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Confesse Book

117 – Anton Solomoukha-Hommage à un ami.

Le peintre et photographe Anton Solomoukha est décédé à Paris le 21 Octobre. Le message qui m’en a informé ne donnait pas plus de détails. Je viens de perdre un ami. Il ne sera plus là. Une grappe de souvenirs s’écrase dans le pressoir que j’ai dans la tête. Effacer son adresse dans les mémoires digitales…
Être, paraître. Apparaître, disparaître.
Apprendre la disparition de quelqu’un qu’on a bien connu, c’est un sentiment qui rappelle celui qu’on a vécu jadis, ce jour où l’on a lâché la ficelle… alors soudain désemparé, on a vu le ballon s’envoler, envahi de tristesse.
Ce sentiment d’impuissance est encore plus grand quand on est physiquement loin…

L’amitié est une lampe allumée sur l’horizon, quelque part dans le paysage nocturne, elle délimite un espace de confiance. Ce point de lumière a le pouvoir de vous rassurer. S’il y a de la lumière, c’est qu’il y a quelqu’un. Elle est peut-être éloignée, mais du moins nous fait-elle savoir qu’on n’est pas seul.  Mais quand cette lumière s’éteint, la nuit à nouveau redevient infinie.

J’aimais bien Anton. Il y avait en lui quelque chose de sulfureux et d’enfantin à la fois. Il était de ces hommes qui sont restés des garçons, avec leur espièglerie et leur spontanéité. Anton aimait la vie. Il aimait se goberger de tout ce qui l’entourait. Il aimait les gens, il se plaisait à aimer tout court. Jouer avec la vie, avec les mots ou avec ses modèles, ceux qu’il mettait en scène dans ses tableaux, ses dessins, ses photos. Il adorait la « composition », suggérer des positions, puis les décomposer pour mieux les réorganiser sur fond noir. Anton Solomoukha était un vrai compositeur.
Il s’amusait à arranger le monde, le façonner à son image. Une image fantasque et fantaisiste, remplie de ses fantasmes. Anton était de ces « sur-réalistes » qui considèrent que l’illusion est une nécessité absolue dans les périodes comme celles que nous traversons de désolations matérialistes.
Fils d’un inspecteur des cadres pédagogiques d’Ukraine au sein du secrétariat de Nikita Khrouchtchev, Anton Solomoukha avait suivi des études à l’institut des Beaux-Arts de Kiev, mais en désaccord avec la censure, après avoir été interrogé à plusieurs reprises par le KGB sur sa dissidence, se sentant menacé, il décida d’émigrer en France en 1978. Installé à Paris, il y résida jusqu’à ce 21 octobre.

Anton Solomoukha avait un regard pénétrant, on aurait dit qu’il pouvait lire au fond de vos pensées. C’était un intellectuel qui jouait avec ses images comme il jonglait avec les idées qu’il brassait à haute voix en roulant les « r ». On pouvait blaguer, il aimait rire et défier la logique.
Anton avait gardé cette joie profondément tragique des âmes slaves enthousiastes autant qu’inquiètes, celles qui s’emballent pour un rien, pour le meilleur et pour le moins bon…
Il était de ces âmes éclairées qui s’enflamment pour la lumière, cette lumière qu’il savait diriger pour allumer ses œuvres pleines de force et d’intelligence, cette lumière qui aujourd’hui emporte son souvenir jusqu’aux tréfonds de l’univers, nous laissant là,dans la nuit, habillés face à la beauté de son œuvre nue.

® CharlElie – New York – Oct 20XV