Soudain il y a un trou béant dans le plafond de l’atelier, plafond tombé du ciel sur mes tableaux alignés, de l’eau dans les boîtes explosées par terre, le néon qui pend en biais n’est plus tenu que par un maigre fil électrique… Que s’est-il passé ? La fatalité vous oblige à respirer de grandes bouffées d’air… J’appelle Angel, le superintendant. J’ai les pattes sciées. Angel fait ce qu’il peut pour entretenir tout le bloc d’immeuble qui appartient au même trust propriétaire basé à Brooklyn. Une demie heure plus tard, Angel arrive, suivi de José son cousin qui lui file la main pour la plomberie quand ce dernier n’est pas trop bourré. Double Patte et Patachon, c’est pas la version orfèvre du bricolage domestique, plutôt un « service minimum », « si-ça-tient-c’est-bon », « Ké ski vou fo d’ pluss ? » Mais au moins c’est fait.
Angie me dit que ça s’est passé cette nuit, vers 4 heures du matin.
– Une « pipe » (tuyau) a explosé à cause du froid. Il faisait moins 25, (ressenti moins 37 à cause du vent).
La nuit a été longue pour lui et sa famille de trois gosses venus de Puerto Rico.
– Il y a eu une grosse inondation. Les pompiers sont venus. Les flics aussi. Ils croyaient que quelqu’un était mort.
Ils ont cassé des portes à la hache, comme ils font quand ils arrivent cold blood au milieu de l’enfer, et qu’ils ne cherchent pas à analyser le pour et le contre des avantages et désavantages qu’il peut y avoir à agir de telle ou telle sorte. Non, ces bûcherons urgentistes ne sont pas connus pour faire dans la dentelle.
Bref, il n’y avait pas de mort. Juste un locataire absent au 2ème étage par cette nuit d’hyper gelure qui ne sera pas déçu quand il rentrera…
Les FDNY harnachés ont paré au plus pressé, et ils ont d’abord tenté de couper l’eau pour l’étage. Sauf que dans ce vieux brick building construit dans les années 30, tout ne tient que par l’opération du Saint Esprit (et par la grâce d’Ashem), et les robinets et ferrailles n’aiment pas se faire dérouiller. Du coup une valve est restée dans les mains d’un pompier trop costaud. Un second jet s’est mis à gicler.
Vers 5.30 heures, ça s’est enfin calmé, quand ils ont trouvé où couper l’eau pour tout l’immeuble. Mais celle qui s’était rependue tel un serpent, a ruisselé d’étage en étage suivant le principe de l’attraction terrestre pour aboutir immanquablement au rez-de-chaussée où se trouve mon artspace atelier !
Alors le plafond en placoplâtre alourdi par l’eau est tombé sur mes tableaux. Il a entraîné le néon dans sa chute, qui, à son tour, a embarqué des pots de pigments colorés, des peintures, des flacons de vernis et des boîtes empilées remplies de babioles.
Y avait de l’eau sale sur mon ordinateur, mes chargeurs photos, et tous les documents posés sur mon bureau sont maintenant illisibles, imbibés, irrécupérables.
Le plus grave concerne la destruction de dessins et de photos uniques et une quinzaine de tableaux posés au sol, endommagés, dont une peinture souillée que je devais livrer cette après midi. Résultat : la vente est suspendue.
Le « contracter » et un des sbires du proprio sont passés en fin d’après midi ; ils disent qu’ils vont remettre ça en état la semaine prochaine mais je dois tout déménager…
Le sbire m’a donné un numéro à appeler à l’agence afin de me proposer une réduc de loyer en guise de dédommagement. Que ceux qui croient que je vais me nourrir sur l’assurance, oublient leur fantasme. Les assurances, c’est comme les avocats, les médecins ou les tribunaux : moins on les voit mieux on se porte. Ma police couvre seulement les blessures faites aux personnes. Si on voulait assurer les œuvres, il fallait informer régulièrement la compagnie du moindre mouvement. Tout un bin’s qui coûtait trop cher; au bout d’un an, on a abandonné.
On peut se protéger, et se protéger contre les protections, mais y a toujours un moment ou l’imprévisible se produit. Si on veut se mettre des boucliers sur tout le corps ça devient une armure, et c’est très lourd à porter et ça embarrasse les mouvements. -Fin de la métaphore-
Y a-t il un secret rationnel pour évaluer les risques ? Je ne sais pas. Le risque zéro fait partie de l’imaginaire de ceux qui veulent maîtriser l’avenir, pour contrôler l’incontrôlable. Pourtant, même les plus grands statisticiens payés des fortunes par les banques n’ont pas vu venir le crash de la crise…
C’est vrai, j’en conviens, quelle que soit la part gauloise qu’il y a en moi, je n’ai jamais imaginé que le ciel allait me tomber sur la tête cette nuit …
® CharlElie – NY Janvier 20XIV