L’ouïe (ou l’audition) particulièrement développée s’appelle l’hyperacousie. Cela peut être un atout dans certaines circonstances, mais aussi devenir une pathologie pour ceux que certaines fréquences font souffrir, ou ceux dont le cœur se met à battre la chamade quand, pour eux, un craquement de bois dans la maison au milieu de la nuit, résonne comme l’évidence bruyante de la présence d’un étranger dans l’endroit.
Par contre à une moindre échelle, les « hyper mélomanes » hyper sensibles aux vibrations de la musique peuvent, dans certaines circonstances, atteindre à l’orgasme même en écoutant telle ou telle composition.
Mélomanes et musiciens émus jusqu’à l’extase.
Quand on fait de la musique ou parfois quand on en écoute, on s’oublie soi-même, pour se confondre aux vibrations qui se frayent un chemin ou rebondissent à travers les molécules de l’air.
Quand on est sensible à cela, on peut se réjouir de tous les sons et entendre le chaos des harmonies urbaines comme une partition abstraite de musique concrète. Au milieu de ce tohu-bohu, il y a même parfois de très belles phrases des super séquences rythmées, dans lesquelles se mêlent tous les timbres: le grondement d’un avion, les sifflements des freins d’un bus, un cri au loin, un bris de quelque chose, une alarme de bagnole ou la mélopée chromatique d’une sirène.
Les instruments, bien sûr, mais on peut simplement aimer tous les sons urbains. C’est ce que j’ai tenté d’évoquer dans la chanson « la musique des villes ». (publiée sur « Casque nu » enregistré à Chicago en 1997).
Quand je suis rentré chez moi à Paris à la fin du mois de Juin, à peine dans la cour de l’immeuble, j’ai remarqué un bruit bizarre qui n’existait pas auparavant. Et puis, voilà, il ne faisait pas très beau, les fenêtres restaient fermées, finalement ce petit bruit, restait tolérable. Un bruit pas très fort, un bruit électrique, celui d’un moteur, peut-être un compresseur, ou un condensateur, peut-être une climatisation ?
Les beaux jours enfin venus, les fenêtres ouvertes, ce bruit est aussi devenu plus pénétrant. Il a commencé à rentrer chez moi, envahir les pièces, et puis dans ma tête, comme une obsession. Il s’interrompait une minute, puis il repartait de plus belle pour quatre minutes. On l’oubliait, et puis il revenait. Est-ce que j’étais le seul à l’entendre? Quand j’ai posé la question à ceux de ma cour, je me suis aperçu que tout le monde l’entendait, ce bruit, mais personne avait bronché. Depuis bientôt deux mois; qu’il l’entendaient aussi…
– Mais ça ne vous dérange pas ?
– Ben euh, ça dépend… Moi j’ rentre le soir, je suis crevé. Ma femme, par contre, ça la rend dingue ! Alors une fois, j’ai fait le tour du quartier, mais je rien trouvé. J’ai cru que c’était la cuisine du restau libanais de l’autre côté du mur, mais c’était pas ça.
Deux mois que ça les embarrasse, ces gens se croisent tous les jours, mais rien, non, ils n’ont rien dit, à personne.
– Et le syndic ?
– Oui, vous avez raison, il faudrait écrire au syndic. i
Et bien pourquoi vous ne l’avez pas fait ?
Il faudrait… il faudrait. J’en reviens pas. Ils souffrent et ils gardent ça pour eux.
Et ça continuait 4 minutes avec, une minute sans. Nuit et jour.
Je serais bien allé porter plainte pour nuisance sonore contre l’installateur de ce moteur qui pollue notre bloc d’immeuble, mais à coup sûr, cette plainte serait restée dans la main courante au commissariat, et on m’aurait pris pour un mauvais coucheur.
Et puis je suis parti « ailleurs » dans un autre monde, une bonne semaine, isolé dans un monde à part, un monde hygiénique, colmaté, rempli lui aussi de silence et de bruit comprimés derrière des portes closes.
Et tout ce que j’avalais me faisait oublier, tout oublier,
Oublier aussi ce bruit…
(A suivre)
® CharlElie – Paris/ Juillet 20XVI
À mon retour de l’hosto, la cervelle neutre, à peine arrivé j’ai tout de suite ressenti la présence de cette fréquence sournoise. Ce bruit en si bémol (ou A#). LE 466 hertz était toujours bien là. Sans variante. Quatre minutes avec et seulement une minute sans. Le jour comme la nuit.
C’est pas possible. Ralbol. Yenamar. Saféchié.
Y-a t il un responsable? Je ne peux pas croire qu’il fasse exprès. Quel intérêt ? Ou bien peut-être simplement qu’il s’en moque ? Mais pourquoi préjuger, si ça se trouve le mec n’est même pas au courant que son moteur nous rend fou. N’y tenant plus, je suis sorti, bien décidé du moins, à trouver l’émetteur de ce noise.
Un chien suit les pistes au flair, moi je suis allé à la feuille vers la source du mal. Pas évident ! Le bruit rebondissait contre un mur, et tournait dans la cour. De plus quand il n’y a qu’une seule fréquence, il est difficile d’évaluer le nombre de décibels émis. Difficile à dire s’il s’agit d’un bruit puissant lointain, ou d’une émission faible mais très proche. Pourtant le bruit me semblait provenir d’une cheminée tôlée en forme de pipe, située sur le toit d’un bâtiment voisin.
Ces bâtiments en briques de trois étages en forme de « U » appartiennent à la ville de Paris. Ils accueillent depuis vingt ans des petits ateliers d’artistes.
Après avoir obtenu les codes d’accès (via une petite blague au facteur), je me suis retrouvé dans la cour de cet immeuble voisin, jouxtant le corps de bâtiment où j’habite. Si près et pourtant si loin. On va rarement de l’autre côté du mur.
J’étais calme mais un peu hagard. En fait, je n’en voulais à personne, j’en voulais juste au bruit lui-même.
La fenêtre d’un architecte d’intérieur, occupant du rez-de-chaussée était ouverte. Un peu surpris de me voir dans leur cour, il est aimablement venu vers moi. Je lui ai expliqué la raison de ma venue : C’est à cause de ce bruit…
– Quel bruit ?
– Chut, écoutez…. Celui-là !
Le bruit s’arrête. Puis il repart…
– Ah ce bruit ? Oui, il me dit quelque chose, en effet, je l’entends depuis les toilettes,
Mais il n’y prêtait pas plus que ça attention.
– Je comprends mais pour nous de l’autre côté du mur c’est terrible, un vrai calvaire ! Savez-vous par hasard si quelqu’un a fait installer récemment un moteur d’extraction ? Peut-être un atelier de sérigraphie ? Encore que je pense qu’il le couperait la nuit…
– Non, pas que je sache…
Le type néanmoins intrigué, m’a accompagné jusqu’au fond de la cour rectangulaire. Plus on avançait, plus le bruit semblait devenir dense, plus intense.
Il y avait un escalier. Nous avons monté mes marches. Le bruit devenait encore plus présent. Envahissant mais insaisissable. Un bruit fantôme. Étage par étage, on écoutait aux portes. Impossible de dire clairement d’où il venait. Peut être de l’autre côté du mur… ? Non, ça ne venait pas de là. Ni de là.
Enfin arrivés au dernier étage, là c’était carrément fort. Mais comment donc faisaient ceux qui y travaillent ou y habitent ??? Ils s’y sont habitués, peut-être mais comment peuvent-ils ne pas l’entendre?
Une échelle était fixée au mur, l’architecte est monté prestement. Il a atteint une porte triangulaire sur laquelle était scotchée une pancarte avec les trois lettres « VMC », il l’a poussée. en me disant :
-Ça y est, j’ai trouvé, c’est là ! Sans aucun doute.
Bon, désormais on connaissait l’origine du mal, il n’y avait « plus qu’à » le guérir…
C’est ça, quand « Yaka », « Yapuka ».
(A suivre)
CharlElie – Paris/ Juillet 20XVI
Une liste de numéros de téléphones d’urgence a été distribuée aux locataires de cet immeuble de la ville de Paris. L’archi compose le premier, celui de la régie des immeubles de la VdP. Musique d’attente… Comme d’hab. Musique d’attente… Comme d’hab. Musique d’attente… Comme d’hab. Musique d’attente… Comme d’hab. Finalement, une voix neutre lui conseille d’appeler le gardien.
– Attendez, le gardien, mais quel gardien ? Ça fait dix ans je travaille ici, je n’ai jamais vu un gardien…
– Ah mais ce n’est plus cette personne, le nouveau n° c’est…
Et ça raccroche. Il appelle ce nouveau numéro. Pas de chance, celui-ci est aussi erroné.
Le voisin, rappelle à nouveau la régie. Et à nouveau musique d’attente, comme d’hab. Musique d’attente… Comme d’hab. Musique d’attente… Comme d’hab. Finalement une voix énervée, corrige l’un des huit chiffres et raccroche. Pas moyen de discuter, c’est « Démerdez vous ! »
L’archi appelle le gardien mais pas de gardien. Alors il laisse un message sur le répondeur.
Je le salue et je m’en vais après l’avoir remercié de sa diligence. Parfois, tu vois, entre voisins, ça peut aussi se passer simplement comme ça. Après tout.
Certes le bruit est toujours là, mais au moins on l’a identifié, on peut le visualiser…
Je distribue les numéros à mes voisins, en leur suggérant de se manifester eux aussi auprès de la régie, l’après midi j’appelle moi-même. Musique d’attente… Comme d’hab. Musique d’attente… Comme d’hab. Musique d’attente… Comme d’hab. Finalement une matrone me dit d’une voix sèche : « Ah mais non, monsieur, attendez non, mais moi je n’y peux rien… Et puis d’abord qui vous a donné ce numéro ? Je comprends que ça vous importune, mais que voulez-vous que j’y fasse ? … Non, monsieur, nous ne sommes chargé que de la location, pas de l’entretien, ce sont des compagnies privées qui sont mandatées ? … Non, nous n’avons pas de service de maintenance ! Il y a un protocole à suivre… Oui monsieur un protocole, on ne peut pas aller plus vite que la musique ! Eh bien tant mieux pour vous, si vous êtes musicien… Non, je ne peux pas faire accélérer le tempo ! Il faut voir avec le gardien. Et puis d’abord je n’ai même pas à vous dire tout ça, ce sont des informations confidentielles, et puis aussi vous n’êtes même pas notre locataire, alors au revoir monsieur. » Et la personne me raccroche au nez.
Bon, ben voilà. Si les réceptionnistes américains ne font que rarement des efforts pour se faire comprendre, sont néanmoins aimables et professionnels, pourquoi donc les hôtesses françaises se posent-elles là, assises sur leurs pattes arrières tels des cerbères méprisants dotés d’un pouvoir de blocage absolu. Ah l’Administration ! Ah ! La bureaucratie !
Alors pour me défouler j’ai commencé à écrire cela.
Tiens, aujourd’hui, pendant que j’écris, le bruit vient de cesser. Puis il reprend. Cesse de nouveau. Apparemment quelque chose se passe là bas ! Ça fait une demie heure que ça repart puis ça s’arrête et repart. De façon « a-normale ». Finalement, ça vient de s’arrêter encore.
Ça n’a pas repris. Je ne sais pas si c’est réglé, mais ça faisait des jours qu’on n’avait plus entendu ce calme là. C’est trop bon.
Oui, il peut arriver que la douleur de l’un soit contrebalancée par le sadisme d’un autre, ou du moins que cet autre qui tire un profit de la peine qu’il en gendre, c’est le principe de la pression d’Archimède, ce qu’on enlève d’un côté va de l’autre, mais ce bruit, cette VMC qui rendait dingues, ne faisait même pas plaisir à quiconque. Alors pourquoi ne rien faire ? Pourquoi se laisser torturer par l’inhibition ? Pourquoi ceux-là souffraient-ils en silence dans ce bruit ?
L’expression est libératrice. Il faut partager, formuler ce qu’on ressent, et même si c’est politically incorrect, je suis favorable au principe d’intervention face aux agressions, plutôt que de laisser envahir par le malheur.
Oui, ce bruit de mal-heur a bien cessé.
Merci aux acteurs, ceux qui ont agi.
® CharlElie – Paris/ Juillet 20XVI