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Confesse Book

165 – Trois ans plus tard

Facebook me rappelle que j’ai posté il y a trois ans une nécro de Lou Reed. Elle s’intitulait « Lou y es-tu ? M’entends-tu ? » Elle n’a jamais été publiée. Comme la plupart de mes écrits, elle existe juste dans la virtualité internautique de ce médium qui se charge de me la rappeler alors que je l’avais oubliée.

Trois ans déjà, le temps passe vite.

En la relisant ce matin, je me suis souvenu du contexte dans lequel je l’avais écrite. Il commençait à faire frisquet dans la REGALLERY que je louais jusqu’à l’année dernière sur la 36th street. Les propriétaires attendaient la dernière minute pour allumer le chauffage. C’est là que pendant 5 ans, j’ai essayé de vivre mon rêve d’indépendance New Yorkaise. Au ras du sol, dans la poussière et parfois même « les pieds dans la boue »… La porte ouverte sur la rue. Je saluais ceux qui  franchissaient le pas, ils passaient par hasard ou ils avaient traversé l’océan pour me voir, pour acheter un dessin original, ou pour se faire plaisir, ou simplement pour parler avant d ‘aller voir quelque chose ailleurs, ou pour échanger des idées en buvant un café. Celles et ceux qui m’ont offert leur soutien et à qui en échange, j’ai expliqué (pour ce que j’en savais), les raisons et le comment de mon travail.

Oui, à New York le temps va très vite, et le décor change plus vite que les saisons.

Le New York des années 70/80, que Lou Reed incarnait avec une incroyable force, ce New York là n’existe plus vraiment. Déjà en 2013, il n’avait encore de sens que parce que Lou Reed était là. Parce qu’aujourd’hui dans les rues dont parlaient ses chansons, les travelos ont été remplacés par des touristes, et la drogue que ceux-ci viennent chercher ici, c’est moins la coke et le speed en poudre que l’énergie folle compactée sur les quelques 1,626 millions d’hectares construits sur l’île de Manhattan. Une énergie qu’on ne trouve semblable nulle part ailleurs.

Avant, dans ces rues sombres où de petits immeubles en briques immobilisés par des conflits familiaux décrépissaient, avant ces endroits qui tombaient en ruine, servaient de squat aux infortunés. Aujourd’hui les Apple stores ont allumé leurs néons et l’argent des nouvelles économies riches a effacé le souvenir de ces années scabreuses.

Là où des artisans arrivés ici avec leur famille, leurs recettes, leur accent d’immigrés du monde entier, avaient poursuivi dans des interstices leurs petits métiers, là où ces gens pouvaient espérer bricoler vaille que vaille un redémarrage dans l’existence à force de courage et d’esprit d’entreprise débrouillard, dans ces mêmes endroits se sont installés aujourd’hui des grandes enseignes internationales, des marques puissantes au design planétaire payant des loyers exorbitants à des banquiers et spéculateurs immobiliers qui connaissent les lois à la virgule près.

Bien sûr il reste encore quelques piliers solides pour soutenir le ciel, mais le décès de Lou Reed ressemble à l’effondrement d’une clé de voûte dans la crypte du R&R Hall of fame.

Cette année, David Bowie, Prince et beaucoup d’autres les idoles sont devenues silencieuses: ( dont Paul Kantner -Jefferson Airplane-, Maurice White -Earth Wind & Fire-, Glenn Frey -Eagles-,Peter Burns -Dead or Alive-  George Martin -producteur de Beatles-, etc …)

Quelle que fut la personnalité ténébreuse de Lou Reed, sa disparition il y a trois ans correspond à l’effacement des repères « Rock ‘n Roll Animal » pour une génération électrique amplifiée, désormais subjuguée par les codes numériques et les up-tempos sur grosses caisses compressées des générations digitales …

Lou y es-tu ? M’entends-tu ?

 

® CharlElie. – New York. Oct 2016

PS :Je me dois de préciser que c’est pourtant dans un immeuble comme ceux que je décris plus haut, un bâtiment des années 1930 sur East Harlem, que j’ai installé mon ARTelier depuis un an. Le building de 5 étages est «for Sale » et c’est donc une situation précaire, disons un peu aléatoire; mais loué au mois le mois, il est aussi idéal pour des gens qui ont un travail à faire, ou des artistes qui restent pour une courte période. De ces endroits magiques,  dont on peut rêver pour créer, « Typiquement New Yorkais », disent ceux qui l’ont visité.  Comme quoi on peut encore penser que même au milieu de la grande confusion d’un monde impossible, ici à New York tout est encore possible !