Avant-hier, j’ai posté la photo d’un clavier empoussiéré que j’avais prise dans l’atelier du sculpteur Nicolas Cesbron. Comme tout le monde, sur mon compte Instagram, il m’a fallu apprendre l’usage du « hashtag » #. Inscrire en guise de commentaire ce qu’on voit à l’image, c’est un peu nul comme exercice littéraire, mais bon, c’est la règle du jeu. Tweeter aussi vous oblige à lyophiliser des pensées déjà déshydratées. Résumer, condenser au max. Ça va avec l’idée d’accélération panique dans laquelle on se trouve actuellement. Partout dans l’air, on sent une urgence. Entre les êtres, entre les communautés ou dans les familles, les rapports se tendent. Il n’y a jamais eu autant d’avions dans le ciel, et pourtant Air France licencie 2000 personnes; les énergies fossiles diminuent et pourtant les jeunes couples ont deux véhicules, des centaines de tonnes de nourritures achetées sont jetées sans même avoir été sorties de leur emballage quand on choisit d’engraisser plus encore les animaux, ou quand la terre se dessèche à force de phosphates et produits Monsanto, et que dire des excédents de productions industrielles jetées ou détruites pour stabiliser les prix alors que les gisements de minerais s’épuisent…
Les échéances se rapprochent, l’humanité angoisse pour sa survie, consciente qu’on attaque les réserves. Pourtant personne n’est prêt à changer son train de vie et surtout pas les 0,5% détenteurs de 50% des richesses.
Violences militaires dans la Syrie de Bachar el-Assad ou sur le califat de l’Etat Islamique, violences policières devant le flux d’immigrants désemparés, violences syndicales dans les conflits sociaux ou violences économiques en pleine guerre des prix. Chacun se justifie à sa manière.
En 1999 j’avais écrit « la violence », plus tard « Une certaine lenteur rebelle ». Ce morceau ne parlait pas de l’oppressante lenteur des administrations qui freinent à payer ce qu’elles doivent, ça ne parlait pas non plus des glands qui ont tellement peu d’obligations qu’ils s’efforcent de faire traîner en longueur ce peu, pour se donner une importance, non, ça parlait du temps, une certaine manière de remplir sa vie plutôt que de la survoler…
Mais le montage des films qui datent d’une vingtaine d’années semble aujourd’hui si lent que les jeunes spectateurs s’y endorment, habitués à être nourris d’images énergétiques saturées comme des nourritures au sucre ajouté. Ils vivent dans un monde imaginaire digital, en accéléré. Ils veulent des images fortes, comme celles des jeux vidéos dont chaque plan a été dessiné. Quand il n’y a pas ce speed esthético-violent, ils se désintéressent du propos, et n’écoutent même plus l’histoire.
Cette photo d’un piano empoussiéré a été prise dans un endroit en dehors du temps. On parle d’accélération, mais ne disait-on pas « Chi va Piano, Va Sano ». Avec un titre comme ça et une typo bien choisie, cette image aurait jadis pu faire une super cover pour un disque. Un disque de djaz, tchuwa, jveudir. Wéh mon frair’ du temps qu’y avait des galettes de trente centimètres en acétate de polyvinyle écrasé.
Ah ces grandes pochettes qu’on tenait dans les mains et sur lesquelles on méditait en décryptant le moindre détail comme s’il s’agissait d’un indice! Quand la musique faisait plus rêver que le rôle de star
– Ben kesta, cé vré, si té pas un’ star, t’es kune merde, picétou!
Parler de CD, c’est presque comme parler de denrées périmées.
– Eh oh Charlie, là, tu nous sortirais pas une phrase de bâtard nostalgique ?
– Si tu veux. Mais moi, j’ai un peu de mal avec le streaming au titre par titre. Même si le mot « album » semble venir du passé, je préfère m’immerger dans la cinquantaine de minutes que durent les 12 morceaux, (ou moins) qui racontent les intentions-émotions de quelqu’un, plutôt que zapper de « best of » en « best of » de song en song, comme on met la main dans un paquet de pop corns..
Allez, encore un dernier concert « ImMortel » à Granville en Normandie, et je m’envolerai back to New York où je vais direct chercher un nouvel atelier. Et puis je repartirai dans trois quelques semaines, pour aller enregistrer ce 20-et-quelquièmes album studio. Eh wéh. En 1978 j’enregistrais « 12 chansons dans la sciure », ça fait un bail, je sais… Je suis passé par des étapes changeantes, différents états d’âme, différentes phases de construction de moi-même, et j’ai toujours autant de plaisir à faire, à jouer ou à composer de la Musique, celle qui me permet de dire, de partager d’autres choses que celles qu’on me ressasse, et d’autres choses que l’Image suggère.
Je le porte en moi depuis trente ans, j’ai attendu le bon moment pour le faire. Aujourd’hui, peut être poussé par les échéances, je me dis que le temps est venu de finaliser ce projet musical particulier.
Album… CD… disque… Vinyl, 33… galette, vous appellerez-ça comme vous voulez, (…) mais je vous assure qu’il emmènera loin ceux qui me suivront …
À suivre.
CharlElie
OCT. 20VX