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Confesse Book

162 – Dylanobel

Les gens de l’Académie du Nobel pensaient-ils qu’ils auraient à affronter un tel tsunami ?

La nomination de Bob Dylan au rang de prix Nobel de Littérature n’est pas passée inaperçue. Ce qui me fait plaisir, c’est que tous mes amis s’en réjouissent, et tant pis pour les grincheux et les jaloux. Certes en France où le mot va avec la phrase, beaucoup se vantent de ne pas écouter les paroles des chansons. Qualifiées de « ritournelles », de « rengaines » ou de « refrains » avec un certain dédain, ces mêmes auditeurs distraits considèrent que les mots d’une chanson ne font que tourner en rond comme sur un carrousel autour de l’axe d’une musique elle aussi minimale. Quand, en plus, ces paroles sont écrites en anglais, il est assez logique de lire les périphrases malsaines que des mauvais coucheurs ont mis en ligne depuis hier. Mais pour beaucoup d’autres ce prix n’est que la juste reconnaissance du talent fabuleux de cet auteur qui en a inspiré des dizaines de milliers d’autres à le devenir.

Car de sa voix, si nasillarde qu’on la considère, Dylan a dit des choses, des choses qui sont venues à lui, qui étaient dans l’air peut-être, mais qu’il a écrites, des ambiances qu’il a su lui, retranscrire mieux que d’autres à la même époque. À la fois Rimbaud et André Breton, influencé par Shakespeare, William Butler Yeats ou William Blake, Dylan a inventé dans les années 60, une manière toute personnelle de dire les choses propre à l’époque. Découpé, haché, meurtri, bancal, pénétrant, réaliste ou surréaliste, son style d’écriture poétique était percutant et sans sophistication complaisante.

Bob Dylan est un poète, les poètes n’ont rien à perdre, que leur âme. Et tant pis si le monde méprise la poésie en préférant l’écriture d’impact des slogans publicitaire et des romans populaires, tant pis si le monde dénigre les intellectuels abscons et les ermites perchés sur les colonnes d’un temple qui s’est construit en eux, tant pis si l’attraction terrestre prend toujours le pouvoir sur le cerveau droit, tant pis si les plaisirs de l’argent opulent et autres valeurs bling bling que le rap se plaît à mettre en avant, tant pis si les chromes et les gimmick de syntaxe, les mercos pour taspés et autres formules à l’emporte-pièce sont préférés aux agapes Rabelaisiennes, aux méditations sacrées ou aux strophes placébos des poètes médecins. Les poètes sont perdus dans leur merveilleuse confusion, mais ils sont éclairés par la lumière de leur sincérité.

Quels que soit ses succès, ou ses erreurs, quelles que furent les critiques qu’il a feint d’ignorer, Dylan est resté ce qu’il était. Il sillonne toujours autant le monde sans beaucoup sourire, comme un missionnaire à la mine sévère, àn tel point qu’on peut croire qu’il se fait tout le temps chier. Mais après tout s’il fait la gueule c’est aussi parce que le monde est souvent chiant ! Et ça ne l’empêche pas de jouer sur tous les continents (plus de 90 concerts l’an passé),  oui continuer nonobstant et malgré tout, continuer sans relâche, et faire des disques, des concerts, (et même des pubs), il fait. Agir.

Quels que soient son apparence, ses mimiques ou ses gestes guindés maladroits, quels que soient ses moustaches ou ce chapeau sous lequel il s’abrite, si enfermé en lui-même qu’il puisse paraître Dylan est un génie, et il est tout à fait légitime que celui-ci soit célébré maintenant.

De toutes façons ni les honneurs, ni les rancœurs et perfidies des gens amers ne changeront l’histoire: Dylan est.

Et si cette célébration se fait de son vivant, c’est encore mieux que d’attendre qu’il soit mort pour lui rendre hommage (entre nous, après Bowie et Prince et tant d’autres grands disparus cette année, ça me fait plaisir d’écrire ici autre chose qu’une énième nécro…)

En tout cas, merci à ceux de cette académie qui ont osé défier les tabous, merci au nom de tous ceux que Bob Dylan a fait vibrer. Cet homme mérite mille fois ce prix Nobel. Et si ce n’était pas pour ses quelques écrits en prose, ce serait pour les centaines vers qui nous ont donné un jour l’ivresse du courage.

Parce que la réponse est dans le vent, parce que nous sommes tous infidèles, que nous avons un « working man blues » ou que nous roulons sur nous-mêmes comme des pierres dans le torrent des grandes pluies…

 

® CharlElie- NYC Oct 20XVI