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Confesse Book

114 – Scoot (pas) toujours

René m’a déposé à la gare de Nîmes. Retour sur Paris/Gare de Lyon après le vernissage qui a eu lieu dans sa galerie située un peu au milieu de nulle part : Terres du Barry, St Jean de Maruejols, à 30 Kms d’Alès. Pourtant cet éloignement n’a pas découragé 250 personnes qui se sont déplacées pour m’y accueillir grâce à cette fente dans l’espace de mon emploi du temps. Voyage en coup de vent. Aller-retour éclair façon TGV.
L’avant-dernier concert de la tournée « ImMortel » avait lieu vendredi soir près de Chartres. Rentré en voiture sur Paris dans la nuit. Quelques heures de sommeil, et scooter au petit matin. Se garer à la gare. Une affichette informe qu’ils vont faire des travaux. Les places manquent mais l’espace de stationnement se réduit encore. On est samedi, là où j’installe mon scooter, ça ne dérange personne. Dresser l’engin sur sa béquille. Acheter trois journaux. Le match de rugby France/Irlande accapare les colonnes. Lire dans le train trompe le train train. Le temps passe sans qu’on s’en aperçoive…

Moins de 24 heures se sont écoulées, et je suis déjà en « train » de revenir. Un chiot geint dans son sac de voyage, pourtant rien n’altère vraiment l’ambiance feutrée du wagon. D’ailleurs la galerie a réservé mon billet dans un « IDTGV Zen ». C’est sympa mais je trouve ce logo débile. IDTGV quel truc de nase. Tu parles d’une ID… L’idée c’est quoi ? Être tranquille, c’est ça ?  Est-ce que d’autres choisissent IDTGV Défonce? Danceparty ? Sardines et concombres, ou Lovamour ? Ce logo niais ressemble à une trouvaille de marketing méprisant qui infantilise ses voyageurs consommateurs façon animation G.O. pour gogos. Mais bon, inutile de lutter contre des moulins à vent, peut-être faut-il juste compenser le manque de leçons de morale et d’éducation civique ? Toujours est-il que la voix d’un personnel naviguant peu habitué à parler au micro, lit en ânonnant un texte qui rappelle la charte de bien-séance que doivent adopter les passagers : « Tranquillité et respect d’autrui. » « Ceux qui ont choisi cette formule espèrent le calme. », en résumé: coupez le son de vos putains de portables et si vous devez communiquer avec le monde faites le entre les wagons!
L’accumulation de fatigue m’alanguit. Je somnole tout le voyage, une sorte d’apnée du sommeil. Et puis la même voix annonce que « Le train arrivera en gare Lyon son terminus dans quelques minutes ! » Il est midi et quelques.

Sur le quai, je croise un copain juge qui habite à Montpellier et qui bosse aussi à Paris. Il m’explique qu’il transporte dans son sac à dos, un booster pour la batterie de son scooter, qu’il débranche quand il redescend dans le Sud.
– Tu fais bien de ne pas le laisser ça dans ton top-case…
Régulièrement « violés » à coup de tournevis. J’en ai fait la triste expérience il y a deux ans. Alors j’ai percé le plastique de la coque dudit top case et mis un cadenas en U. Pourtant je ne suis pas vraiment parano, je n’ai pas mis la chaîne cette fois-ci. Qui pourrait vouloir de ce vieux Yamaha que j’ai depuis des années et qui ne vaut plus grand chose? C’est mon vieux cheval, il ne paie pas de mine mais il roule assez pour me transporter là où je vais. Il n’attire pas l’œil, mais je n’ai plus vraiment l’âge de frimer comme un brocard en rut. Juste besoin qu’il soit là et qu’il démarre quand je reviens. Aujourd’hui par exemple, j’enchaîne avec un autre vernissage à 17h à Nogent sur Marne, et je n’ai pas vraiment de temps à perdre…
On se salue le juge et moi, et tandis qu’il s’en va rebrancher sa batterie, je rencontre une autre connaissance qui voyageait elle aussi dans le même train. Décidément… On échange quelques paroles amicales, et je fonce rejoindre le scooter qui partage mes errances depuis quatre ou cinq ans. Mais…
Mais… Plus de scooter.
Mince, mon scooter a disparu. Il n’est plus là où je l’ai garé la veille. Diantre, pourquoi n’est-il plus là ? Figé sur place, planté là comme un arbre… Ben quoi, où est mon Scoot’ toujours. Allo C.S.I, les experts, la police scientifique, ON a enlevé mon scooter. Ça c’est sûr, il n’a pas fugué comme un chat parti en goguette. Qui donc a pu en vouloir à mon copain? Des employés de la gare ou des flics zélés ? Peut-être vigie pirate à cause du cadenas?
Je vais vérifier aux alentours, on ne sait jamais, si par hasard il avait été déplacé?  Mais non, faut pas rêver, on est à Paris. Un scooter ne se déplace pas seul de 15 mètres, juste pour faire une blague. Deux mecs, genre gardiennage sécurité à veste rouge me disent qu’ils n’ont pas vu de « levée » entre hier et aujourd’hui, mais ils m’indiquent où se trouve le commissariat de la gare.
Frapper. La porte ne s’ouvre pas. Une affichette indique que les plaintes doivent être déposées au commissariat du XIIème, au bout de la voie 23, à l’opposé de l’endroit où je me trouve. Ah… tain, ça commence. J’y traîne ma valise et un tube d’affiches.

Voilà, j’explique la raison de ma venue au planton en faction dans son gilet pare-balles. Il fouille mes poches et appuie sur le bouton qui libère le verrou magnétique de la porte. Au comptoir, je sens bien que je dérange la discussion des deux qui s’y trouvent. Ils ne sont pas là pour me rendre service, c’est moi qui suis là pour les emmerder. Ils lèvent à peine les yeux vers moi avant de lancer un « Oui,… hein ? C’est pour quoi ? »
– En fait je voudrais savoir si mon scooter a été emporté à la fourrière, et si oui, où est-elle ?
Il regarde mes papiers, tape nonchalamment le numéro d’immatriculation sur le fichier informatique, ça prend 15 secondes, et c’est ainsi que je réalise que mon scooter a donc été volé puisqu’il ne figure pas au registre des véhicules enlevés. Et meeeerde.
– Qu’est ce que je peux faire ?
– Je sais pas m’sieur, vous voulez porter plainte ? Me propose-t il d’une voix neutre comme un serveur propose un menu.
– Ben… je n’ai pas vraiment le choix.
– Disons que si le voleur a un accident, s’il fait un excès de vitesse, s’il cause un accident ou participe à un braquage, vous êtes responsable…
– Oh, enfin… faut pas exagérer, vous savez c’est pas un scoot’ de combat ;  je veux dire c’est pas une bombe…
– Comment ça une bombe ? dit-il en sursautant soudain sans humour, inquiet et motivé…

– Non, j’ veux dire c’est un scooter comme un autre.
– Bon. Vous voulez déposer plainte ?
– Ben oui.
– Alors attendez là-bas, me dit-il en montrant du doigt la salle d’attente où il n’y a personne. Un inspecteur va prendre votre déposition.
Je le remercie de son amabilité. Et je commence à tourner en rond persuadé qu’on va m’appeler dans une minute. Feuilleter des revues illisibles sans image concernant la raison des lois, les syndicats de la police, les bienfaits d’une administration ou la description des bons et mauvais comportements sociaux. Je vois des flics entrer et sortir derrière la porte vitrée, mais personne. Le temps passe. Au bout d’une demie heure, je retourne au comptoir et demande :
– Vous savez quand votre collègue va prendre ma déposition ?
– Ben, quand il sera là… me dit l’autre comme une évidence, étonné de ma question.
– Vous voulez dire que j’attends depuis une demie heure, mais en fait, il n’y a personne.
– Ben quoi ? Il est en pause repas. Tout le monde a le droit de manger.
– Oui mais vous savez quand il va revenir ?
– Non, peut-être une demie heure, peut-être une heure ?
– … ?
Je demande si je peux déposer ma plainte dans un autre commissariat, il me dit que oui.

Ça fait déjà deux heures de perdues, je décide de prendre un taxi. Déposer ma valise et le tube d’affiches chez moi, et je fonce illico au commissariat de mon arrondissement. À l’entrée pareil un autre uniforme me redit de la même manière aimable et polie, la même chose que dans le XIIème:
– Installez-vous là, quelqu’un va vous recevoir et prendre votre déposition…
Puis il disparaît.

Je veux croire que ça va aller assez vite : il n’y a que deux personnes avant moi. Troisième sur la liste, en théorie ça devrait aller vite, mais en pratique… C’est un Dimanche aussi coi qu’IDTGV Kalmepla. Ah c’est pas comme dans les films ! Ici, nothing happens comme un jour de chasse sans gibier.

Au bout d’une demie heure, j’interroge le jeune à kippa qui boit le deuxième soda qu’il a extrait du distributeur de boissons et sucreries installé à côté de moi. Il me répond qu’il attend depuis une heure. Il n’a vu personne ni entrer ni sortir de la porte qu’on nous a indiquée. L’autre personne est une grand-mère antillaise, arrivée à onze heures du matin. À elle, on a dit de revenir… plus tard.

Derrière les parois, on entend des gens qui parlent et qui rigolent. Un chien, qui doit être la mascotte du commissariat, montre son museau puis repart. Des filles passent en rangers. Les uns les autres se saluent normalement comme le font des collègues entre eux, vaquant à leurs inoccupations comme des poissons dans une rivière, mais nous, on n’existe pas plus que les cailloux ou des branches mortes dans ladite rivière. D’autres personnes s’additionnent pour une audition. Vol de cartes bleues, agression, une famille de touristes spoliée… Abracadabra. Quelle formule faut-il dire pour que la porte s’ouvre, cette porte blindée derrière laquelle se trouvent ceux qui sont supposés entendre nos doléances. Quand je me vois qui passe, j’interpelle celui qui m’a accueilli à l’entrée.

– Sérieux, y a quelqu’un de l’autre côté ?

– Oui, dit-il sans en être vraiment persuadé. Et comme pour se rassurer lui-même il y entre dans le saint des saints et ressort trois minutes plus tard me confirmant du coin de l’œil que ça ne va pas tarder…
15h, le juif à kippa est enfin appelé. Il ressort assez vite mais ça n’avance pas pour autant.
15h30, c’est au tour de la grand mère antillaise… Le prochain ce sera moi… Quand je pense qu’un enfoiré a le cul sur ma selle ! Le temps défile sur la pendule.

16h. J’ai le stress d’arriver en retard à Nogent. Un commissariat c’est comme un hôpital : on y vient seulement quand on est malade, mais le personnel fait tout pour vous donner envie de vous enfuir. Des chartes de bon comportement et bon accueil sont punaisées aux murs, mais personne ne semble les avoir lues : «  Les victimes d’infractions pénales seront reçues immédiatement. Nous vous annonçons dès votre arrivée le nombre d’usagers en attente à l’accueil et, quand cela est possible, le délai d’attente prévisible. Une réponse sera faite à toutes vos demandes, Nous traiterons toutes les réclamations et restons à votre écoute pour progresser… » Tu parles. Baratin pour se donner une apparence… Et encore, moi c’est rien comparé à toutes les raisons graves qui peuvent faire qu’on vient demander de l’aide dans un commissariat. Ah ça pour mettre des PVs, il faut pas les prier mais pour faire preuve d’empathie, c’est pas la même histoire. Ce manque total de communication altère la confiance qu’on peut avoir vis à vis de ceux qui sont sensés nous défendre! Tu me diras qu’est ce que tu veux qu’ils communiquent ? Ils sont là, c’est dimanche, j’imagine qu’ils mangent, ou bien ils jouent aux cartes… Je passe par des humeurs variées à leur égard, tantôt je vois ces employés de l’état comme des glandeurs qui font leurs heures sans conviction, tantôt je devine leur ennui de vivre, plié sous le poids du malheur d’autrui…

16. 20 h. Finalement un jeune en uniforme ouvre la porte et dit mon nom. Je m’assois devant lui.
– Alors monsieur, qu’est-ce qui vous amène ?
– Mon scooter, avec une jupe, un top case, une chaîne et deux casques, était garé depuis hier samedi sur une aire pour deux roues à coté de la Gare de Lyon, il n’y est plus. On m’a dit qu’il n’avait pas été enlevé, mais avant de porter plainte, peut-être pourriez-vous vérifier qu’il n’a pas été enregistré à la fourrière…
– Non c’est pas la peine, si des collègues vous ont dit qu’il n’y est pas c’est qu’il n’y est pas…
– Bon, alors…
Mon cas est sans mystère. Le mec ne me laisse aucun espoir quant au fait de retrouver ma bécane dont la recherche n’aura duré en temps réel que 15 secondes.

Le type me tend les papiers pour l’assurance. Et voilà, c’est réglé, ça a pris 10 minutes.
Fallait-il autant de temps pour en arriver là ?
Tout est question de manière de faire …
Bien sûr cette « aventure » du quotidien est anecdotique. Je sais que c’est un peu nul tout ça. Ni drôle, ni exceptionnel. Ni rien. Je ne me plains pas, mais je n’ai pas le choix, je dois déposer plainte, c’est comme ça. Quand on se plaint, on se vide. Je n’en tire pas de conclusions générales sur la police ou sur l’état de la France, je n’ai même pas envie d’extrapoler ou de polémiquer sur le sujet. Voilà, c’est simple, je me suis fait piquer mon scoot’, et j’ai perdu des heures… Ça fait suer, mais c’est tout. Tristement banal. Je ne suis pas le seul à qui ça arrive. Il faut relativiser, ça reste matériel. Des tas de choses bien plus graves se passent ailleurs. Ce genre de désagréments fait partie des aléas, ce qu’on appelle « la vie des bêtes ». Allez, t’inquiète pas pour moi, demain je trouverai une autre solution, et je roulerai sur une autre piste.

® CharlElie – Oct 20XV