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Confesse Book

201 – To bi or not to bi-cyclette

To bi or not to bi-cyclette.(1)

Or donc il pleuvait des cordes à nœuds ce jour-là. Un tel déluge que même les livreurs Chinois, Mexicains ou Portoricains ne voulaient plus sortir malgré leurs capelines en plastique et sacs poubelles scotchés, enveloppant leurs bas de chausses. Mais j’avais dit que j’irais visiter la Frieze Art Fair sur Randall’s Island, alors têtu comme un adolescent, j’a décidé d’affronter l’orage et, contre la raison du plus fort, j’ai enfourché mon vélo. Quelles que soient les blagues sur les Français, je ne suis pas une grenouille et avant le bout de la rue, j’étais aussi trempé que des fougères sous une cascade tropicale, mais il ne faisait pas froid et une sorte d’euphorie m’a envahi. En fait cet inconfort m’amusait. Pédaler, tenir le coup. Je me disais : « l’Humain s’est lancé des défis autrement plus difficiles que celui d’atteindre la 102nd street une jour de pluie, imagine… cowboy sur un cheval au milieu d’une grande plaine au XIXème siècle, rien que ça (…) Je n’allais pas très vite, mais chaque yard en progression était une victoire sur la routine. En fait, je n’étais pas vraiment « tout seul » sur mon véhicule, car après m’être longtemps interrogé, j’ai fini par accepter l’idée de profiter de l’assistance d’un moteur électrique. Depuis deux semaines, j’ai un nouveau E.Bike Arrow avec une batterie puissante. Immédiatement customisé pour qu’il n’ait pas l’air trop neuf, et qu’il n’attire pas trop la convoitise, je suis surtout bien quand je suis dessus. Après 14 ans à pédaler dur, j’accepte qu’on ironise quant à ce deux-roues de paresseux, pourtant ceux qui ont un problème à la hanche, peuvent aussi comprendre ce que cette aide mobile peut accorder de Liberté. Depuis cette acquisition, je me paye de nouvelles ballades, pour le fun, dans le secteur Nord par exemple, visitant des quartiers qui m’étaient inconnus jusque-là.

Ce jour-là, aveuglé par la pluie, j’avais confiance dans mon vélo lui, qui tel un compagnon, savait m’emmener où je devais aller. Sur les pistes cyclables, je me sentais bien et au moins je n’avais pas aujourd’hui à craindre les dangers que représentent les distraits au téléphone qui traversent sans regarder, (considérant avec une indiscutable suffisance, que le monde doit s’arrêter pour eux), ou ceux qui ouvrent soudain les portières en se ruant hors des taxis, ou des taxis eux-mêmes qui tournent en vous coupant la route, ou les autres vélos qui ne vous ont pas entendu venir, ou enfin cette poutrelle de plusieurs mètres qui un soir, alors que j’étais à pleine vitesse, m’est apparue devant le nez telle une lance surgissant entre deux voitures, avant que je n’aie pu identifier les deux ouvriers qui la portaient sur leurs épaules…Non, rien de tout ça ! Les sourcils froncés, j’avançais lentement parmi les voitures aux pare-brises couverts d’un épais voile d’eau. Sur l’île de Randall qui accueille d’habitude les promeneurs poètes et les amoureux en quête d’intimité, en ce début d’après midi, il n’y avait pas un chat, les seules âmes étaient emplumées à savoir des mouettes, des oies et des canards qui s’en donnaient à cœur joie, pataugeant dans 8 inches d’eau que la terre n’arrivait pas à absorber. Finalement j’ai atteint le pavillon de l’expo et attaché ma bicyclette à un poteau.

Nonobstant les conditions climatiques épouvantables, de longues files d’amateurs d’art patientaient pour rentrer. Arrivés par l’autre côté de l’île, en taxi, en bus, en Uber ou je ne sais pas comment, tentés par l’envie de se réjouir les yeux, ils avaient eux aussi bravé les éléments. Quand on connaît le niveau de précaution des marchands vis a vis des œuvres, la sophistication des emballages et les maniaqueries d’artistes que la moindre tache peut rendre fou, c’était surréaliste de se retrouver là sous la tente de cette construction précaire, tandis que des trombes d’eau frappaient la toile en faisant un bruit assourdissant. Ça faisait peut-être shplock splock dans mes chaussures, mais comme tous les autres visiteurs, de gardais la tête haute et l’apparence digne de ceux qui sont au-dessus des contingences matérielles voire liquides. Pendant une heure, bien que les pieds mouillés, je me suis régalé. Les œuvres présentées étaient d’un très bon niveau, et même si je me disais avec un peu d’envie que mes « shower curtains » et nombre de mes œuvres auraient bien pu avoir leur place en cet endroit, je n’en étais pas moins ravi d’être là et de me délecter du travail de mes pairs.

Mais le répit n’a duré qu’un temps, et au bout d’une heure, back to the real world, j’ai récupéré ma pèlerine au coat-check et je me suis re-jeté sous la pluie.

Celle-ci avait heureusement diminué d’intensité, et en quelques coups de pédales assistés, j’ai rejoint mon atelier de l’autre côté de l’East River, où j’ai pu me changer.

Une fois fini le rendez-vous que j’avais là, mon téléphone a vibré, me demandant d’aller faire quelques emplettes car une bonne quarantaine d’amis ayant confirmé leur venue, nous serions nombreux le lendemain soir à la maison. Je me devais d’acheter quelques trucs pour compléter le buffet… Bref, j’en ai profité pour acquérir une nouvelle sonnette considérant que le danger premier de ces véhicules électriques rapides, provenait de leur silence.

En ressortant j’ai eu un échange de paroles amusées avec le gars de la sécurité à propos de mon casque de vélo dont j’acceptais qu’il fut ridicule dans la mesure où il était aussi indispensable. Et je suis ressorti…

Je n’avais pas trouvé tout ce que je cherchais dans ce magasin, et je m’apprêtais à traverser la troisième avenue, quand j’ai jeté un regard machinal vers ma bicyclette.

C’est alors que…

(à suivre)

 

 

To bi or not to bi-cyclette. (2)

… J’ai eu un pressentiment… Ma bicyclette… Ma bicyclette, toute neuve, ça fait à peine quinze jours que je l’ai achetée… Mon vélo n’est plus là. Les jambes sciées, je me suis approché. Envolé mon vélo ! Comme E .T. , vélo vole. Vélo volé. J’ai dit « Non, nooon, nooooon, c’est pas possible,  Non, oh noooooon ! » en levant les yeux au ciel, vers celui qui sait tout mais qui détournait son regard de moi, faisant semblant de ne pas entendre ma supplique.

– Oh, Toi qu’on dit être au courant de tout…  Explique-moi ! Qu’ai-je fait ? Pourquoi me fais-tu subir cela ? J’en ai besoin de mon vélo ! Ça va tout chambouler mon emploi du temps ! Tu te rends pas compte ! Donne-moi, un coup de pouce, alleeez ! Sois sympa, pour une fois !

Mais vu qu’IL refusait obstinément de me répondre dans un langage que je pouvais comprendre, j’ai admis de me considérer humble et terrestre parmi d’autres comme moi, bipèdes vaquant à leurs occupations en ce vendredi soir sur la 3rd Avenue / Harlem East.

La grosse chaîne était toujours là, attachée au poteau, mais plus de vélo. Putain, mon vélo! Mon beau vélo électrique ! Mais comment il a fait ? Ou peut-être « ils » ont fait ? En pleine rue… ?  Le cadenas est toujours fermé. Je sais bien que je l’ai fermé… Enfin, je crois. Comment en être certain ? Juste, que ça fait huit ans que je transporte partout cette méga chaîne en acier qui pèse 12 pounds, avec un cadenas considéré comme inviolable…  Et je me retrouve comme un con, là au milieu de ceux qui passent légers. Dire que son cul est posé sur MA selle… en moi un sentiment de blessure invisible.

Il est 18h15. Je ne sais pas quoi faire. Je fais quelques pas, sans conviction dans la rue adjacente, quand soudain, je repère un livreur qui arrive avec le même vélo ! Enfin, c’est « presque » le même, mais ce n’est pas le même… Je m’en veux de croire que je vais le retrouver. Non, il faut se faire une raison, c’est foutu ! Un peu par acquis de conscience, je vais faire un tour sur la seconde avenue, dans le magasin qui m’a vendu l’animal à deux roues. Je dois être blême en entrant car à peine dans la boutique, le Portoricain qui répare les pneus à la vitesse des magiciens, me demande ce qui ne va pas. Je dis que je viens de me faire voler ma bicyclette, et que donc, si par hasard … on sait jamais, s’il la voit…

– Oui, bien sûr, Charlie. Bien sûr. C’est arrivé quand ?

– Là il y a vingt minutes.

– Il faut aller au commissariat… Faire une déclaration.

Une déclaration ? Mais je ne suis pas assuré contre le vol, ça coûte une blinde. Une déclaration ? Mais pourquoi faire ? J’avoue que je n’y avais même pas pensé. Je suis tellement écœuré et puis je suis persuadé qu’ils vont m’envoyer péter. Je me souviens trop de l’humiliation qu’il m’a été donné d’endurer en France en oct. 2015, quand je suis allé déclarer le vol de mon scooter (cf. l’article « Scoot pas toujours…»)

– Non, non, Charlie,… faut porter plainte, me dit le type aux mains de cambouis. Le poste de police est juste là, sur la 102 street et 3rd avenue.

Je m’y rends alors en traînant les pieds.

Déjà à l’entrée, le flic de faction me fait un sourire et m’ouvre la porte sans me demander de quoi il s’agit. Première surprise.

Une fois dans la fourmilière, le décor, la lumière, les costumes, je me crois dans un feuilleton TV. Tous les yeux se sont  tournés vers moi, comme des antivirus voyant un microbe pénétrer leur sphère d’intervention, aux aguets, ils sont prêts, prêts à bondir, intervenir, armés.  Une fille jeune, en uniforme est assise derrière le comptoir de l’entrée.

– Oui, c’est pour quoi ?

J’explique brièvement que je viens de me faire voler ma bicyclette.

– Oh, mince, dit-elle, pleine d’empathie, ne perdez pas de temps, retournez sur place, là où cela s’est passé et appelez 9.1.1. Des collègues viendront dés que possible.

– Mais, attendez…ça s’est passé, il y a au moins une demi heure, trente cinq minutes.

– Oui et alors ?

– J’aurais peut-être dû le faire à ce moment-là, mais maintenant… »

Elle répond qu’elle a bien compris mais répète avec fermeté que je dois retourner sur place et appeler nine one one. Son propos est si ferme que je me sentirais coupable de ne pas le faire, alors j’obtempère. Une fois devant le plot sur lequel j’avais attaché mon vélo, j’appelle donc le numéro d’urgence. Sans me faire attendre un instant, une voix décroche et me demande d’expliquer de quoi il s’agit, ce qui s’est passé exactement, mon nom et confirmer précisément où je me trouve afin qu’elle envoie quelqu’un tout de suite. Ne pas bouger. A peine sept à huit minutes plus tard une bagnole de police ralentit et s’immobilise à quelques mètres de moi. Je m’approche du véhicule d’où sortent deux flics, un grand black costaud qui doit être le chef, et un plus jeune maigre, avec une sale tronche, cheveux courts, un nom italien écrit sur la brochette épinglée à sa chemisette.

–  Vous nous avez appelé… Que s’est-il passé ?

Je raconte. Ils écoutent, ne parlent pas beaucoup, s’étonnent de ce que la chaîne soit entière et le cadenas toujours fermé. Pourtant ils n’insistent pas et entrent dans le commerce le plus proche, demandant s’il y a une caméra dirigée vers la rue. Ils n’en ont pas. Les flics sont perplexes, quand sort le type de la sécurité du magasin où j’ai fait quelques achats. Il confirme au flic qu’on a discuté ensemble. « Oui, oui, il se souvient bien de moi… »

Le grand black me demande de le suivre. Et me fait monter dans la voiture de police, sans un mot de commentaire. Il se met en route…  Le partenaire ne dit rien non plus. Il joue sur son portable. Click des « like » sur Instagram. Regarde par la fenêtre.

On sillonne le quartier pendant dix/douze minutes. Je leur dis : « Si j’avais su, je vous aurais appelé tout de suite… Pourquoi n’ai-je pas eu ce reflex ?

– Gardez les yeux ouverts, monsieur… Regardez si vous voyez votre vélo !

On roule à travers les cités. Moi je pense que c’est perdu d’avance. Je ne peux pas y croire.

-On ne sait jamais dit le flic…

(à suivre)

 

To bi or not to bi-cyclette. (3)

Finalement après une vadrouille de dix minutes dans les cités, les deux flics et moi, on s’est retrouvés au point de départ. La bicyclette n’était pas réapparue, avec l’expérience on finit par devoir admettre à regret que les miracles apparaissent dans l’esprit des auteurs de livres…

Je descends. Les deux flics ne parlent toujours pas. Pourtant ils ne lâchent pas le morceau et traversent l’Avenue en direction du trottoir opposé et l’un d’eux pointe du doigt une caméra suspendue à l’extérieur du magasin d’alimentation « Fine Fare Supermarket ».

Mon sac à la main, j’hésite à les accompagner quand ils pénètrent dans le magasin. Le grand me fait signe. Les gens s’écartent devant eux, ils doivent y être habitués, moi je me sens comme les mecs qui suivent un gyrophare. Avec un certain empressement de connivence, le directeur les autorise à visionner l’enregistrement des vidéos-surveillances. Je reste à distance, en dehors du bureau où ça se passe, mais je peux néanmoins les voir derrière une vitre. Ils matent avec application les différents enregistrements des caméras. Soudain, je les vois de dos se mettre en mouvement, apparemment ils ont repéré quelque chose. Rewind / marche avant, ralenti forward / retour. Ils sont concentrés sur une caméra en particulier. Ils demandent d’agrandir l’image et là, soudain à 6 h07 PM précises, on peut voir (même très pixelisé digitalisé), ce qui s’est passé : un type marche, ralentit en voyant le vélo, il regarde autour de lui, tourne autour, il se penche sur mon vélo et, après une manipulation de 15 secondes à peine, (il doit avoir un passe), il défait la chaîne et part en pédalant sur MON vélo. Incroyable ! Donc voilà, j’ai assisté au moment même. Le flic filme l’écran avec son téléphone portable et remercie le patron. Les deux policiers me rejoignent sans un mot mais avec cependant un indéniable petit sourire de satisfaction. De leur point de vue, ils sont « bons », ils ont fait leur part du boulot, ils ont résolu l’énigme. Du mien sans le dire c’est une sorte de confirmation du genre: « Eh vous voyez, je ne suis pas un menteur. » Ils ont vraiment envie de m’aider. Alors on remonte dans la voiture et allez roulez pour un deuxième tour de manège. Le soleil s’est couché, la nuit s’avance, sous entendu, on ne voit plus très loin, pourtant à nouveau on sillonne trois cités. Mais c’est vain, (même sur la 119). Ils me ramènent au commissariat.

Entre eux, se font des blagounettes de keufs, expliquent en quelques mots qu’ils ont déjà « résolu » l’affaire, ils vont prendre ma déposition, demain ce sera le boulot des inspecteurs d’aller plus loin, éventuellement s’ils ont une piste. Je suis invité à m’installer dans une des pièces, au fond d’un couloir, un peu bordélique. Il y a un évier derrière moi, des affiches / infos locales, des statistiques sur les murs et des trucs et des machins en carton empilés par terre. Bref tout sauf un endroit clean, aseptisé.

J’attends un peu. Ils sont allés exposer mon « cas » aux inspecteurs. En fonction de leur réponse, ce sera l’un ou l’autre qui prendra ma déposition. Le plus jeune revient le premier. Il s’assoit devant moi, me regarde. Il m’observe. Je lui dis que je suis un peu gêné de leur causer ce tracas. Quand même, ça m’embête, après tout, il ne s’agit que d’un vélo… Vous devez voir des choses beaucoup plus graves … Vous dites que le voleur est allé très vite, maintenant vous avez semé le doute en moi, peut être que je l’ai mal attaché ?

– Mais monsieur, me dit l’Italien, quand bien même vous ne l’auriez pas attaché du tout, personne n’est supposé s’approprier le bien d’autrui sans son autorisation ! Vous avez dit que votre vélo valait combien ?

– Je l’ai payé 1500$, j’ai la facture à la maison.

– Au-delà de 1000$, c’est de la « grand felony » passible de 10 ans de prison !

-Dix ans de tôle pour un vélo ?

-Monsieur, ceux qui font ça peuvent faire n’importe quoi d’autre…

Je sais bien qu’il dit ça pour se faire un peu mousser, mais disons qu’il refuse de minimiser le délit, ce qui reviendrait à réduire leur engagement / responsabilité. Ici, tout a la même importance. Les mêmes auraient pu arrêter un prince arabe mal garé, Bernard Madoff ou DSK sans le moindre remords. Question de principe.

– Y a beaucoup de problèmes dans le quartier ? Jusque-là je n’en ai jamais eu. Ça fait deux ans que je viens…

Alors il m’expose un point de vue de « gardien de la Paix », ceux qui en voient de toutes les couleurs…

– Ecoutez, au-delà de la 96 (th street), tout peut arriver. Bien sûr c’est moins dangereux que ça ne l’était, mais ça reste aléatoire. Il suffit d’une fois ! Y a pas mal de criminels, j’veux dire des types qui sortent de prison qui vivent dans ces cités, ils sont désespérés (desperados), ils n’ont rien à perdre, ceux-là sont prêts à tout. Vous avez vu, ça va très vite. Il faut éviter de passer à travers les housings (les cités). Quand vous n’êtes pas d’ici, ils le remarquent tout de suite. D’ailleurs qu’est ce que vous faites dans ce quartier ? Pourquoi vous venez faire vos courses si haut ?

– Je suis artiste, j’ai un atelier sur la 104…

– Ah je comprends. Sachez que ces gens vous observent. Vos habits, votre manière de marcher, vous êtes une proie facile. Ils se pointent et… Le flic se lève et mime quelqu’un qui se poste en face de moi cachant une arme sous un magazine, et me demandant mon portefeuille.

Je lui dis que c’est la raison pour laquelle je suis plutôt en vélo.

– Oui bien sûr en vélo vous ne risquez rien. Et même les crimes avec armes sont devenus bcp plus rares, et c’est en général la nuit… mais il faut rester prudent.

Le grand costaud est revenu. Il me fait préciser ma déposition, la couleur des « plastic rubbers » que j’ai scotchés, tout ce que je peux donner comme info. Il ne veut rien promettre, une fois que c’est dans les cités… ils ne peuvent plus faire grand chose. Que le vélo a peut-être même été démonté. Il doit s’agir de professionnels. De toutes façons c’est plus leur boulot, ils sont flics de terrain, ils ont transmis le dossier. Le lendemain, un inspecteur m’appellera pour me donner le n° de plainte. Et voilà !

-Comment vous allez rentrer chez vous ?

– Ben je ne sais pas, par le métro…

– Vous avez une carte ?

– Oui, enfin, je crois…

– Ne bougez pas. Restez-là !

J’ai hâte de partir. Mon téléphone est à court de batterie depuis une demi-heure, celle qui m’attend doit se faire du mouron, je ne l’ai pas recontactée depuis que j’ai constaté le vol de mon vélo. C’était il y a 3 heures.

Les deux reviennent et m’invitent à les suivre jusqu’au parking.

CRP. « Courtesy, Respect and Professionalism » est écrit sur la portière.

Le pilote a mis les sirènes, il roule très vite, slalom, prend des risques inutiles, va t’en savoir pourquoi ??? Tout ça pour me déposer à une station de métro sur Lexington.

C’est tout juste si il ne finit pas par un dérapage…

Je lui sers la main en disant : « au moins vous avez essayé… pour moi, le fait d’avoir pu voir ce qui s’est passé, a transformé le cauchemar que représente l’ignorance c’est juste devenu une réalité si amère qu’elle puisse être ».

Il me répond par un petit sourire ; au fond, il s’en fout un peu de ce que je lui dis.

De son coté, le jeune flic est descendu en premier dans la station.

Quand j’arrive, il discute avec un employé à qui il a demandé d’ouvrir la porte pour que je passe gratos.

On peut considérer que ce genre d’intention gratuite est futile, mais pourtant il s’agit de bienveillance, et j’ai ressenti cette dimension humaine tout le temps que j’ai passé avec ces deux types en fonction.

Je m’approche de lui :

– Avec la pluie qui tombait au début de l’après-midi, on m’avait bien dit que ce n’était pas un jour à faire du vélo…

– Ça c’est vrai qu’il tombait des cordes en début de journée… Un vrai déluge !

– Et moi non plus, je n’ai pas su entendre le conseil qu’il m’était donné…

Il m’a juste répondu, poliment :

– Bonsoir monsieur, faites attention à vous.

Et je me suis engouffré dans la rame parmi des gens, des gens qui me semblaient aussi très fatigués, des gens comme moi qui, un jour ont peut-être vu leur vélo s’envoler.

® CharlElie Couture

Et pis

l’épi-

logue.

 

9 heures 30, je venais de fermer au secret de l’isoloir l’enveloppe renfermant l’une des 20.753.704 voix exprimées en faveur du candidat, quand j’ai reçu le coup de fil de l’inspecteur Mc Coy qui m’a fait répéter pour la énième fois les circonstances du vol de ma bicyclette, au terme de quoi, il ne m’a laissé que très peu d’espoir de la retrouver, même s’il s’est fendu de préciser que parmi les voleurs, il y a de tout: des types intelligents mais aussi d’autres beaucoup plus comment dire…« naïfs ». Bon, ils vont lancer une « trace » et me tiendront au courant si le numéro de série vient à réapparaître lors d’une transaction. Le mec me donne mon numéro de plainte, et si de mon côté j’ai du nouveau, pareil, je dois les informer… En résumé : soit je pleure, je me cogne la tête contre les murs, je m’ouvre les veines et je me pends après avoir maudit le monde, soit j’inscris ce « larcin » dans la putain de colonne « profits et pertes » ( déjà bien remplie cette année).

Il faisait super beau, ciel bleu, lumière New Yorkaise comme on l’aime. Je suis monté jusqu’à la 125ème street chercher chez «FINO men’s wear » les costumes que je porterai bientôt sur scène.

Je me voulais tranquille, à pied profitant de la journée, pourtant j’étais stressé, tournant la tête en panoramique de gauche à droite façon R2D2. Mais pourquoi donc m’ont-ils dit que j’étais potentiellement une proie facile?

Allez ! Oublier. Remonter au plus vite sur une selle. Qui n’avance pas, recule. De même en politique, il faut tourner ma page. Accepter de s’adapter. Le roseau plie mais ne rompt point, etc.

De retour à la maison, j’ai regardé les propositions d’E.bike sur E.bay et Craigslist.

Page 18, pour moitié de sa valeur, je repère un vélo quasi semblable au mien dans le Queens. Ce n’est pas LE mien bien sûr, mais ça peut le faire. J’appelle l’annonce, qui semble dans les choux. Hein ? De quoi s’agit-il ?… Ah ! Ça y est, ça lui revient… La bicyclette… Dans une espèce de sabir international avec un accent indien à couper au khukuri, il me dit qu’il l’a payée 1300, mais qu’il la vend $850… Non, il n’a pas la facture… Il l’a achetée Down Town. Oui, enfin il me dit ce qu’il veut, tout le monde sait qu’il n’y a pas plus menteur qu’un vendeur. Il baisse le prix de 100 do si je viens le chercher…. Au jugé comme ça, le gars a l’air correct, je me laisse la nuit pour réfléchir, on se fixe un rendez-vous pour le lendemain.

En début d’aprem, je prends le « A » sur Columbus mais, je me trompe de sens et me voilà parti plein Nord. Pourtant, perdu dans mes pensées, je ne m’aperçois de mon erreur qu’une fois arrivé en bout de ligne. Mince ! L’indien est aussi en bout de ligne, mais de l’autre côté… Je l’informe illico de ma bévue et repars dans l’autre sens. Ça va me prendre au bas mot une heure et demi de trajet, et pareil au retour… Alors je réfléchis en regardant la carte : et si par hasard, ça ne va pas ? Il m’a demandé de venir avec le cash, donc il sait que j’aurai ça sur moi… Qu’est-ce que je fais une fois là-bas ? Je ne pourrai même pas revenir avec le vélo, c’est beaucoup trop loin. De plus mon téléphone se décharge à vitesse grand V. Le temps que j’arrive là-bas, la batterie sera à sec et je n’aurai aucun moyen d’appeler le type. Je décide donc de rebrousser chemin. Demi-tour, je rentre chez moi.

«C’est peut-être qu’il n’est pas pour toi ce vélo?» me dit la voix de ma conscience. Pourtant mon ami à l’autre bout ne lâche pas le morceau, il promet de me le livrer dans une heure, juste le temps d’arriver… Mais au fond, je n’en veux plus, et je lui écris un énième SMS pour lui dire que j’ai trouvé une autre solution.

Cette solution, je suis allé la chercher à quelques rues de chez moi, dans Manhattan. Un beau vélo, bien fini, certes moins rapide mais bien plus maniable que le lourd précédent. J’ai « fait une affaire » en l’achetant à très bon prix un vélo de valeur, que je n’ai pu essayer que quelques mètres avant de l’acquérir. C’est donc seulement le lendemain que je me suis rendu compte qu’en fait la batterie ne tient plus la charge ! Une batterie comme ça coûte 650$, soit le prix que l’ingénieur Chilien m’a vendu son beau deux-roues…

Je fais partie de ceux qui apprécient les happy ends, mais à cette heure, et bien qu’étant moi-même retourné sillonné le quartier de long en large, comme prévu je n’ai pas eu de nouvelle de mon « Arrow ». Même si je veux continuer d’espérer en me disant comme tous les archers, que rien n’est « impo-cible », pour « ma flèche », ce coup-là, je crois bien que c’est planté.

® CharlElie Couture.