Eloge du multisme.
Enfant j’étais fasciné par ce qu’on disait des artistes de la Renaissance. J’avais l’impression qu’ils s’étaient mêlés de tout, du moins dans cette période changeante de la RE-naissance, semblaient-ils s’intéresser à la fois aux sciences et techniques, à l’alchimie, aux inventions, à la médecine/anatomie, à la poésie/littérature ou même à la politique/philosophie. Étaient-ils aussi pointus dans tous les domaines, ça je ne le savais pas, mais ils faisaient avancer les choses.
Adolescent, mes pairs refusaient de voir les choses en face. Eux, ils vivaient dans un rêve fantastique. Ils voulaient s’extraire de leur quotidien roboratif (lycée, famille…) en s’amusant (le jeu est une illusion). Leurs héros étaient des « winners », des champions à l’aise, qui se la jouaient facile, et qui réussissaient ce qu’ils entreprenaient avec en prime une certaine décontraction. Relax Max, (pas Marx). Moi, je m’identifiais plutôt aux êtres perdus dans un labyrinthe de pensées complexes, qui cherchaient une issue, ceux qui voulaient transformer leur réalité pour en FAIRE « quelque chose ».
Certains s’allongent sur le divan d’un psy pour formuler leurs fantasmes en utilisant le véhicule des mots pour dire à haute voix de ce qui était muet en eux, d’autres quand ils sont compositeurs, se racontent en musique / chansons, et les plasticiens se révèlent en images.
Être un artiste est un état d’esprit, un état d’être (…), ce n’est pas seulement avoir dans les mains un certain savoir-faire et connaître la maîtrise des outils que l’époque met à votre disposition…
Être artiste, c’est essayer de transfigurer le mystère qui est en chacun de nous. Pas inventer des humeurs qui n’existent pas, non, mais au contraire accepter de révéler ce qui est en enfoui en chacun de nous; partager avec d’autres semblables, un trop-plein d’ émotions, qu’elles naissent des effluves de la joie ou qu’il s’agisse des démons de nos obsessions.
Être artiste, c’est vouloir mettre en forme cette notion abstraite, – mais éternelle (commune à tous les mammifères)-, celle du sentiment.
Certains monomaniaques qu’on appelle « des spécialistes », n’utilisent qu’une seule technique. Telle une ascèse yogi, un vœu de sâdhu, ils suivent un chemin tracé en quête de la Perfection. Eux ils ont choisit de répéter, répéter encore, et encore, inlassablement répéter un même geste. Eux, ils essayent d’atteindre quelque chose qu’ils ont préfigurée, et qu’ils appellent Idéal. Ils visent le cœur de l’idée au centre de leur fantasme. Ils n’ont pas le choix, ils font exprès de faire toujours la même chose, qui est aussi toujours un peu différente d’ailleurs.
Mais, en lisant la bio d’artistes admirables, on apprend qu’ils sont nombreux ceux qui se confrontés à d’autres disciplines que celle qu’on leur connaît comme phare de leur notoriété. David Lynch, Emir Kusturica, Julian Schnabel, Captain Beefheart, Viggo Mortensen, Ingres, Paul Simonon, Joni Mitchell, Syd Barrett, John Lurie, Justin Timberlake, Dennis Hopper, Serge Reggiani, Mike Rimbaud, Daniel, Humair ou David Bowie, – et même Bob Dylan qui a soudé du métal – … Je cite ceux-là de mémoire, en vrac.
Ils sont ceux (dont je fais partie) que Mario Salis a appelé : « multistes ». (Multi-artiste plutôt que « pluridisciplinaires » ou « versatiles protéiformes »). Tous n’ont pas forcément poussé l’expérience plus loin que de tremper l’orteil dans l’eau froide, néanmoins quelques-uns ont poursuivi longtemps en parallèle dans plusieurs domaines d’expressions.
Comme les décathloniens, heptathlètes, biathètes ou triathlètes, nous ne sommes pas des « bricoleurs » ou des « touche-à-tout » comme s’amusent à dire certains méprisants narquois avec une condescendance puante, nous sommes plutôt des « spécialistes de la diversité » gourmands de l’Expression.
Les « multistes » ont une approche poétique de leur vie. Leur Art est souvent en décalage par rapport à la « méthode » enseignée dans les écoles d’Art, par rapport aussi aux valeurs officielles promulguées via les médias. Les « multistes » sont ceux que l’on référence comme « inclassables » quand on ne trouve pas le tiroir dans lequel les ranger, parce qu’ils ne correspondent pas aux moules et standards établis par les intendants de la nomenclature culturelle.
Dans mon Panthéon, il y a eu Jean Cocteau qui a inventé une nouvelle poétique de l’image cinématographique, une nouvelle manière de raconter l’indicible, lui qui ne respectait pas les codes de la narration traditionnelle. Il y a eu Roland Topor, et aussi David Lynch que j’ai eu la chance de croiser au Art Basel à Miami et à Paris en 2007.
En toute confidence, j’avoue que j’envie parfois en secret la reconnaissance qui lui est faite en France, (qu’il mérite amplement), car parmi les artistes contemporains reconnus comme « multistes », il est un de ceux dont j’admire le talent.
Désormais, les longs métrages documentaires ont trouvé un rythme qui leur est particulier où se mélangent souvent réalité et fiction, (comme « One more thing with feeling » que je viens de regarder de Andrew Dominik sur Nick Cave), je suis aussi impatient de voir le film « A LIFE ART » qui est consacré à David Lynch…
® CharlElie – NYC 20XVI