableau carré d’un peu plus d’un mètre de côté qui doit arriver sur le tapis réservé aux « objets hors gabarits ». Et, si tant est que j’aie pu avoir une quelconque avance pour gagner la course-du-premier-qui-sort, le tableau met tant de temps à venir que même les douaniers paisibles s’en retournent taper le carton dans leurs bureaux. Finalement le tableau apparaît. Y a un sticker « Checked by the Amercican Security Service». Ils ont défait les ficelles. Je ne suis pas un gibon, et sans ficelles, c’est un peu galère à porter. Bah, ça fait partie du jeu. Du moment qu’il est là.
Je trouve un chariot, direction les taxis. Dans une demi-heure je serai chez moi…
Une demi-heure ? Ça c’est dans ton rêve ! Il est aujourd’hui naïf d’omettre d’intégrer dans ta prospective un impondérable culturel gaulois, un détail qu’on oublie si facilement quand on est à l’étranger, mais qu’on retrouve immanquablement quand atterrit au pays de Waldeck Rousseau et Léon Blum, comme l’expression répétée d’un mécontentement inscrit dans les traditions françaises : la grève !
Je m’engage à peine dans le petit couloir qui mène habituellement au train de taxis, quand je croise une dame dépitée qui rebrousse chemin,
– Y a pas de taxis
– Vraiment ? Mais, j’en vois plein …
– Ils sont en grève !
Elle me dit qu’elle a d’ors et déjà raté la correspondance avec son train pour aller à l’enterrement de sa mère…
Devant une dizaine de CRS plutôt relax, les taxis bloquent l’accès à l’aéroport. Pas de voitures, pas de motos ; seulement de temps en temps un bus.
– Comment puis-je rentrer sur Paris ?
Un mec vêtu d’un sans manche fluo un peu hagard dans le colletar façon pétard, me conseille d’en prendre un jusqu’à Rochereau, c’est d’enfer.
– Théoriquement, y a des bus tous les quarts d’heure.
Mais là, y a pas !
Il paraît que les taxis se plaignent des taxes, et de la concurrence déloyale des VLC (voitures de louage avec chauffeur. Peut-être, j’ai l’impression que d’un point de vue assis dans son fauteuil, toute forme de concurrence peut-être considérée comme déloyale. Je ne veux pas spéculer sur les raisons de cette grève qui, comme toutes les grèves sont sûrement la conséquence d’un ras le bol qui se manifeste comme il peut tel les psoriasis ou les crises d’eczéma psychosomatiques. Je me garderais bien d’essayer d’analyser les raisons qui font monter le malaise, mais mon avis s’approche de ceux qui doutent de l’efficacité de ces mouvements sociaux itératifs dont les conséquences affectent plus une population déjà touchée par une crise qui n’en finit pas, plutôt qu’ils n’embarrassent vraiment ceux à l’encontre desquels se dirigent les reproches et récriminations. J’imagine que c’est aussi cela, qui peut faire dire écrire qu’aujourd’hui la France hoquette…
Au bout d’une heure, un bus arrive finalement. Il est bondé. Les passagers à l’intérieur font tampon et colmatent l’entrée. Peu de gens peuvent monter, et moi encore moins avec mon tableau. Pourtant quand le bus s’en va, je m’aperçois qu’il y a plein de place à l’arrière. Maudit soit l’incivilité ! Comment est-ce possible ? Anyway on ne changera pas le monde.
Status quo. J’ai froid. Fatigué.
Ah, un peu de mouvement ! Ça distrait. Des dizaines de taxis se mettent à klaxonner et partent direction l’autoroute en file indienne à la vitesse de l’escargot. Une sorte de fanfare de klaxons. harmoniquement et rythmiquement, c’est amusant.
Tout à l’heure, j’étais parmi les premiers à l’arrêt de bus, et me voilà débordé par une vague de nouveaux débarqués.
J’abandonne alors l’idée de rentrer en bus. Changement d’option. J’opte pour la navette, direction la gare RER. Il semble qu’il y en ait un peu plus.
Après avoir franchi les barrages qui ne laissent filtrer que les transports en commun, je visite cette banlieue Sud que je ne connais pas. Lumière grise, peu de vie, peu de gens, peu de couleurs, des longs bâtiments industriels, et enfin cette gare RER au milieu de nulle part.On se croirait dans un reportage des actus de France3. Très bizarre. Même la machine à distribuer les tickets semble penser au ralenti.
Pas d’ascenseur ni d’escaliers roulants. Avec ma valise de 18 kilos et mon tableau d’un mètre, je descends comme je peux les escaliers, avec une pensée émue pour les personnes handicapées, comment font-ils ?
Service minimum. Personne pour t’aider, ni t’indiquer quoi que ce soit. Juste le vent froid. Que dalle sur le prompteur à la con qui dit un genre de « Bienvenue, Welcome, Wilcomen, Buenas dias…» au lieu de te donner des infos utiles.
Un train arrive.
Je monte. Un peu hésitant, j’interroge un passager pour savoir si, au moins, ce train va en direction de Paris. Il me répond en ronchonnant qu’il le croit… puis il tourne la tête. Je repose ma question, il ne répond pas.
Une dizaine de jeunes black se charrient mutuellement, deux filles voilées du hijab parlent doucement avec un copain barbu, une Amy Winehouse très maquillée perdue dans ses pensées, un vieux monsieur qui s’énerve quand son téléphone se met à sonner fort, un couple face à face chacun pianotant sur son smartphone, un mec avec une casquette des Yankees qui regarde dans le vague, et des habitués repliés sur eux-mêmes avec de gros casques Hifi sur les oreilles. Visages graves, sourcils froncés, j’ai l’impression que tout le monde juge tout le monde.
Changement à Saint Michel.
Escaliers, re-escaliers, re-re-escaliers. Deux septuagénaires en pose récupération sur un palier regardent les bras chargés, ils compatissent à mes efforts; moi j’ai l’impression que pour eux, le quai est encore très loin.
Moins de wagons, les quais plus étroits, le métro parisien me paraît bcp plus petit que celui que je prends régulièrement à New York, mais surtout le personnel reste invisible.
Finir à pied.
Il est midi et demi quand j’arrive enfin devant ma porte,
Alors je m’aperçois que j’ai oublié mes clés à New York…
Y a des jours on ferait mieux de pas se lever,
Mais comment faire… J’ me suis même pas couché !!!
CharlElie – Paris – Jan 20XIV