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Confesse Book

167 – Cohen

Certaines infos créent la surprise, d’autres moins. Pourtant comme si la peine de se savoir dirigé désormais par un « haine-mi » ne suffisait pas, en apprenant la mort de Léonard Cohen, c’est une génération entière qui ressent du chagrin. Le sentiment d’avoir perdu un oncle. Un oncle d’Amérique, lui le Canadien.

Un oncle oui, un parent, un intime, quelqu’un qu’on ne le voit pas souvent mais qui est présent quelque part. On ne comprend pas forcément ce qu’il dit, pourtant quand il est là et qu’il raconte ses histoires, on se sent bien, il nous fait sourire sans qu’on sache pourquoi. Juste réconforté par sa pondération plutôt bienveillante. Comme s’il donnait un sens à la famille. Quand ma fille Shaan bébé pleurait comme pleure les bébés, on la voyait s’apaiser en entendant la voix de Léonard Cohen.

À l’abri d’une voix.
L’élection du vrai roi des cons à la présidence du pays que j’habite, a créé un énorme désarroi en mon âme, et c’est à Léonard Cohen que j’ai pensé, comme une sorte de contrepoint, un balancier, pour faire l’équilibre.

« You want it darker » (tu le/la veux plus sombre) dit sa voix grave posée sur les mélodies de son dernier album. On devine une grande angoisse derrière un rideau de sagesse. Il est là, tout prêt, on tend l’oreille, et il susurre à peine, ce sont des mots ultimes, des mots de fin de vie. Bien sûr il dit qu’il est prêt à partir, et qu’il quitte la table et on le sent aussi épuisé,  ayant puisé au fond de son Être, l’eau de ses dernières ressources. Un dernier effort pour rester lucide, éclairé de l’intérieur. Bowie l’a fait à sa manière, Cohen a enregistré ce dernier disque, pour dire « à-Dieu » à ceux qu’il aime.

Réalisé par son fils Adam, avec beaucoup de tact, de respect et d’amour, rempli d’une émotion particulière, calme et intense, c’est une prière, une méditation sur le sens de la vie. Ce disque est important.

C’est sûr, on ne s’est jamais vraiment fendu la poire en écoutant Léonard Cohen, pourtant doit-on considérer que la seule référence d’intérêt serait l’aptitude d’un artiste à vous faire distraire de vos soucis en vous faisant marrer ? Stand up comic sinon rien ? Non !

Léonard Cohen a toujours été une sorte de référence sans âge. Même jeune, il était hors du temps. Comme venu d’ailleurs, de l’ombre de sa maison à Hydra, dans une chambre au bord de la mer, ou dans le jardin d’une retraite bouddhiste envahi par la nature en périphérie de Los Angeles, ou dans les neiges de Montréal. Il a chanté l’errance. C’est aussi ça la transmission d’une culture, ashkénaze en ce qui le concerne.

En l’écoutant, on voit passer des mots, des mois et des années comme des flash-back. Au détour de quelques accords, certaines musiques ou mélodies rappellent parfois même d’autres chansons qu’il a enregistrées. Suzanne, The stranger, Pease don’t pass me by, I’m your man…

Je me souviens. Nancy les années 70. Un ami avait offert le disque à ma sœur. Mes parents le trouvaient triste. Moi ça me parlait. J’avais quinze ans quand j’ai rencontré Pierre Eliane. On écoutait des disques ensemble en buvant des coups à l’Excel. On achetait des disques, on comparait nos trouvailles. Comme les gamins sur un terrain de foot, on écrivait des chansons en tentant d’imiter nos idoles. Lui c’était Cohen, moi j’étais Dylan. Pierre est devenu prêtre, moi…  «First we take Manhattan».

 

Hier soir, j’avais mis le cadenas à la porte de mon atelier. J’étais seul. Pas un bruit dans l’immeuble. J’avais éteint la lumière et je m’apprêtais à sortir. Mon téléphone a vibré. C’est à ce moment que j’ai appris la nouvelle du décès de Léonard Cohen. J’ai tourné les talons, remonté l’escalier. J’ai rallumé la lumière, mis son dernier CD sur le lecteur fixé au mur et il s’est remis à chanter pour moi. Juste pour moi,

Et j’ai peint toute la nuit.

 

® CharlElie – New York 20XVI