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Confesse Book

112 – Humanistes

En fait, Yann Arthus Bertrand est un artiste conceptuel qui utilise les moyens de diffusion permettant d’atteindre le grand public. Mettre en image les questions fondamentales, celles qui font battre le cœur des gens qu’il rencontre. Questions terre à terre ou essen-ciel vues d’hélicoptère.

Depuis que je le connais, je constate que Yann Arthus Bertrand continue son chemin avec la constance du jardinier, qui voyage dans sa tête à force de travailler le sol.

Le film « Human » que France 2 a présenté hier soir est une merveille. Galerie de portraits qui ont l’intensité de ceux que peignaient les maîtres Hollandais du XVIIème, « Human » est un des achèvements du projet gigantesque commencé par YAB il y a une douzaine d’années intitulé « 7 milliards d’Autres ». On y devine la même envie de percer les secrets intimes de cette humanité qui vit en nous.

Mais si géniale que fut l’idée de départ, « 7 milliards d’autres », s’était achevé de façon inconfortable au Grand Palais. Une expérience épuisante, Trop de choses à montrer, mal mise en scène. Cela commençait par faire la queue pour s’asseoir sous une tente,  écouter des histoires racontées à l’écran,  puis le public ressortait, et allait refaire la queue pour à nouveau s’asseoir sur un autre banc parmi une vingtaine d’autres personnes, afin d’écouter d’autres témoignages dans une des 15 yourtes installées sous la grande voûte de verre. Et se succédaient ainsi  sur les écrans des centaines de personnes interviewées partout dans le monde. Comme s’il n’avait pas su (ou voulu) choisir parmi les milliers de témoignages. En ressortant, la tête farcie, j’avais eu le sentiment de n’avoir rien vu.

Dans le film « HUMAN », l’équipe de Yann Arthus Bertrand a composé une autre symphonie ; mais cette fois, le réalisateur a osé choisir. Monté de main de maître, musique parfaitement choisie. Le réalisateur a fait alterner les vues du ciel presque abstraites comme des moments de respiration entre les témoignages poignants de ceux qui semblables à nous, vivent parfois dans des conditions terribles.

Le principe est simple, la caméra est fixe, seul bouge celui qui parle. Sauf quand la terre est vue du ciel, les interviews se font sur un fond noir, ce qui ajoute une intensité dramatique indiscutable, mais permet aussi de se concentrer sur le propos. À ces gens, on donne la parole, et la parole fait l’Homme !

YAB cherche quelque chose. Les indiens diraient qu’il a fait un rêve, c’est ce rêve qui le guide. Sait-il où il va ? Je pense qu’il est mû par une foi humaniste.

Son sens de l’action l’oppose aux théoriciens de l’écologie. On peut certainement lui reprocher plein des trucs, mais toutes les vilénies qu’on dit sûr lui ne me gênent pas. Qu’il soit un chef d’entreprise, responsable de son équipe, est à mes yeux plus un compliment qu’un reproche. D’autant que pour rendre ses films gratuits, il lui faut sûrement serrer des mains sales. Lui, qui ne se déplace pas sans être entouré d’un essaim d’amis, avec sa dégaine élégante de Villepin-photographe, il sait approcher sans complexe les hommes politiques ou les industriels, qui voient en lui un merveilleux alibi. Mais Quoi ? C’est le résultat qui compte. Yann Arthus Bertrand fait partie des écologistes civils inspirés par leur conscience, et non par un dessein politique. L’autre soir j’entendais Cécile Duflot convenir de son désarroi, et admettre que l’idée de changer les « choses » par le haut est une illusion.

Les petites briques permettent de construire des murs immenses. On peut bien sûr porter un jugement critique sur le « monde du silence » paru en 1956, il n’empêche que le film de Louis Malle et Jean Yves Cousteau a sûrement éveillé la conscience de milliers d’écologistes modernes…

Le film « human » est une plongée dans le secret de gens simples que nul autre n’est venu interroger sur ce qu’ils pensent ou ressentent. Suivant sa propre logique, Yann Arthus Bertrand construit une œuvre « documen-terre »forte, comme le fait à sa manière aussi, Jacques Audiard à travers la fiction.

Celui qui a commencé comme assistant de Polanski dans « Le Locataire » a signé avec « Dheepan » un film d’une grande intensité. On dirait que l’ancien Tigre Tamoul n’est pas locataire de sa vie, il la squatte. Plein de tact et d’intelligence, interprété par des acteurs non professionnels extraordinaires qui réagissent comme ils sont,  Jacques Audiard a su faire oublier la mécanique du cinéma. (Et même la montée d’escalier à la fin est faite de suggestions plus que de démonstration. On se croirait presque dans un rêve.) Tous les plans racontent quelque chose. Et la musique de Nicolas Jaar est parfaitement choisie aussi. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas été aussi ému en regardant une fiction grand écran.

Malheureusement, la salle était loin d’être pleine, preuve en est une fois encore que le succès n’a pas grand chose à voir avec la qualité d’une œuvre. En tout cas bravo, et merci à ceux qui lui ont accordé la palme à Cannes.

« L’humanité » dans sa fragile splendeur c’est ce qui relie l’un et l’autre de ces films qu’il faut avoir vu pour se sentir juste un peu moins…

Isolé.

 

® CharlElie. – Oct 20XV